Les observateurs attentifs sentaient venir l’orage qui a éclaté le 17 juin courant avec la lettre de suspension de ses activités dans Lamuka adressée par Antipas Mbusa Nyamwisi au coordonnateur du présidium de cette plateforme, Moïse Katumbi. Le courrier prestement porté à la connaissance de l’opinion pour que nul n’en ignore transpire l’implosion de la plateforme. « … Je voudrais vous informer, comme promis, ma décision de suspendre, à dater de ce jour, ma participation aux activités de Lamuka afin de consacrer mon entière disponibilité à la lutte contre les deux fléaux (Ebola et les ADF, ndlr) précités ». C’est ce qu’écrit le président fondateur du RCD-K-ML, l’ancien mouvement rebelle de Beni-Butembo converti en parti politique qui a pris part aux dernières législatives sur les listes de la plateforme AR (Alternance pour la République) membre de la coalition Lamuka. Véritable maître dans la région allant du Nord-Kivu Nande à la province voisine de l’Ituri au cours des années rebelles 1998-2003, le cadet des Nyamwisi n’a jamais réussi à se départir d’instincts de potentat qui l’habitent depuis lors et se considère un peu et toujours comme le propriétaire de cet espace riche de son immense population, de ses impressionnantes activités de commerce, et de ses immenses forêts propices à l’agriculture. «J’ai l’appréhension que certains aspects de l’approche arrêté en accord avec les autorités de la République pour combattre efficacement ces deux phénomènes pourraient ne pas rencontrer l’adhésion de tous les membres du Présidium», se justifie Mbusa. Pour indiquer, en réalité, qu’il reconnaît le président de la République en place, Félix Tshisekedi, à qui il a offert sa collaboration dans le rétablissement de la sécurité et de la paix dans la région. En échange de la reconnaissance de ses prétentions au leadership politique Nande et de ce qui peut aller avec, que la précédente majorité présidentielle semble lui avoir refusé.
Lâcheur
Antipas Mbusa n’en est pas à son premier lâchage. Il suffit de retourner quelques années en arrière pour s’en rendre compte : au début des années ‘2000, le chef de guerre de Beni-Butembo-Bunia avait lézardé irrémédiablement l’édifice de la rébellion armée en défenestrant Jean-Pierre Bemba de l’espace géographique Nande, avant de poignarder le RCD-Goma en se précipitant dans les bras de Joseph Kabila, l’ancien adversaire commun. C’était au nom de ‘‘l’unité nationale et de l’intérêt supérieur de la Nation congolaise’’, proclamait-il, s’attirant la sympathie de plus d’un compatriote soucieux de vaincre la balkanisation de fait du pays de Lumumba et de Mzee Laurent-Désiré Kabila. Bis repetita depuis le 17 juin courant, et même plutôt en réalité, Mbusa Nyamwisi retire à la coalition Lamuka une part plus qu’importante de son assise nationale dans la province du Nord-Kivu.
Lorsqu’ils prétendent que la coalition montée de bric et de broc en novembre dernier à Genève sous la férule de puissants intérêts politiques et financiers occidentaux, les porte-voix Lamuka tentent maladroitement de dissimuler l’évidente et béante lézarde dans la coalition. Parce que, à elle seule, la province du Nord-Kivu pèse près de 4 millions d’électeurs, dont près de 2 millions pour la région de Beni-Butembo-Lubero (exactement 1.956.326, selon les statistiques électorales de la CENI). La campagne électorale du candidat Lamuka à la présidentielle du 30 décembre dernier l’a laissé entrevoir (on peut en juger par le fait qu’en décembre dernier, l’alors candidat CACH à la présidentielle 2018, Félix Tshisekedi, n’avait même pas pu arriver à Butembo), avant que les législatives nationales et provinciales n’en apportent la confirmation : aucune autre région de la RD Congo n’a autant jeté son dévolu sur l’opposition Lamuka que le Grand Nord Kivu Nande.
Sur 14 sièges en jeu à l’Assemblée nationale, 10 ont été raflés par des candidats de la plateforme genevoise, selon les résultats provisoires rendus publics par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). La démission de fait de Mbusa Nyamwisi consacre la réduction de près de la moitié de l’effectif d’élus sur les listes de l’opposition dans la région, qui basculent ainsi dans l’escarcelle de la coalition FCC-CACH au pouvoir. Ce n’est pas rien.
