Manifestement bloqué sur la ligne de front de Lubero au Nord-Kivu par la présence des forces rd congolaises et ougandaises coalisées, le président rwandais Paul Kagame a, une fois de plus, essayé de brouiller les cartes en créant un nouveau groupe ‘‘proxy’’ dont les membres sont présentés comme des Wazalendo, ces patriotes-résistants du Kivu qui, excédés par trente ans d’atrocités, se sont récemment constitués pour chasser de leurs hameaux les forces d’occupation rwandaises et leurs affidés, de concert avec les Forces armées de la République Démocratique du Congo. Ce faisant, Kigali reproduit une astuce dans laquelle il s’est spécialisé et qui consiste à créer de toutes pièces des «forces négatives» parmi celles que son armée prétend combattre.
L’information a été amplement diffusée par divers trolls disséminés ci et là par l’armée numérique Front patriotique rwandais au pouvoir à Kigali et certains médias. Dimanche 9 mars 2025. Des groupes de Wazalendo (patriotes en swahili) congolais auraient décidé de rompre leur allégeance à la République Démocratique du Congo pour rejoindre les rangs de l’AFC/M23 du trio Makenga-Bisimwa-Nangaa, portant ainsi un coup dur à l’image de marque de cette mouvance nationaliste et combattante, plutôt exécrée par Kigali en raison des pertes que ses membres n’ont cessé d’infliger aux éléments du corps expéditionnaire des Rwanda defense forces déployés en RDC.
En réalité, cette défection de Wazalendo, claironnée sur tous les tons à la fin du week-end dernier concernait exclusivement un groupe situé dans la région de Lubero où s’étaient déroulés, il y a peu, d’intenses affrontements entre les FARDC soutenus par la résistance et l’armée rwandaise accompagnée de ses supplétifs de l’AFC/M23. L’annonce en a été faite par un Front des patriotes pour la paix – Armée du peuple (FPP-AP) emmené par le ‘‘général’’ auto-proclamé Kasereka Kasiyano alias « Kabidon » qui a déclaré dans un posting largement partagé avoir rejoint les rangs des agresseurs rwandais et de leurs supplétifs de l’ADF/M23. Enregistrée le 7 mars et diffusée 48 heures plus tard, la revendication a été faite par un certain Augustin Darwin, porte-parole du groupe qui a affirmé qu’une deuxième poignée Wazalendo, le Nduma defense of Congo Rénové (NDC/R.M.) du ‘‘général’’ (également auto-proclamé) Mapenzi, s’était joint à cette défection des rangs de combattants patriotes soutenant dans leurs maquis les forces loyalistes.
Pour plusieurs observateurs dans la région, la défection de ces Wazalendo membres de la plateforme dénommée Front commun de la résistance (FCR) était prévisible.
Défection sans surprise
Quoiqu’ayant compté parmi les tous premiers groupes des Wazalendo à rejoindre la lutte contre le M23 aux côtés des Forces armées de la RDC, le FPP-AP de Kabidon avait été cité depuis décembre 2023 parmi les groupes armés alliés à l’AFC par le renégat Corneille Nangaa, ce qui avait été véhémentement démenti par son leader. A la chute de Goma, fin janvier 2025, c’est pourtant Désiré Ngabo, un proche de Kabidon, qui a été nommé maire-adjoint de la ville-martyre par les forces d’occupation rwandaises sans la moindre réaction, cette fois-ci, de la part des responsables du groupe. «L’adhésion de Kabidon et son FPP/AP n’est nullement une surprise. C’est juste l’officialisation de tout ce que nous rapportions à toutes les autorités militaires tant provinciales que nationales, mais personne ne voulait nous écouter », révèle à ce sujet Ricky Paluku de la coordination des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) Wazalendo dans la région de Lubero, demeurée fidèle au gouvernement central à Kinshasa et aux FARDC. L’homme énumère dans les détails plusieurs actes et faits de guerre hautement suspects commis par la nouvelle recrue des envahisseurs rwandais. Notamment, le détournement d’armes et munitions destinées aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) Wazalendo dont on sait maintenant qu’il fut la principale cause de la chute de la ville de Rutshuru aux mains des envahisseurs. Il évoque aussi les exactions brutales et meurtrières des hordes du FPP/AP sur d’inoffensives populations civiles de la région réfractaires au paiement des taxes illégales etc.
