Il pleut des déboires diplomatiques sur le Rwanda. Jamais la principauté militaire installée à la tête du pays des milles collines depuis bientôt trois décennies n’a accumulé autant de revers diplomatiques. Autrefois cajolé par les grandes puissances mondiales, essentiellement anglo-saxonnes, Kigali essuie de multiples déconvenues depuis un semestre. En raison de son activisme militaro-économique chez son voisin congolais, dont le dynamisme diplomatique contraste avec les résultats sur le terrain des affrontements militaires. Rien qu’en ce mois de juin 2025, le pays de Paul Kagame a assisté, la mort dans l’âme, au retour fulgurant de Kinshasa sur la scène internationale.
Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Depuis fin 2021, les Rwanda Defense Forces, l’armée gouvernementale rwandaise, est en expédition offensive à l’Est de la RDC, où elle a déployé quelque 5.000 hommes des troupes selon des chiffres onusiens. Et, comme d’habitude depuis 1996, la cinquième agression de l’armée de Paul Kagame au pays de Lumumba emploie quelques supplétifs congolais pour donner une couleur nationale à l’agression d’un pays membre de l’ONU. Cette fois-ci, les proxys du régime autocratique de Kigali s’appellent AFC/M23.
Mais tous les jours ne sont pas dimanche. Outre le fait que la guerre éclair escomptée par Kagame dure plus que prévu, l’habituelle rhétorique sur la chasse aux génocidaires hutu, ou encore la protection des minorités tutsi qui seraient menacées de génocide en RDC, ne paie plus de mine. Dans les capitales occidentales où l’on fermait pudiquement les yeux sur les atrocités des phalanges kagaméennes, il en est de moins en moins qui ne peuvent pas ne pas voir les objectifs économiques et expansionnistes de l’aventurisme militaire rwandais.
Sur le terrain des affrontements à l’Est du Congo limitrophe du Rwanda, les RDF et leurs supplétifs congolais ont remporté quelques victoires, mais peinent à progresser aussi rapidement que dans un passé récent. Depuis trois ans et demi, les rwandais et les renégats congolais qui les soutiennent ne parviennent pas à conquérir l’ensemble des provinces du Nord et du Sud Kivu. Ça s’enlise de toute évidence. Et le mythe de l’invincibilité des RDF qui avaient pu conquérir l’immense RDC après un semestre en 1996 s’érode.
Certes, Goma et Bukavu ont été occupées par les troupes rwandaises en début d’année. Mais parallèlement à son engament militaire, Kinshasa a déployé une diplomatie dynamique qui fait chanceler l’agresseur. Cela ne s’était pas vu en 30 années d’agressions à répétition. En témoigne, la Résolution n° 2773 du Conseil de sécurité (février 2025), qui condamne sans ambages l’offensive de la coalition RDF-M23 et exige leur retrait immédiat. Ainsi que les sanctions qui s’en sont suivies à l’encontre de Kigali, prises notamment par les USA et le Royaume-Uni qui furent naguère les principaux soutiens du régime post-génocide au Rwanda. Même si elles demeurent encore symboliques.
On est donc bien loin du confort diplomatique dans lequel se prélassait allègrement un Kagame arrogant et impénitent du fait de l’apathie des dirigeants congolais.
Après l’avènement de Félix Tshisekedi à la tête du pays (décembre 2018), Kinshasa a multiplié les dénonciations des atrocités et du pillage de ses ressources perpétrés par son voisin rwandais, avec preuves à l’appui. A défaut de victoires militaires flamboyantes, la nouvelle diplomatie congolaise a porté haut et partout la voix du pays de Lumumba. Et le succès est au rendez-vous.
Lundi 2 juin 2025 à New York, la RDC a été élue à la vice-présidence de la 80ème session de l’Assemblée générale de l’ONU. Une élection qui est loin d’être anodine dans un pays qui se bat depuis trois décennies contre sa balkanisation, voire sa disparition programmée de la carte du monde.
Au-delà des vicissitudes de la gouvernance aggravées par l’agression, les Congolais savent gré au président Tshisekedi d’avoir intensifié significativement les efforts diplomatiques afin de repositionner leur pays comme un acteur crédible et influent au sein des instances internationales.
Le 3 juin 2025, la RDC se hissait de nouveau sur les devants de la scène mondiale en se faisant élire membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies pour 2026 et 2027 avec 183 votes positifs sur 188. Cela permettra au pays de siéger au comité des sanctions du Conseil de sécurité, de co-présider les délibérations sur des dossiers sensibles, de servir de relais de coalitions transrégionales et de détenir ainsi des leviers d’influence sur l’arène globale.
Dans sa guerre diplomatique contre le Rwanda, Félix Tshisekedi a en outre marqué les esprits en s’opposant clairement à la prise de la présidence tournante de la CEEAC par Kigali, le 3 juin dernier à Malabo (Guinée Equatoriale). Cette décision qui brise le silence assourdissant des organisations régionales et sous-régionales auxquelles appartiennent les deux pays a été justifiée expressis verbis par l’agression rwandaise en RDC. Raison pour laquelle le sommet de Malabo a décidé que la Guinée Equatoriale, qui occupait la présidence tournante de l’organisation, conserve cette responsabilité durant un an supplémentaire, jusqu’à ce que le Rwanda règle son différend avec la RDC. «Les dirigeants de la CEEAC ont pris acte de l’agression dont est victime la République Démocratique du Congo par le Rwanda et ont ordonné à ce pays agresseur de retirer ses troupes du sol congolais», rapporte à ce sujet un tweet de la présidence de la République (7 juin).
Dépité, le Rwanda a décidé de claquer la porte de la CEEAC, estimant rageusement que «le droit du Rwanda à la présidence rotative, tel que stipulé à l’article 6 du Traité (de la CEEAC, ndlr), a été délibérément ignoré pour imposer le diktat de la RDC». Dont acte.
En tout état de cause, le président Paul Kagame a cessé d’arborer sa prétentieuse et provocante allure du passé.
Mais un malheur ne vient jamais seul. Jeudi 6 juin 2025, le Congo-Brazzaville annonçait la fin du feuilleton de 12.000 hectares de terres prétendument agricoles cédées à des entreprises – prête noms du Front Patriotique Rwandais au pays de Marien Ngouabi à proximité de la frontière commune avec la RDC. Le ministre de la Communication Thierry Moungalla, porte-parole du gouvernement brazza congolais, a annoncé l’annulation de ce contrat emphytéotique de cession de terres au Rwanda, pour «non-respect des clauses contractuelles prévoyant le démarrage des travaux au mois de décembre 2024». Mais à Brazzaville comme à Kinshasa, «tout le monde» sait qu’en réalité, cette cession sui generis de terres à un Etat engagé dans une agression militaire caractérisée contre le «grand voisin d’en face».
L’opinion publique dans les deux Congo trouvait suspect l’intérêt des massacreurs-pillards rwandais pour l’agriculture à la frontière Ouest de la RDC. D’où les pressions sur Brazzaville qui semblent avoir fait réagir le président Sassou Nguesso.
Si on ajoute les réserves exprimées par le nouveau président mozambicain Daniel Francisco Chapo à l’égard des casques bleus rwandais dans ce pays de la SADC, la succession des contre-performances de la diplomatie de Paul Kagame, que l’on avait connu en d’autres temps plus efficace apparaît comme un effet boomerang. Tout se passe comme si la souveraineté arrachée à la RDC par divers artifices, notamment militaires et économiques, était en train d’être rapatriée vers ce pays tant meurtri.
Le Maximum