Lundi 6 mars 2017, le Conseil de l’Union Européenne (UE) a rendu public ses conclusions sur la situation politique en RD Congo. Une sorte d’analyse de la crise politique et économique au pays de Patrice Emery Lumumba, assortie de menaces à peine voilées contre les autorités rd congolaises, d’injonctions pour le moins comminatoires et de propositions de voies de sorties de crise manifestement motivées par les intérêts occidentaux bien sentis. En deux mots comme en mille : c’est une Europe extrêmement ingérée dans les affaires internes d’un pays membre de l’ONU qui voit le jour. L’affaire dure depuis plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années, et coïncide avec la décote de l’influence occidentale sur nombre de pays du continent, de même que l’arrivée au pouvoir dans ces pays de dirigeants plus ou moins progressistes, qui aspirent à un mode de coopération dit « gagnant-gagnant » avec les anciennes colonies. Ce qui est loin d’acquis, à en juger par la énième sortie européenne relative à la République Démocratique du Congo, mais aussi à d’autres incuries occidentales du genre au Gabon du fils Bongo, Ali, à qui il est reproché … une balance commerciale qui vire au jaune : dans ce pays du continent noir aussi, l’Europe capitaliste a perdu du terrain en faveur des chinois et autres asiatiques, plus win-win en matière de coopération.
L’Europe, acculée et menacée par une crise économique sans pareille selon ses propres analystes, semble décidée à jouer son va-tout sur « ces anciennes terres », particulièrement en RD Congo, pays-continent connu pour ses immenses potentialités en la matière. « Le Vieux Continent risque d’être l’épicentre du prochain rebondissement de la crise mondiale. Imperturbables, les responsables économiques européens, tout en admettant la réalité des menaces, persistent à en renvoyer les causes aux «retards» européens dans les «réformes structurelles », écrivait en mars 2016, Kostas Vergopoulos, Professeur émérite à l’université Paris-VIII . L’économiste poursuit en expliquant que « Les Etats-Unis, d’où la crise de 2008 est pourtant partie, ne sont pas visés. Le Japon non plus. Le retour de la crise menace tout particulièrement la zone euro, à savoir la partie du monde qui, au cours des sept dernières années, s’est surtout fixée sur les «réformes structurelles» et beaucoup moins au pansement des ravages de 2008. Après 2008, les Etats-Unis ont utilisé plusieurs leviers pour stabiliser leur économie et ils y sont parvenus dans une certaine mesure. A l’opposé, l’Europe, notamment la zone euro, persiste dans la fragilité ».
L’après 2008, comme l’avant, du reste, semblent résolument africains, depuis des lustres : ça se savait mais aucun dirigeant africain n’osait le crier trop haut, l’Europe (la France particulièrement, par exemple) vole des milliards de leur monnaie à la pauvre Afrique depuis les années d’après les indépendances. On parle, plus précisément, de 440 milliards d’Euro/an pillés par la France aux Africains. « Un esclavage économique important pour l’essor de l’économie française », selon les révélations d’un journal économique allemand datées du 8 novembre 2016. Qui explique que « À chaque fois que ce trafic est susceptible de faillir, la France est prête à tout pour le reconquérir. Si un dirigeant de la zone CFA ne répond plus aux exigences de la France, Paris bloque ses réserves de devises et plus encore, la France ferme les banques dans ce pays jugé de «rebelle». C’est fut le cas de la Côte d’Ivoire avec Laurent Gbagbo ». L’astuce est assez simple : en vertu d’une loi qui consacre l’adhésion de la France aux institutions de Brettons Woods, 14 pays africains « supposés » indépendants versent 85 % de leurs réserves en devises à Banque de France. Ils se soumettent ainsi, ipso facto, au contrôle direct des services du Trésor public de l’Hexagone et sont interdits d’accès à ces réserves. Lorsqu’ils éprouvent, inévitablement, des besoins qui dépassent les 15 % qui leur restent, ils doivent emprunter aux mêmes services du Trésor français, au prix du marché ! « Depuis 1961, Paris contrôle toutes les réserves en devises étrangères du Bénin, du Burkina Faso, la Guinée-Bissau, Côte-d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Congo, Guinée équatoriale et le Gabon », révèle le journal économique Allemand cité par Ivoire Business. Nos confrères ne s’arrêtent pas à ces conjectures économiques. « L’élite dirigeante dans chaque pays africain doit remplir ces créances obligatoires sans aucun autre choix. Les dirigeants africains qui refusent sont menacés d’assassinat ou de renversement de leur gouvernement. Au cours des 50 dernières années, on a eu 67 coups d’Etats dans 26 pays africains. 16 de ces 26 pays étaient d’anciennes colonies de la France. Un exemple est le premier président du Togo Afrique de l’Ouest, Sylvanus Olympio, renversé par un coup d’Etat. Il avait refusé de signer le «Pacte pour la poursuite de la colonisation », ajoutent-ils.
