Le 17 octobre 2016, la Cour Constitutionnelle de la RD Congo a rendu un arrêt consécutif à la requête introduite par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), un mois plus tôt, le 17 septembre 2016. L’arrêt de la haute cour, de très haute portée politique, autorise la CENI « à élaborer un nouveau calendrier électoral aménagé dans un délai objectif et raisonnable exigé par les opérations techniques de refonte du fichier électoral afin de s’assurer de la régularité des scrutins prévus ».
En fait, la plus haute instance juridictionnelle en RD Congo venait ainsi couper l’herbe sous les pieds d’une partie de l’opposition politique, soutenue par la Belgique et la France, notamment, qui exigeait le départ du Président de la République en fonction dès la fin de son second et dernier mandat le 19 septembre prochain. Contrairement à la lettre de l’article 70 alinéa 2 de la constitution rappelée par l’accord politique conclu le 18 octobre dernier entre les parties prenantes au dialogue politique de Kinshasa qui se sont accordées sur la gestion consensuelle de la période charnière qui court à partir de décembre prochain jusqu’à la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales en avril 2018.
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 17 octobre dernier a été obtenu de haute lutte, pour ainsi dire. Plusieurs audiences de la haute cour avaient été reportées faute de quorum. Au moins 2 juges sur les 7 présents à Kinshasa, qui avaient pourtant pris part à la première plénière consacrée à l’examen de la requête de la CENI, le 11 octobre dernier, n’avaient pas pris part aux séances suivantes. Le 14 octobre, deux des hauts magistrats ont pratiquement refusé de siéger, plaçant de fait la haute cour dans l’impossibilité de statuer valablement faute du quorum requis et c’est encore en leur absence que la cour a statué, valablement selon son règlement intérieur, le 17 octobre.
L’arrêt rendu est donc l’œuvre des 5 hauts magistrats restant, qui ont décidé de passer outre l’absence de leurs deux collègues, pourtant présents dans la capitale, en se fondant sur le fait qu’une plénière, celle du 11 octobre 2016, avait déjà réuni ce quorum. Mais aussi en tenant compte du fait que chez les hauts magistrats, les décisions se prennent à la majorité des voix des membres, 5 d’entre eux (sur 9) représentaient bien une majorité. Ce qui conduit certains analystes à considérer que le 17 octobre dernier, l’audience de la haute cour s’est tenue en violation de l’article 90 de la loi organique relative à son organisation et à son fonctionnement autant qu’à l’article 30 de son règlement intérieur qui stipule que qu’elle ne « peut valablement siéger et délibérer qu’en présence de tous ses (9) membres, sauf empêchement temporaire de deux d’entre eux au plus dûment constaté par les autres membres ».
Péril en la demeure
Ce dont les hauts magistrats, conscients des enjeux qui se sont dissimulés derrière l’absence répétée de deux de leurs collègues, se défendent : en cas de défaut de quorum à une première séance plénière de cette noble institution, la séance subséquente peut délibérer à la majorité de ses membres. Par ailleurs, il y avait péril en la demeure. Ne pas siéger représentait à leurs yeux un danger pour la survie de la nation qui risquait de plonger dans le chaos sans l’arrêt accordant une rallonge légale et constitutionnelle à la CENI. Face au danger, le salut de la nation est au-dessus de toutes les lois, c’est-à-dire que toutes les lois se taisent : « salus populi, supremalex ». Le danger, ce sont donc les incertitudes et les turbulences politiques qui auraient prévalu du fait du vide institutionnel à la tête de l’Etat à la fin du mandat de Joseph Kabila en décembre prochain. L’arrêt du 17 octobre dernier ne s’en cache pas outre mesure parce qu’il rappelle que la Constitution, en son article 64 alinéa 1er interdit la prise du pouvoir par la force ou son exercice en violation des dispositions constitutionnelles.
Querelle d’école ?