Elections au Nord-Kivu
On ne peut pas non plus soutenir que les raisons avancées par le patron du RCD-K-ML pour claquer la porte de la coalition Lamuka soient les seules qui expliquent son nouveau lâchage. En réalité, c’est le 27 mai 2019 à Goma qu’une importante lézarde était apparue lorsque la coalition se révéla incapable de présenter une liste unique de candidats à l’élection des gouverneur et vice-gouverneur de la province du Nord-Kivu. Plusieurs jours de négociations n’étaient pas venus à bout des ego disproportionnellement dimensionnés des candidats Muhindo Nzangi (proche de Moïse Katumbi) et Eric Kamavu (un affidé de Mbusa Nyamwisi). Ex. candidat à la présidentielle 2018 nommé coordonnateur de la plateforme fin avril dernier, il semble que Katumbi ait tenté de capturer la province par Muhindo Nzangi interposé. Mais c’était au détriment de Mbusa, fils du terroir, qui a catégoriquement refusé de lâcher le morceau. Résultats : les deux prétendants Lamuka et leurs mentors respectifs ont été renvoyés dans les cordes au profit de Carly Nzanzu Kasivita (mis sur orbite par Julien Paluku Kahonygya et son BUREC/FCC).
Dans les rangs du parti de Mbusa, c’est à peine si on n’avait pas fêté la ‘‘leçon’’ ainsi administrée à Moïse Katumbi via Pierre Lumbi, son homme à tout défaire dans la région. Interrogé par des confrères en ligne fin mai 2019, Grégoire Kiro, un élu national RCD-K-ML/AR à Beni-Ville faisait carrément porter le chapeau de cette déconfiture électorale à Pierre Lumbi : «il y a des candidats qui ont insisté pour ne pas désister et qui sont restés candidats, et qui ont embrouillé les cartes. Il s’agit de l’honorable Muhindo Nzangi, qui est un frère et ami, mais qui s’est malheureusement laissé manipuler par Pierre Lumbi qui veut ravir le leadership du Nord-Kivu alors qu’il n’est pas de la province», martelait-il.
Touche pas à l’espace Nande
La quasi-démission annoncée par Mbusa Nyamwisi le 17 juin courant s’explique donc aussi par ce problème de leadership politique régional, qu’il valait mieux ne pas lui disputer pour ne pas fragiliser l’édifice genevois. Ou tout autre édifice politique national, du reste, ainsi qu’en attestent les relations en dents de scie que l’ex chef-rebelle Nande a toujours entretenu avec ses différents partenaires politiques. Il ne s’agit pas uniquement des préoccupations autour de l’épidémie d’Ebola et des rebelles ougandais de l’ADF qui sévissent dans la région depuis belle lurette.
Dans les bonnes grâces du nouveau président de la République et donc de la coalition FCC-CACH auxquels il promet collaboration et disponibilité, Mbusa entend manifestement se rapprocher de la table du festin pour déguster de ce plat qui se mange froid contre son jeune frère Paluku Kahongya, qui lui aura quasiment damé le pion en lui ‘‘ravissant’’ les rênes de la province du Nord-Kivu. En effet, il faudra désormais compter avec le poids sociologique de cet ancien exilé politique, qui, assurent des sources, a joué un rôle non négligeable dans le rapprochement entre Félix Tshisekedi et certains dirigeants des pays de la région, dont l’Ougandais Museveni qu’il connaît bien depuis les années rebelles ’98-‘2000.
Ça se déguste froid
Contre Joseph Kabila, le président sortant qui l’avait battu froid après une période de collaboration, Mbusa prend également sa revanche, en proposant au nouveau chef de l’Etat son concours ‘‘sécuritaire’’ pour pacifier la région de Beni-Butembo, qu’il avait réussi à brouiller avec le quatrième président de la RDC. Ce n’est qu’un secret de polichinelle pour quiconque maîtrise les problèmes sécuritaires à Beni Territoire et ses envisons, lesquels se sont quasiment aggravés avec l’entrée en disgrâce de l’ancien ministre des Affaires étrangères sous le 1 + 4. Rapports onusiens et diverses sources le confirment : l’ancien chef-rebelle initiateur de moult groupes armés ‘‘maï-maï’’ n’est pas étranger aux tueries de Beni-Butembo. Et, en ce sens, il peut prétendre être l’homme indiqué pour contribuer à y mettre un terme. En échange de la reconnaissance de son leadership belliqueux.
J.N.
GROSSES LEZARDES DANS LA COALITION LAMUKA : La vengeance de Mbusa
