Si la politique était l’art de se camoufler en ange de lumière, Etienne Tshisekedi gagnerait haut la main la palme de plus grand politicien de tous les temps. Car, aux yeux de ses nombreux adeptes, aucun superlatif ne suffit pour vanter des mérites imaginaires qui lui sont prêtés au fil des âges. Lorsque l’on voit le natif de Kabeya Kamwanga endosser sans rire les costumes d’ « opposant historique », de « père de la démocratie congolaise », de « Nelson Mandela de la RDC », etc., l’on est en droit de se demander si c’est le même Etienne Tshisekedi qui brillait par une cruauté inédite dans l’extermination des lumumbistes et dans la consolidation de la dictature mobutienne naissante, dans les années fastes ’70. Combien parmi les fanatiques actuels du Sphinx de Limete savent que cet homme n’a gravi les marches de la politique active qu’à la faveur des coups d’Etat perpétrés par son parrain, Joseph Désiré Mobutu ? C’est en septembre 1960 que, juriste en formation à l’Université Lovanium (actuel Unikin), Etienne sera réquisitionné par le Colonel Mobutu qui venait de réussir son premier coup d’Etat contre les vainqueurs des élections qui gouvernaient le pays sous la houlette du regretté Patrice Emery Lumumba. L’histoire renseigne que désigné Commissaire Général Adjoint à la justice, Tshisekedi avait su faire montre d’un zèle particulièrement fulgurant dans la « neutralisation » de Lumumba et de ses partisans comme en témoignent ses va-et-vient triangulaires incessants entre Léopoldville, Elisabethville et Bakwanga. Ce jeune bachelier en droit (un de ses condisciples doute qu’il soit revenu à l’Alma mater pour avoir un diplôme de Docteur en droit) pouvait déjà compter à son actif des hauts faits d’armes de très grande envergure à l’instar de son implication certifiée dans les destins tragiques des Lumumba, Mpolo, Okito, Finant, Elengesa, Lubaya, etc. qui n’étaient à ses yeux que des simples « crapauds ».
Ce n’est donc pas une simple coïncidence si, après son second coup d’Etat de 24 novembre 1965, Mobutu recourt à son partenaire Etienne Tshisekedi pour en faire la deuxième personnalité du pays, soit le tout puissant Ministre de l’Intérieur ayant dans ses attributions la supervision des services d’intelligence et des escadrons de la mort. Là encore, Etienne Tshisekedi ne reculera devant aucune extrémité dans la traque des rescapés de la mouvance lumumbiste. Le meurtre rituel de Pierre Mulele – dont le corps avait été charcuté au camp Kokolo – et l’exil du patriarche du Palu, Antoine Gizenga Fundji, remonte à cette époque. Mais il en fallait un peu plus pour permettre à la sanguinaire dictature mobutienne de gouverner le Congo. Etienne Tshisekedi reste aux yeux des historiens un des concepteurs de l’acte fondateur de la dictature de la deuxième République, en l’occurrence la pendaison des 4 martyrs de la Pentecôte dont un ancien premier ministre : le Katangais (déjà) Evariste Kimba.
Le reste de l’histoire n’est la partie visible de l’iceberg. Elle voit le jour avec la création d’un parti unique, le MPR, le 20 mai 1967. Tout le monde connait le rôle joué par M. Tshisekedi dans l’élaboration du livre vert de la Deuxième République, le « Manifeste de la N’sele ». Comme on peut s’en apercevoir, l’apport du « Mandela Congolais » dans l’enracinement de la dictature en RDC a été tellement déterminant que d’aucuns se demandent encore aujourd’hui qui de Mobutu et de Tshisekedi a porté l’autre ? Etienne Tshisekedi a réussi à faire laisser Mobutu seul devant la vindicte populaire. Mieux, il continue à propager de l’angélisme pendant que son complice est regardé par le monde entier comme l’exemple à ne pas suivre.
En voulant humaniser une dictature dont les dérives commençaient à inquiéter même les parrains occidentaux en pleine guerre froide, le pouvoir de Mobutu fut sommé de tolérer une opposition interne qui n’était en réalité qu’une dissidence de quelques aigris du défunt parti-Etat. Et le seul qui tira son épingle de jeu dans cette nouvelle donne sera une fois de plus, Etienne Tshisekedi, qui avait la meilleure connaissance de Mobutu et de son régime. Ses collègues cofondateurs de l’UDPS ne comprendront rien à ce jeu de cache-cache au point que la plupart d’entre eux ou leurs veuves et orphelins en sont réduits à faire la manche pour survivre pendant que le sphinx continue, aujourd’hui à se la couler douce grâce aux prébendes de son vieux complice Mobutu.
Ce recours express à l’histoire permet de mieux appréhender les enjeux politiques actuels de la République Démocratique du Congo. Ayant soigneusement soigné sa popularité personnelle par sa maîtrise incontesté du populisme et grâce à l’ignorance par ses fanatiques de circonstance de sa vraie nature, Etienne Tshisekedi se croit toujours investi du rôle de liquidateur en chef des Présidents de ce pays comme si les temps n’avaient pas changé et que Joseph Kabila avait été purement et simplement substitué à Mobutu.