Une source humanitaire signale en outre que la bande à Kabidon est accusée d’une impressionnante série de massacres, rafles et pillages dans les territoires de Beni au Nord-Kivu et Irumu en Ituri où ces sbires se faisaient passer pour des rebelles Ougandais de l’Alliance Democratic Forces de Joseph Kony, une rébellion ougandaise opposée au régime du président Yoweri Museveni qui a écumé cet espace avant d’être repoussée plus au Nord grâce à l’opération conjointe Shujaa montée par les FARDC et l’UPDF. «Le numéro 1 des FPP-AP collaborait avec le Rwanda depuis des années et nous avions appris que lorsqu’il se rendait à Goma, il en profitait pour visiter en cachette une maîtresse rwandaise avec laquelle il avait eu des enfants lors d’un long séjour à Kigali», révèle cette source.
Des Volontaires pour la Défense de la Patrie infiltrés
Il s’avère ainsi qu’en réalité, le président Paul Kagame et ses phalanges étaient parvenus à infiltrer le mouvement Wazalendo par des pseudo VDP que le Congo desk rwandais avait créé depuis longtemps. La prise s’est avérée consistante car le FPP-AP est généralement considéré comme un des groupes armés les mieux structurés du Nord-Kivu. De Mbwavinywa au Sud de Lubero où est érigé son quartier général, il étend son influence jusqu’aux portes de la province de la Tshopo en passant par Mangurejipa. Le groupe vit de rapines, de taxes ou de péages illégalement imposés aux populations du cru et de l’exploitation aurifère. Le ‘‘général’’ Kabidon aurait reçu mission de déstabiliser les forces gouvernementales ougandaises déployées dans la région et ainsi permettre la chute de Lubero, suivie de celles de Beni et surtout du grand centre commercial de Butembo afin de permettre aux assaillants rwandais et leurs affidés de faire jonction avec les ADF dont plusieurs résidus sont encore actifs dans cette partie du Nord-Kivu et de l’Ituri.

Néanmoins, les nouveaux alliés des terroristes AFC/M23 soutenus par l’armée rwandaise devraient compter avec la grande majorité des groupes VDP Wazalendo demeurés fidèles à Kinshasa. Quelques heures à peine après l’annonce du ralliement du FPP-AP de Kabidon aux agresseurs rwandais, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer et condamner la trahison et réaffirmer l’idéal patriotique qui a toujours guidé l’engagement des Wazalendo pour la défense de l’intégrité territoriale de la RDC. A commencer par la Synergie des Wazalendo/Front Grand-Nord qui a déclaré dans un communiqué, le 9 mars 2025, que la position prise par le FPP/AP « n’engage que ce mouvement et pas les autres membres. La Synergie dans son entièreté reste aux côtés du président de la République et réaffirme sa loyauté envers nos FARDC», peut-on lire dans ce communiqué. Ou encore, que «l’adhésion du FPP/AP du côté des terroristes M23-RDF et leur allié AFC n’aura aucun impact sur le bon déroulement des opérations de traque des égorgeurs des prétendus ADF et les autres agresseurs qui écument notre région». Le texte signé par John Mahangaiko, porte-parole de la synergie, en appelle du reste à une coalition de tous les Wazalendo «pour traquer tous ces alliés de longue date du Rwanda».
Tollé de dénonciations chez les Wazalendo
Shukuru Bulenda, chef du groupe Wazalendo maï-maï Kifuafua, a, lui aussi, condamné la défection du groupe de Kabidon, accusé de vouloir ternir l’image des Wazalendo «qui se battent pour la défense de la patrie congolaise et qui soutiennent toutes les institutions légalement établies dans notre pays». Même son de cloche chez Shimiray Guidon, commandant des Wazalendo du Nord-Kivu, qui a vigoureusement condamné la défection de leur ancien compagnon d’armes sur qui pesaient déjà des soupçons de collaboration avec l’armée rwandaise. «Les VDP sont rangés derrière l’idéologie du chef de l’Etat. Les vrais VDP ne cèderont jamais, ni à la manipulation ni, encore moins, à la sollicitation de l’ennemi car pour eux, la République Démocratique du Congo restera une et indivisible», écrit-il.

Le PARECO, un autre mouvement Wazalendo du Nord-Kivu, a également démenti sans ambages toute adhésion des VDP à l’AFC/M23. Son chef, le général Mutayomba, ne s’est jamais rendu aux forces rwandaises et à leurs proxies, contrairement aux informations diffusées sur les réseaux sociaux, assure-t-on dans une note d’information.
Pour leur part, les Forces armées de la RDC ont réagi au ralliement de la FPP/AP aux forces ennemies lundi 10 mars 2025, qualifié de «volte-face motivée par des intérêts financiers et miniers», selon leur porte-parole dans la région de Kanyabayonga-Eringeti. «Kabidon occupait une zone où il y a des minerais. À mon analyse, il se rend peut-être compte que ses intérêts sont menacés, ils ne peuvent que se rallier aux gens qu’ils pensent être forts. Il veut malheureusement protéger ses intérêts en trahissant la République», a déclaré le colonel Mak Hazukay.
J.N.