Sur la situation politique en RD Congo, que les médias dits mondiaux rivalisent d’ardeur pour annoncer le caractère apocalyptique, le dialogue politique en cours sous la facilitation d’Edem Kodjo, le conclave de la partie de l’opposition politique tshisekediste-katumbiste réfractaire à ce dialogue, ainsi que les évêques de l’Eglise catholique, tiennent le haut du pavé. Repris après une dizaine de jours d’interruption dus notamment aux événements malheureux causés par l’opposition tshisekediste les 19 et 20 septembre dernier, les travaux du dialogue ont pourtant effectué un bond en avant à la fin de la semaine, avec la mise à disposition par le très compétent président de la CENI (Comité Electorale Nationale Indépendante) d’éléments calendaires à discuter par les parties prenantes au dialogue. Pour l’essentiel, le numéro un de la centrale électorale congolaise, se fondant sur l’option levée par les parties prenantes au dialogue de tenir les scrutins présidentiel, législatifs et provinciaux au même moment, estime ne pouvoir les organiser que vers la fin de l’année 2018. Ce dont doivent discuter les parties prenantes au cours de la semaine en cours, en plus des points d’accord et de désaccord sur le projet d’accord politique qui sanctionnera le dialogue de la Cité de l’OUA.
Succès imminent
Selon toute vraisemblance, le dialogue facilité par l’ancien secrétaire général de l’OUA, le Togolais Edem Kodjo, devrait tenir ses promesses : baliser le chemin vers des élections crédibles et apaisées sans trop énerver la constitution de la RD Congo. Vendredi 30 septembre 2016, Jean-Lucien Bussa, le porte-parole de l’opposition au dialogue politique déclarait à la presse que « des négociations directes sur les points de divergence relevés dans le projet d’accord remis par le facilitateur sont désormais engagées », tout en affirmant que l’opposition n’entendait pas transiger sur les principes qui fondent l’alternance démocratique en RD Congo. Même son de cloche de She Okitundu, le porte-parole de la majorité présidentielle, qui a annoncé la constitution d’un groupe de travail majorité-opposition-société civile pour dégager un compromis sur un accord politique. Tout autant que du co-modérateur du dialogue pour le compte de l’opposition, l’UNC Vital Kamerhe qui, au sujet de la date de convocation des électeurs arrêtée par la CENI au 19 novembre 2017, estimait samedi dernier qu’il n’y avait pas lieu de mettre le feu aux poudres pour un écart d’un ou deux mois.
Bémol clérical et tshisekediste
Bémol à ces perspectives optimistes, l’opposition tshisekediste-katumbiste, qui joue des pieds et des mains pour noyer les travaux et conclusions susceptible de vider l’essentiel de ses revendications de toute leur substance (alternance, élections crédibles). Mais aussi, et là est la vraie surprise, les évêques de l’église catholique romaine rd congolaise réunis au sein de la CENCO. Les prélats catholiques, qui ont déjà poignardé le dialogue de la Cité de l’OUA dans le dos en suspendant leur participation aux travaux depuis le 20 septembre dernier avant de s’adonner à une gesticulation partisane bien peu pastorale, eux aussi. Sauf en faveur de la conclusion heureuse des assises dirigées par Edem Kodjo. Dans une communication largement diffusée depuis le week-end dernier, les évêques laissent entendre qu’ils ne sont motivés que par le souci d’œuvrer en faveur d’une meilleure inclusivité du dialogue entre Congolais. Parce que les événements provoqués par l’opposition tshisekediste-katumbiste les 19 et 20 septembre à Kinshasa prouveraient qu’une grande partie des rd congolais ne se reconnait pas dans le dialogue politique de la Cité de l’OUA. Le CENCO « … ne signera pas un accord qui n’engagera pas l’ensemble des acteurs politiques », de même qu’elle ne « signerait pas ou n’approuverait pas un accord qui ne respecte pas le cadre constitutionnel, particulièrement les articles verrouillés, dont l’alternance politique », argue l’abbé Donatien Nshole, le porte-parole des évêques catholiques.
Retour dans les rangs
En réalité, les prélats catholiques ont rejoint les rangs de l’opposition politique radicale, voire extrémiste, rd congolaise et exigent, à l’instar des katumbistes, que l’accord politique à intervenir à la fin du dialogue stipule clairement, entre autres choses, que Joseph Kabila ne briguera pas un troisième mandat consécutif. Un argumentaire vicieux à maints égards, étant donné que pour briguer un nouveau mandat présidentiel, Joseph Kabila, président de la République qui arrive à la fin de son deuxième mandat constitutionnel devrait préalablement faire modifier la constitution. La perspective n’est simplement pas envisager parce que la feuille de route et les principes directeurs adoptés par les participants au dialogue de la Cité de l’OUA n’y font pas la moindre allusion : les calottes sacrées font manifestement du départ de Joseph Kabila une fixation, comme le commun des mortels, et même pire, parce que le commun des mortels ne dispose pas du même pouvoir d’influencer le cours des événements en RD Congo.