Une querelle d’école a, depuis éclaté, une certaine opinion considérant que les hauts magistrats qui ont pris sur eux de sécher l’audience de la Cour Constitutionnelle consacrée à l’examen de la requête de la CENI, et ainsi tenté d’empêcher le vote de l’arrêt qui sauve la nation (puisqu’il prévient un danger selon leurs collègues) et qui sont présentés soit comme des cancres irresponsables, soit comme des héros. Parce qu’ils auraient ainsi pris le parti de préférer le schéma des incertitudes politiques de l’après décembre prochain en RD Congo à leur régulation par la force de la loi. Seulement, cet héroïsme, selon un point de vue, n’est pas aussi évident que ça, à l’examen. Parce qu’il aurait sûrement et légalement été plus héroïque de prendre part à l’audience et d’y faire valoir son opinion envers et contre tous que de se dérober ainsi au débat. Il n’y a aucun héroïsme à se soustraire de ses obligations légales, mais de la lâcheté. Certains juristes estiment que les hauts magistrats frondeurs se sont rendus coupables de déni de justice, simplement. Surtout si l’on tient compte du fait que devant les charges publiques, tous les Congolais sont soumis à une égale responsabilité : si chaque soldat au front devait se défiler devant l’ennemi pour ne pas assumer une éventuelle défaite, il n’y aurait simplement plus d’armée. Le jugement est donc simple : on fait d’abord le boulot pour lequel on est assermenté, le reste est secondaire voire, inutile.
En réalité, les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît parce que des indiscrétions de la haute cour parvenues au Maximum laissent entendre que derrière le séchage de l’audience du 17 octobre dernier filtre une divergence scientifique et doctrinale de fond entre les hauts magistrats. Sur la requête de la CENI, certains parmi eux auraient estimé que la question, déjà réglée par la constitution (« Le Président de la République reste en fonction jusqu’à son remplacement par le nouveau Président de la République élu » selon l’alinéa 2 de l’article 70) et ne valait pas une nouvelle délibération de la Cour Constitutionnelle. Et qu’il était donc inutile de régler un problème qui n’en était pas un. Simplement.
Divergences doctrinales
Divergences doctrinales ou parti-pris politique, la dissonance entre hauts magistrats de la Cour Constitutionnelle est tombée au mauvais moment, alors que l’actualité politique dans certains pays africains révèle d’inquiétantes ingérences, notamment des pays occidentaux, dans les affaires politiques, et judiciaires des pays africains naguère colonisés. « Depuis l’esclavage, la colonisation et la néo colonisation, les méthodes de la Françafrique ne changent pas. Ce qui marche dans un pays, est reproduit dans un autre pays jusqu’à ce que ça ne marche plus, alors un réajustement de politique est opéré pour surmonter l’échec en changeant de discours et/ou de méthodes pour préserver l’essentiel des intérêts économiques », (Koné Katinan, « Gabon : la françafrique face à ses contradictions et ses déboires », in Investig’Action).
Or, dans la crise politique rd congolaise, la Belgique, la France et parfois les Etats-Unis ne dissimulent plus leur volonté d’interventionnisme débridé en faveur de l’opposition politique radicale et du schéma dit du chaos qu’ils portent. Pour Justifier l’injustifiable, il faut jeter le discrédit sur les institutions politiques nationales, au besoin en se servant des intellectuels rd congolais. Il faut prouver que la Cour constitutionnelle est partisane, comme la France l’avait déjà fait en Côte d’Ivoire, en jetant l’anathème sur le Conseil Constitutionnel de ce pays, qualifié de partisan et en dénonçant sa prétendue proximité avec la bête noire d’alors, le président Laurent Gbagbo. Et lorsque ce conseil a proclamé Gbagbo vainqueur des élections face à Alassane Ouattara, son arrêt a provoqué une guerre.
En s’abstenant de prendre part à l’audience de la Cour Constitutionnelle du 17 octobre 2016, les hauts magistrats ont gravement exposé leur haute instance judiciaire du pays au discrédit de l’opinion. Affaire à suivre.
J.N.