L’appel du Front Citoyen 2016 invitant la population de la RD Congo en général et les kinois en particulier à observer une journée ville morte, mardi 16 février 2016, n’aura pas été un franc succès. En fait, même si comparativement aux manifestations de janvier 2015, au cours desquelles les forces de l’ordre se sont franchement laissées déborder avant de récupérer ce qui pouvait encore l’être, les opposants regroupés sous la bannière du Front Citoyen appuyé in extremis par un Etienne Tshisekedi hésitant au départ ont essuyé un revers.
Au plan géographique, force est de constater que dans les provinces (il y en 26), seulement Kinshasa et Bukavu ont enregistré un semblant de ralentissement des activités durant les toutes premières heures de la matinée, avant que l’essentiel des occupations ne se déroule normalement. Dans ces villes, ce sont les activités du secteur formel, les commerces des privés qui sont demeurés fermés par peur et prudence ainsi que les écoles qui avaient prié les parents de garder leurs enfants à la maison, qui expliquent la situation.
Les activités relevant du secteur informel, dont dépend la survie de la majorité des populations, à Kinshasa la capitale particulièrement, n’ont pas connu le moindre arrêt. Sur une chaîne de télévision proche de l’Udps, mardi à l’édition du journal du soir, un kinois interrogé à la Gombe répondait laconique au journaliste qui lui suggérait de déclarer que les activités habituelles ne se sont pas tenues a eu cette réponse qui transpire l’évidence : « ba magasins ya ba Indiens efungoli te. Biso kaka ba coopérants nde tozaliRFI émissions suspendues » (Les magasins tenus par les ressortissants Indiens n’ont pas ouverts. Il n’y a que nous les coopérants qui sommes là).
Les principaux marchés qui nourrissent les foyers à Kinshasa ont donc bel et bien ouverts et fonctionné comme d’habitude : Gambela, Matete, Liberté/Masina. Ainsi que tous les petits marchés de proximité qui offrent les produits alimentaires de première nécessité. Ils n’ont pas fermé, n’ont pas suivi un mot d’ordre de ville morte qu’ils ne peuvent même pas entendre. Parce que ventre affamé n’a point d’oreilles, simplement.
Mardi 16 février 2016, le Front Citoyen 2016 n’a réussi à paralyser qu’une partie des activités de secteur informel, dont on sait qu’il ne représente pas plus de 40 % des occupations des populations citadines. Affirmer le contraire, comme le font les états-majors des partis politiques organisateurs de la journée ville morte relève de la surenchère politique et de l’habillage menteur.
Rien à voir avec les victimes de 1992
Les réactions des acteurs politiques rd congolais, celles des opposants qui avaient appelé les populations à observer une journée ville morte en mémoire des chrétiens tombés sous les balles de l’armée du Maréchal Mobutu le 16 février 1992 particulièrement, sont très révélatrices : Vital Kamerhe et ses pairs revendiquent la réussite totale de leur ville morte, non pas pour honorer les morts de 1992, mais pour saluer ce qu’ils présentent comme une victoire contre leurs adversaires de la majorité au pouvoir. 24 heures seulement après avoir convié les rd congolais à saluer la mémoire de leurs compatriotes morts pour la cause démocratique, la mémoire évoquée était ainsi simplement reléguée aux plus profondes oubliettes laissant la place à ceux à qui appartiendraient les lauriers de la victoire politique : les organisateurs de la ville morte. Sur les chrétiens tués, sur le sens de leur sacrifice, plus un mot, pas une évocation. De la récupération politicienne à pleins nez, ainsi que le craignaient les évêques catholiques réunis au sein de la Conférence Episcopale du Congo.