Parlant de l’immanence de l’être, un penseur allemand, Martin Heidegger, estimait que : « l’être se voile en se dévoilant et se dévoile en se voilant ». En l’espèce, toutes les contorsions de déguisement qui ont valu sa popularité à Ya Tshitshi n’auront servi en définitive qu’à le rendre plus transparent aux yeux des initiés. Sa dernière volte-face dans un long processus de Dialogue National dont il avait pourtant été l’un des promoteurs a érodé le peu de crédit qui lui restait encore, surtout auprès de la communauté internationale qui est en train de réaliser que l’homme n’est pas digne de sa confiance.
Si l’on en croit le dernier communiqué qu’il a signé en sa qualité de président du comité des « Sages » de la plate-forme katumbiste dénommée « le rassemblement », Tshisekedi tente vaille que vaille de rééditer ses « exploits » des années quatre-vingts dix, avec à la clé le chaos programmé au mois de décembre. Il semble avoir oublié que depuis la fin tragique de Mobutu, il est comme poursuivi par un signe indien qui voue à l’avance toutes ses entreprises à l’échec. M’zee Laurent Désiré Kabila ne s’était pas fait prier pour lui rappeler ce qu’il était en réalité -notamment en ce qui concerne ses accointances ontologiques avec Mobutu – avant de le reléguer sans résistance dans son village natal pour se rendre enfin quelque peu utile aux Congolais en labourant quelques hectares de bonne terre… Ce qu’il ne put faire, puisqu’il en ignore tout.
Conscient de l’adulation que lui portent ses partisans fanatisés, Joseph Kabila a cru bien faire de tenter une réhabilitation de Tshisekedi. Mais arcbouté à son extrémisme viscéral habituel, le ‘lider maximo’ de l’Udps ne saisira pas la chance lui offerte sur un plateau d’or de devenir Vice-président de la République au cours de la transition dite du 1 + 4. Pire, il ira en guerre contre toutes les tentatives de normalisation de la vie politique pendant toute la deuxième mandature de Joseph Kabila. Lui qui avait appelé à boycotter le processus référendaire qui conduisit à la promulgation de la constitution du 18 février 2006 par Joseph Kabila est devenu étrangement un défenseur acharné et jusqu’auboutiste de cette constitution. L’on se souvient encore de la formule lapidaire « 1+4 = 0 », par laquelle il raillait les efforts laborieux de refondation de l’Etat par le président Joseph Kabila.
Tshsekedi avait refusé de participer au processus électoral de 2006 avant de revenir sur la pointe des pieds en 2011 et d’essuyer un cinglant revers. Entre temps, toutes ses ‘fatwa’ s’étaient révélées des vrais pétards mouillés, à l’instar de son célèbre mot d’ordre tonitruant « le 30 juin 2005 tout s’arrête » de triste mémoire. Rien ne s’arrêta et les Congolais continuèrent à vaquer normalement à leurs occupations le 1er juillet et les jours, semaines, mois et années qui suivirent.
La méconnaissance de l’histoire récente de la RDC par certains membres de la famille politique au pouvoir qui lui firent croire qu’il était « incontournable » dans tout processus de normalisation du pays et l’argent sale reçu du sulfureux milliardaire Moïse Katumbi, ont littéralement enivré ce véritable héros fatigué qui s’est laissé ainsi phagocyter par un arriviste sans foi ni lois qui pervertit tout ce qu’il touche. Pourtant, de l’avis des analystes les plus objectifs, il ne s’agit plus en RDC de combattre une dictature, le pays étant dirigé depuis 2006 par des animateurs plus ou moins correctement élus et qui laissent largement ouverts les espaces d’expression démocratique. Sentant des nuages brumeux épaissir l’horizon du processus électoral, Joseph Kabila, pressé par l’opposition, ne s’est pas gêné d’engager la Nation toute entière su la voie d’un dialogue politique national inclusif.
Etienne Tshisekedi, que des observateurs au fait des réalités zaïro-congolaises qualifient de « véritable entreprise de démolition », se complaît dans son rôle « historique » de diabolisateur de tout ce qui gouverne. Après l’avoir réclamé à cor et à cri, il soutient, contre toute évidence, que le dialogue politique national inclusif n’est qu’une manière de conférer un troisième mandat à l’actuel président de la République. Il a tout de suite été démenti par le comité préparatoire réuni à l’Hôtel Béatrice, qui a publié une feuille de route qui tourne essentiellement autour du processus électoral.
Si l’on considère déjà le délai de 16 mois sollicité par la CENI pour constituer le nouveau fichier électoral, on est loin, très loin, des sept ans de « transition » que le vieil opposant dans sa rigidité de composition offrit au début des années ’90 à un président Mobutu finissant.
En désertant son propre agenda du dialogue national pour épouser, contre espèces sonnantes et trébuchantes, le schéma insurrectionnel de Moise Katumbi et ses janissaires anti-kabilistes du G7, Etienne Tshisekedi est visiblement en train de sortir de la scène politique congolaise par la petite porte. Il ne pouvait en être autrement pour celui dont les premiers pas en politique furent indélébilement marqués par le sang des martyrs de la Pentecôte pendus en 1966 et que nul n’a le droit de ranger dans les oubliettes car leur sang continue à crier vengeance. Parce que ce fut aussi du sang de fils de ce pays.
Paul KASONGO
Correspondance particulière