Rien de neuf sous les tropiques donc. Lorsque le Conseil de l’Union Européenne statue sur un pays africain supposé indépendant en plein 21ème siècle, en l’occurrence la RD Congo, l’assaut n’a rien d’une œuvre de charité. C’est un véritable coup d’Etat contre des institutions que les rd congolais se sont choisies par voie référendaire qui est en gestation. Comme dans les années ’60, lorsque la prétendue indépendance politique s’est subtilement travestie en eau de boudin à l’avantage de l’ancienne colonie belge.
Au point 1 des « Conclusions de l’Union européenne sur la République démocratique du Congo », le lecteur apprend que « la situation politique en République démocratique du Congo (RDC) (est) provoquée par le blocage de la mise en œuvre de l’accord politique inclusif du 31 décembre 2016 … ». Rien n’est plus substitutif du vrai et réel problème rd congolais, qui résulte plutôt du non-respect de la constitution adoptée par referendum dans les années 2006, et qui régit le fonctionnement du pays et des institutions. Elle stipule que des élections présidentielle, législatives, etc, se tiennent tous les 5 ans pour assurer l’alternance, au sommet de l’Etat notamment. Elles n’ont pu se tenir pour diverses raisons à la fois politiques et économiques (financiers) et replongent le pays-continent post-conflit dans une nouvelle crise de légitime du pouvoir. C’est cette crise de légitimité due au non-respect du prescrit de la Loi Fondamentale rd congolaise que les Européens veulent résoudre par un forcing à travers l’accord politique dit de la Saint Sylvestre. C’est une substitution de la constitution par un accord politique conclu par 32 personnes dans le frou-frou des soutanes cléricales d’une confession religieuse, l’église catholiques romaine rd congolaise en l’occurrence, que les Européens veulent imposer pour s’assurer un back home en RD Congo. Ce dont ne se cachent guère les 28 ambassadeurs de l’UE signataires des conclusions du 6 mars dernier. « L’UE salue l’accord du 31 décembre 2016 qui représente la seule voie pour asseoir la légitimité nécessaire aux institutions qui devraient gérer la transition, y compris celle de la présidence », écrivent-ils, au mépris de la constitution que les rd congolais se sont choisie il y a à peine une dizaine d’années, qui elle stipule que des élus ne peuvent être remplacés que par d’autres élus, au terme de l’organisation d’élections pour ce faire. En fait, c’est au laborieux mais néanmoins salutaire processus électoral rd congolais qu’il est ainsi mis fin, subtilement.
Le reste des conclusions européennes sur la situation politique et, accessoirement, économique en RD Congo est un déploiement de mécanisme de reprise du pouvoir politique par les Occidentaux à travers des hommes-liges locaux. Comme dans les années des indépendances, en 1960. Là où la constitution rd congolaise prévoit que seules des élections assurent l’alternance politique, le Conseil de l’UE décrète que leur « … accord prévoit entre autre le maintien en fonction du Président pour autant qu’un Premier Ministre présenté par l’opposition soit nommé et que toutes les institutions soient assurées par intérim jusqu’à la fin de l’année. Il exclut par ailleurs le maintien du Président actuel au-delà de cette échéance ». Rien de plus faux, parce que l’Accord politique global et inclusif du Centre interdiocésain se fonde, lui aussi, sur le strict respect des prescrits de la constitution. Elle édicte qu’un élu n’est remplacé que par un autre élu.