On rappelle à cet égard que lorsqu’ils participaient aux travaux du dialogue, les évêques s’étaient déjà illustrés par une exigence inattendue en obligeant la CENI à leur soumettre un calendrier électoral à faire examiner par leurs experts avant toute discussion sur la question. Une exigence qui a sonné comme une énorme usurpation, compte tenu du fait qu’au dialogue politique, l’église catholique n’est pas une partie prenante. Elle fait partie d’une composante, la société civile, aile confessions religieuses, à laquelle elle appartient, comprend de nombreuses autres organisations ainsi que des représentants d’autres congrégations actives sur le territoire national. Encore que, ainsi que le faisait observer pertinemment au Maximum un acteur politique proche des catholiques, les points de vue des évêques réunis au sein de la CENCO n’épousent pas nécessairement ceux de tous les chrétiens catholiques de la RD Congo : des chrétiens catholiques, il en existe qui sont sympathisants de la majorité au pouvoir et de son autorité morale, Joseph Kabila (dont l’épouse, Marie Olive Lembe Kabila, est une fervente catholique, du reste).
A l’étroit dans leurs calottes
A l’évidence donc, les évêques de la CENCO se sentent à l’étroit dans le rôle qui leur est imparti au dialogue et tiennent à occuper les devants de la scène. Avant de consentir à prendre part aux travaux de la Cité de l’OUA, les prélats catholiques s’étaient déjà bruyamment illustrés en se proposant dans un rôle de médiateurs. Mercredi 10 août 2016, ils l’avaient clairement déclaré à Edem Kodjo avant d’initier des contacts avec la classe politique. Sans plus de succès que l’ancien premier ministre togolais, puisque les radicaux tshisekedistes-katumbistes ne s’étaient guère laissés convaincre.
Huit mois auparavant, les évêques catholiques avaient déjà tenté la même médiation-immixtion dans les affaires politiques. Le 28 décembre 2015, à la faveur d’une réunion extraordinaire de leur comité permanent au centre Caritas de Kinshasa Gombe, ils avaient résolument enfourché leurs bâtons de pèlerins pour rencontrer les acteurs politiques du pays et les animateurs de la société civile. Objectif de l’exercice : favoriser le dialogue prôné et annoncé par Joseph Kabila. Les prélats n’y sont pas allés de main morte parce qu’en l’espace de 72 heures, l’essentiel de ce que la capitale rd congolaise compte d’acteurs politiques et d’animateurs de la société civile avait été consultée.
Le rétropédalage clérical de décembre dernier fut d’autant plus spectaculaire qu’un mois plus tôt, le 24 novembre 2015, avait lancé un véritable appel au djihad sous le couvert d’une lettre pastorale (« Faut-il encore que le sang coule en RD Congo ? ») qui culminait sur une série de recommandations et appels à manifester à peine larvés dont : « … la programmation de la Marche pacifique de tous les chrétiens, hommes et femmes de bonne volonté dans tous les diocèses pour consolider la démocratie, le 16 février 2016 à l’occasion de l’ouverture de l’année jubilaire de la marche historique du 16 février 1992 ». Cette curieuse médiation assaisonnée de menaces enregistra une courbe rentrante le 31 décembre 2015 avec une visite à la CENI au cours de laquelle son Eminence le Cardinal Laurent Monsengwo, et leurs excellences Mgr Jean-Pierre Tafunga (Lubumbashi), Mgr Marcel Utembi (Kisangani), Mgr Mabila (Kasongo), Mgr Ngumbi (Kindu), Mgr François-Xavier Maroy (Bukavu), se firent expliquer les problèmes électoraux encore en discussion aujourd’hui.
Quête du pouvoir temporel
« Au regard de toutes ces acrobaties, il n’est pas exagéré d’affirmer que les évêques congolais recherchent en réalité, c’est simplement le pouvoir temporel », explique au Maximum un député de la Majorité Présidentielle très en vue dialogue de la Cité de l’OUA. L’affirmation peut paraître excessive, mais force est de constater que les prélats catholiques en font plus qu’il ne faut pour une église qui se doit, par définition, s’efforcer en toutes choses de demeurer « au milieu du village ». Le moins qu’on puisse dire c’est qu’à force d’offrir des médiations non demandées, les évêques catholiques serpentent, en réalité, pour se substituer au facilitateur international nommé par l’Union Africaine. Les déclarations de l’Abbé Donatien Nshole à la VOA éclairent rétrospectivement le parcours sinueux de ces ambitions des princes de l’église catholique congolaise. Se prononçant sur le cas de ce diplomate togolais contesté par l’opposition tshisekediste-katumbiste, Donatien Nshole assure que « Edem Kodjo n’est pas un problème capital mais étant donné qu’il est rejeté par plusieurs acteurs politiques, c’est à ce moment-là qu’il faut réfléchir sur un mécanisme qui arriverait à impliquer l’opposition ». Pour certains visiteurs du centre Lindonge (résidence du Cardinal Monsengwo à Kinshasa), le fameux mécanisme pourrait consister à remplacer le Togolais par les catholiques. Une expérience déjà vécue au début de la transition mobutiste, lorsque la même église, à travers Monsengwo, alors archevêque métropolitain de Kisangani et président de la CENCO, dirigea durant près de 6 ans la Conférence Nationale Souveraine, puis le parlement de transition. Avec le succès mitigé que l’on connaît, puisque on doit la chute du défunt dictateur à la maladie qui l’avait terrassé ainsi qu’à la rébellion lancée à partir des territoires rwandais et ougandais au début de 1996.
J.N.