Ce vendredi 22 septembre coïncide avec le 32ème anniversaire de la disparition du guitariste rd congolais, Kasanda wa Mikalayi alias « Docteur Nico », décédé à Bruxelles le 22 septembre 1985.
Appelez-le Docteur Nico ou Dieu de la guitare, ce sont-là ses sobriquets ou noms de scène connus de ses nombreux admirateurs et fans séduits par son magistral doigté à la guitare-solo, comme à la guitare hawaïenne dont il a fait aussi son instrument de prédilection.
Le Docteur Nico était originaire de la province du Kasai Occidental (avant le dernier découpage territorial). Il est né à Mikalayi le 7 juillet 1937 (exactement un an après Luambo Franco, son concurrent de taille à la guitare, qui a vu le jour à Sonabata dans la province du Kongo Central, le 7 juillet 1938).
Docteur Nico a, par sa guitare aux multiples sons émerveillant, marqué de ses empreintes la deuxième génération de la musique congolaise moderne. Il est demeuré inégalé dans sa manière de régler les sons et de manier la guitare-solo. Taciturne, faisant montre d’une somptueuse intelligence dans son métier, Nico a légué à la postérité une véritable nomenclature structurelle des arrangements musicaux et des chansons assaisonnées d’éblouissantes partitions et sebenés.
Arrivée dans la capitale
Nous sommes au début de l’année ‘50 lorsque le jeune Nicolas Kasanda gagne Kinshasa la capitale dans la suite de sa mère et son grand père Charles Mwamba dit Dechaud Mongala, où il s’installe définitivement.
Ses études primaires terminées, Kasanda est admis à l’E.P.L. (Ecole Professionnelle de Léopoldville) des Frères des Ecoles chrétiennes. Quatre ans après, il décroche son diplôme de Tourneur mécanique (cycle court). Mais dès les années ‘49-50, Nicolas Kasanda apprenait déjà à gratter à la guitare à domicile auprès de son frère Dechaud et de son cousin maternel Baloji dit Tino Baroza. Les deux évoluaient déjà au sein d’orchestres professionnels, le premier comme accompagnateur et le second, comme soliste.
Trajectoire à rebondissements
Très jeune, sous la conduite de ces deux aînés, Nico découvre les couloirs d’un studio d’enregistrement chez Opika, propriété d’un sujet grec, Mr Benatar. C’est à l’époque où Joseph Kabasele Tshamala dit « Grand Kallé » ou « Kallé Jeef » signe un contrat de cession d’œuvres musicales avec Mr Benatar pour le compte de l’édition Opika. Selon le témoignage de son frère Dechaud, en plus de la guitare, Nico possédait une belle voix. Dans ses premiers enregistrements chez Opika, Kallé Jeff s’était fait accompagner par Tino Baroza et Dechaud Mwamba, etc. Nico étant relégué au rôle de chanteur accompagnateur.
Plus ou moins quatre ans avant l’indépendance de la RD Congo, Tino Baroza qui rêvait déjà de renommée internationale collaborait avec d’autres grands guitaristes de la place, à l’instar de Jimmy Halawaïenne et autres. Le groupe nourrissait l’ambition de conquérir le continent du centre jusqu’à l’Ouest, voire, à l’Est (au Ghana, en Sierra Leone, au Gabon, au Cameroun, au Mali, au Sénégal, etc. L’occasion leur fut offerte en 1956 lorsqu’une randonnée océanique les entraîna vers leurs pays de rêve.
Le départ de Tino Baroza crée un vide à la guitare-solo dans l’équipe d’accompagnement de Grand Kallé, l’African Jazz. Son disciple, Nicolas Kasanda, comble ce vide à la grande satisfaction des mélomanes qui se rendent aussitôt compte de sa maîtrise des morceaux exécutés par Tino Baroza. Nico Kasanda embrasse ainsi une carrière de musicien professionnel, tout en conservant son poste de professeur à l’EPOM (Ecole Professionnelle Officielle de Métiers) dans la commune de Ndjili. Il était présent à toutes les productions discographiques et scéniques de cette formation musicale.
En 1959, Nico Kasanda fait partie de la délégation d’African Jazz qui voyage à Bruxelles pour agrémenter la Table Ronde. Profitant de ce séjour, African Jazz a enregistré quelques chansons, parmi lesquelles, l’inusable et historique « Indépendance Cha Cha » de Kallé Jeff.
Première révolte de Docteur Nico
Après la Table Ronde, les musiciens congolais retournent à Kinshasa vers fin 1961. Nico, mécontent de la répartition des gains récoltés à Bruxelles, décide de quitter l’African Jazz. Il aligne dans sa suite des mécontents au partage du gâteau, le maracassiste Roger Izeidi, son frère Déchaud et le chanteur Tabu Pascal Rochereau, qui lui n’ayant pas pris part à l’épopée de Bruxelles. Est ainsi né l’orchestre African Jazz, Aile Docteur Nico.
La nouvelle formation décroche une tournée musicale de 12 mois en Europe où les musiciens installent leur base à Bruxelles. Ils y enregistrent plusieurs chansons qui ont récolté de fabuleux succès sur le marché.
En 1962, l’African Jazz Aile Nico regagne la capitale congolaise. Les amis communs à Grand Kallé et au Docteur Nico, des intellectuels de l’époque, entament des négociations et réussissent à réconcilier les deux groupes qui réintègrent l’African Jazz de Kallé Jeff. Mais la nouvelle idylle ne dure que le temps d’une rose, Kabasele Tshimanga se révélant incorrigible en matière de gestion calamiteuse des revenus financiers du groupe.