En RD Congo, les Occidentaux tentent donc de substituer la légalité à leur “légitimité”. Parce que légalement, en attendant les élections il n’y a rien à tenter. Ce n’est qu’au détour de scrutins électoraux que la légitimité correspondra à la légalité. Il y a manifestement tentative de résolution d’une crise de légitimité par une autre crise de légalité montée de toutes pièces. Le forcing occidental en RD Congo consiste en une substitution de légalité. C’est un coup de force qui ne dit pas son nom.
Le lecteur lira ci-après les conclusions du Conseil de l’Union Européenne du 6 mars 2017.
J.N.
Conclusions du Conseil de l’Union européenne sur la République démocratique du Congo
1. L’Union européenne reste gravement préoccupée par la situation politique en République démocratique du Congo (RDC) provoquée par le blocage dans la mise en œuvre de l’accord politique inclusif du 31 décembre 2016, ainsi que par la situation sécuritaire dans plusieurs régions du pays, où un usage disproportionné de la force est observé. La situation est aggravée par une crise économique et budgétaire qui touche très durement la population.
2. L’UE salue l’accord du 31 décembre 2016 qui représente la seule voie pour asseoir la légitimité nécessaire aux institutions qui devraient gérer la transition, y compris celle de la présidence. Ni la disparition du leader de l’opposition Etienne Tshisekedi, ni la situation sécuritaire ne doivent offrir de prétexte pour remettre en question ce processus qui doit mener à une alternance démocratique et pacifique du pouvoir. Cet accord prévoit entre autre le maintien en fonction du Président pour autant qu’un Premier Ministre présenté par l’opposition soit nommé et que toutes les institutions soient assurées par intérim jusqu’à la fin de l’année. Il exclut par ailleurs le maintien du Président actuel au-delà de cette échéance. L’UE souligne l’urgence de la mise en œuvre effective de l’accord par toutes les parties prenantes, en particulier la majorité présidentielle, afin d’aboutir aux élections avant la fin de 2017 et donc à une pleine légitimité constitutionnelle. La récente nomination d’un nouveau président du Conseil des Sages du Rassemblement, qui également remplira la fonction de président du Conseil National de Suivi de l’Accord (CNSA), constitue dans ce sens un premier pas.
3. Dans ce cadre, l’UE réitère son plein soutien au rôle de médiation joué par la Conférence des évêques catholiques (CENCO), dont l’autorité morale, l’impartialité et la légitimité sont indispensables à la réussite du processus et sont reconnues par tous les acteurs congolais. Elle soutient les recommandations du message de l’assemblée plénière de la CENCO du 22 février 2017, et appelle la région et la communauté internationale à maintenir son engagement aux côtés de la CENCO. L’UE condamne les récentes violences contre des églises et autres institutions de la CENCO et rappelle que les responsables devront répondre de leurs actes.
4. La crise institutionnelle, sécuritaire et socio-économique profonde que traverse le pays ne peut être maitrisée que par une mise en œuvre intégrale de l’accord du 31 décembre 2016 et par la constitution d’un gouvernement disposant de suffisamment de légitimité pour mener le pays aux élections. Des avancées concrètes sont impératives, en particulier la nomination urgente du Premier ministre issu du Rassemblement. Il est par ailleurs urgent d’assurer la mise en œuvre des mesures de décrispation telles que la libération des prisonniers politiques, la fin immédiate des maltraitances qu’ils subissent, la fin de l’intimidation et des arrestations arbitraires des opposants et activistes citoyens, et l’arrêt de toutes les poursuites judiciaires politiquement motivées. L’UE observe que la participation des femmes au dialogue politique a été limitée et appelle à faciliter leur implication dans la mise en œuvre de l’accord.
5. L’UE souligne la responsabilité et le rôle crucial que doit jouer la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dans la mise en œuvre d’un processus électoral démocratique et crédible. A cet effet elle réitère son appel à des mesures supplémentaires en matière de transparence et de gouvernance de la CENI, ainsi qu’à la détermination en urgence d’un calendrier électoral et d’un budget réalistes et consensuels afin de tenir les élections avant la fin de 2017. L’UE invite l’Assemblée Nationale à adopter dans les plus brefs délais les mesures législatives nécessaires à la tenue des élections ainsi qu’à la mise en place du CNSA qui est appelé, dans ce contexte, à jouer un rôle essentiel de supervision de la CENI. Ces éléments, ainsi que l’engagement financier du futur gouvernement, sont de nature à favoriser la confiance qui permettra à l’UE et aux autres partenaires de mobiliser leur appui aux élections.