Même si elle a porté moins que les manifestations violentes de janvier 2015 pour l’opposition, l’appel à la journée ville morte de mardi dernier est à inscrire dans le contexte des stratégies politiques décidées par une partie de l’opposition rd congolaise pour déstabiliser, voire, déboulonner les institutions politiques en place par des voies insurrectionnelles. C’est le seul point commun, en réalité, entre l’évocation de la mémoire des chrétiens tués alors qu’ils manifestaient pour réclamer plus d’ouverture démocratique et l’appel à une journée ville morte. C’est du « Yebela », un slogan menaçant qui prévient la majorité au pouvoir et son autorité morale de la suite que l’opposition extrémiste se promet de donner aux événements en RD Congo : un bras de fer et des affrontements dont pourraient profiter de puissances étrangères pour imposer un nouvel ordre politique en RD Congo ; Pour départager – partager sans quelque forme de consultation démocratique que ce soit. « Yebela », c’est en réalité de la démocratisation à rebours
Médias occidentaux : prompts à annoncer le printemps
Parmi les scoops qui ont réussi à concurrencer l’actualité du jour, mardi 16 février 2016, figure l’information relative à la suspension des émissions de la chaîne publique Française RFI sur Kinshasa et Brazzaville. Selon les informations parvenues aux rédactions à Kinshasa, l’initiative serait venue de l’Hôtel de Ville de Kinshasa, même si aucune justification n’a été fournie. Mais on sait que tout l’après-midi et dans la soirée du lundi 15 février, RFI lançait en boucle l’appel de l’opposition à l’observance d’une journée ville morte le lendemain matin, assorti des motivations que le Front Citoyen 2016 lui donnait sans piper mot sur le communiqué du gouvernement rappelant que la journée du 16 février n’était pas fériée. Les prestations médiatiques des autorités policières et urbaines invitant les kinois ne pas attenter à la liberté de ceux qui n’observeraient pas l’appel à croiser les jambes avaient été totalement ignorées par la « radio mondiale ». Silence total. C’est à peine si l’information présentée comme principale (l’appel la journée ville morte) était assortie de temps en temps d’un bien timide commentaire d’un acteur politique de la majorité au pouvoir. Pour toutes les oreilles averties, la rédaction de la chaîne publique française avait de manière manifeste orienté ses informations en faveur des organisateurs de la ville morte auxquels Rfi apportait un appui qui justifie la mesure conservatoire des autorités locales de la capitale et de la province du Sud Kivu consistant à couper momentanément le signal de ce média.
Mardi 16 février, les agences de presse internationales et autres médias mondiaux se sont chargés de terminer l’ouvrage consistant à suggérer plus qu’à informer : dès les premières heures de la matinée, La Libre Belgique annonçait, de la lointaine capitale Belge, que « L’opération ville-morte est déjà une réussite » ; l’Agence France Presse titrait : « Appel à la grève générale à Kinshasa : transports en commun paralysés » ; de même que l’Agence Reuters annonçait « Opération ville morte à Kinshasa et grève générale ». Un appui à peine dissimulé à l’opposition rd congolaise.
Ville vivante, le gouvernement s’en est bien tiré
Interrogé au sujet du brouillage des émissions de la RFI par l’AFP, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a expliqué que l’attitude de la chaîne publique Française était de nature à faire croire qu’elle mettait de l’huile sur le feu. Les autorités municipales de Kinshasa n’ont pas croisé les bras et ne se sont pas laissées surprendre. Elles ont donc « légitimement » (dixit Mende) décidé d’éteindre le feu là où il s’allumait mais aussi d’empêcher qu’il ne soit allumé nulle part, surtout pas à Kinshasa.
Pour contrer les opposants, le gouvernement, par l’entremise du vice-premier ministre et ministre en charge du travail et de la prévoyance sociale, le Palu Willy Makiashi, avait rendu public un communiqué rappelant que la journée du 16 février n’était pas fériée en RD Congo. En même temps que son collègue de la Fonction publique, Isumbisho obligeait fonctionnaires et membres des cabinets ministériels à se rendre au travail. Il était donc acquis que Kinshasa ne serait sûrement pas totalement ville morte mardi 16.
Il faut ajouter à ce travail de communication l’intervention dissuasive du patron de la Police de la ville province de Kinshasa. Le Général Célestin Kanyama est passé sur la télévision nationale menacer de représailles quiconque s’en prendrait à ceux qui s’abstiendront d’observer le mot d’ordre de ville morte, comme cela s’était vu par le passé.
Des dispositions sécuritaires pratiques ont également été prises. Les agents de l’ordre armés et prêts à intervenir ont été postés à tous les endroits sensibles de Kinshasa. Des véhicules de la police ont été aperçus qui évacuaient, très tôt le matin, pneus et autres engins disposés sur les artères pour compromettre la circulation. Cela semble avoir suffi. A Kinshasa, les voies de circulation sont demeurées libres, et se sont progressivement animées avant d’atteindre un rythme presqu’habituel. C’est du « Wumela », slogan favorable à Joseph Kabila et à sa majorité, qui les appelle à persévérer voire, à durer au pouvoir.
Néanmoins, pour certains observateurs, la majorité au pouvoir semble avoir croisé les bras dès qu’il a été acquis que la toute puissante église catholique était interdite de se mêler de trop près des questions politiques par le Saint-Siège. Les espaces de communication autour de la journée ville morte du 16 février ont quasiment été abandonnés à l’opposition jusqu’au communiqué laconique du gouvernement du 15 février. Ce qui explique que les circuits formels d’activités, banques, écoles, commerces, ont dû faute fermer le jour « J », faute d’assurances formelles sur la sécurité de leurs biens et des personnes à leurs charges, manifestement.
J.N.