Séparation définitive
Docteur Nico décide de se séparer définitivement d’avec Kabasele Tshimanga et l’African Jazz. Comme pour la première fois, il emporte dans ses malles d’instruments une cohorte de musiciens, notamment, Pascal Tabu Rochereau, Dechaud, Roger Izeidi, etc. Le 13 juillet 1963, c’est la sortie de leur nouvel orchestre dénommé : Africa Fiesta de Nico, Rochereau et Roger Izeidi. Plusieurs disques à succès sont successivement largués sur le marché. Ils font tabac aussi bien en RD Congo que dans les pays limitrophes, voire même jusque parmi la diaspora africaine en Europe. Docteur Nico et sa guitare brillent de mille feux, alors que chanteur Rochereau s’impose par sa voix mélodieuse et ses nombreuses chansons mythiques. Nico sera surnommé « Dieu de la guitare » pour ses nombreux exploits, Rochereau, quant à lui, devient Seigneur Rochereau. Le duo forme un attelage irrésistible.
La concurrence
Mais leur succès ne dure que l’espace de trois ans. Les frères guitaristes, Docteur Nico et Dechaud Mwamba ne voulant plus du chanteur Rochereau pour des raisons se retirent pour former, le 16 novembre 1965, leur propre orchestre : l’African Fiesta Sukisa. Rochereau, esseulé mais plein de talent, change l’appellation de son ensemble musical et opte pour Fiesta National « Le Peuple ». Dès lors naît une rude concurrence entre les deux orchestres. Le guitariste Nico recrute des musiciens de talents, dont le chanteur de charme chanteur Kazadi Chantal qu’il a déniche à Luluabourg (Kananga). De son côté, Rochereau débauche d’un orchestre de la commune de St Jean (Lingwala) un des meilleurs guitaristes de l’époque, Jean-Paul Vangu dit « Guvano », qui joue à la guitare-solo dans la célèbre chanson « Congo avenir », générique des journaux radio et télédiffusés sur la chaîne publique, la RTNC. Chez Rochereau, « Guvanno » emmène dans ses valises un accompagnateur également pétri de talents, Denis Lokasa.
C’est durant cette gué-guerre musicale émoustillante que l’African Fiesta Sukisa largue les meilleurs de ses succès : « Tu m’as déçu chouchou », « Saidi », « Ntumba », « Kiri-Kiri », « Suley », « Juliènne importée», « Fanta Diarra », « Zadio », « Chantal », « Echantillon ya pamba », sans oublier la célèbre et très populaire « Ngalula mipende ya milangi », œuvre du charmant Kazadi Chantal. Docteur Nico alignait des musiciens talentueux tels que « Zoro » Lumingi à la guitare basse, « De La France » à la mi-solo, Dechaud à l’accompagnement ; autant qu’une flopée de jeunes chanteurs : Cailloux, Mizele, Apôtre, Vigny, Micky, Sangana (auteur de la chanson « Sangana » que Rochereau a interprétée), Lessa Lassan, Joski Kiambukuta qui, transitera par l’orchestre Continental de Maître Taureau Ngombe avant d’intégrer l’O.K. Jazz de Luambo Franco.
Les succès de Docteur Nico durent jusque dans les années ’72 avant de s’amenuiser. L’artiste travers une longue période creuse jusqu’en 1982, lorsque son ancien compagnon devenu Tabu Ley ou encore Seigneur Ley s’avise de lui redonner une chance au sein de l’Afrisa International, le nouveau de son ensemble depuis ses tournées inoubliables à l’Olympia de Paris dans les années ’70. Mais l’homme se sentait à l’étroit dans le rôle de simple musicien, sans doute. On verra le Docteur Nico participer aux travaux d’enregistrements des chansons d’Abeti Masikini en 1978 à l’IAD (Industrie Africaine du Disques) à Brazzaville au Congo, avant d’accompagner la « Tigresse aux griffes d’or » dans une tournée musicale en France avec l’orchestre « Les Redoutables ». Au milieu des années ‘80, Nico signe un contrat juteux avec Gerard Akueson, manager et époux d’Abeti Masikini, pour une tournée musicale à Lomé où le guitariste congolais enregistrera un album de quatre chansons pour le compte de l’Office Togolais du Disque (OTODI).
La fin d’un baobab
1982-1983, Docteur Nico est invité à se produire au pays de l’Oncle Sam grâce à un contrat arraché par Gerard Akueson auprès de la diaspora sierra-léonaise. Nico y réalise des exploits à la guitare-solo et captive davantage l’admiration des mélomanes qui le portent au panthéon, pendant que dans son propre pays il mourrait à petit feu. Ce qui ne l’empêchera pas de tomber gravement malade à partir de 1984. Le président de la République, Mobutu Sese Seko, débloquera un fonds spécial pour assurer les soins médicaux de cette icône de la musique zaïroise moderne en Europe. Sans parvenir à éviter le pire : le 22 septembre 1985, Nicolas Kasanda rendait l’âme à l’hôpital Saint Luc de Bruxelles en Belgique.
Mais comme on dit, « l’artiste ne meurt jamais ». Docteur Nico fit une forte influence sur les guitaristes de sa génération comme Nedule Papa Noël, Guvano, Damoiseaux, De La France, Dizzy Mandjeku, Athel Mbumban voire le Guinéen Selou Membeya et d’autres dans différents pays africains.
ZENGA NTU
22 SEPTEMBRE 1985 – 22 SEPTEMBRE 2017 : Docteur Nico Kasanda, 32 ans déjà