6. Le Conseil de sécurité des Nations unies renouvellera en mars le mandat de la MONUSCO. À cette occasion, la priorité sera de doter la mission des moyens nécessaires lui permettant de faire face aux nouveaux défis politiques et sécuritaires en veillant à renforcer le dispositif de protection des civils, et en fournissant un appui pertinent au processus électoral.
7. L’UE condamne vivement les violations graves des droits de l’Homme qui ont été commises récemment en RDC et rappelle que la lutte contre l’impunité, quels que soient les auteurs de ces violations, est l’une des conditions nécessaires pour une transition apaisée et une stabilisation durable du pays. Les droits de l’Homme et les libertés fondamentales doivent être pleinement garanties par les autorités, en particulier la liberté d’expression, y compris pour les médias indépendants, ainsi que la liberté d’association. L’UE considère essentiel à cet égard que le travail du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme en RDC (BCNUDH) puisse se dérouler sans entraves dans tout le pays.
8. L’UE déplore l’émergence de foyers de violence dans les trois provinces du Kasaï et au Kongo Central qui illustre les risques de dégradation accrue de la situation qu’encourt le pays. L’UE s’inquiète, comme les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, des informations récentes faisant état de violations graves des droits de l’Homme et du droit humanitaire commises par les milices locales dans les Kasaï, notamment le recrutement et l’utilisation illicite d’enfants soldats, ainsi que du meurtre de civils par des membres des forces de sécurité de la RDC, qui pourraient constituer des crimes de guerre au regard du droit international. L’UE s’associe à l’appel formulé par le Conseil de sécurité de l’ONU le 25 février 2017, demandant au gouvernement de la RDC d’ouvrir immédiatement une enquête crédible et impartiale sur ces faits, afin que les responsables en répondent devant la justice, et souhaite également qu’une enquête internationale indépendante puisse être invitée à soutenir ce processus.
9. L’UE est gravement préoccupée par la détérioration de la situation humanitaire dans plusieurs régions du pays et tient à souligner la primauté du respect des principes humanitaires et la nécessité de garantir l’accès aux populations affectées.
10. La situation à l’Est, dans les provinces du Kivu et dans le Tanganyika, reste également inquiétante tout comme les informations d’une éventuelle reprise des armes par les ex-rebelles du M23. L’UE rappelle la responsabilité des autorités congolaises et exhorte les FARDC – avec l’appui de MONUSCO – à mettre tout en œuvre pour protéger les populations. En ce qui concerne le M23, l’UE rappelle les engagements des déclarations de Nairobi de décembre 2013 ainsi que les principes énoncés dans l’accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région.
11. L’UE rappelle aux responsables politiques et aux membres des forces de sécurité qu’elle est disposée à adopter de nouvelles mesures restrictives individuelles contre ceux qui seraient responsables de graves violations des droits de l’Homme, inciteraient à la violence ou qui feraient obstacle à une sortie de crise consensuelle, pacifique et respectueuse de l’aspiration du peuple congolais à élire ses représentants. L’UE invite la Haute représentante à initier un travail dans ce sens.
12. L’UE confirme sa disponibilité à engager dans les plus brefs délais un dialogue politique au plus haut niveau avec le futur gouvernement, conformément à l’article 8 de l’Accord de Cotonou. Elle est disposée à apporter son soutien, y compris financier, à un processus électoral qui remplirait toutes les conditions nécessaires. L’UE est aussi disposée à poursuivre son soutien à la population congolaise confrontée quotidiennement à de sérieuses difficultés socio-économiques et encourage la reprise du dialogue, de façon structurée, avec les institutions financières internationales, afin de trouver une solution durable à la crise économique et budgétaire actuelle.
Source :http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/03/06-conclusions-congo/