Les négociations de paix entre la RDC et le Rwanda, entreprises par l’administration Trump, devraient prendre leur vitesse de croisière dans les jours et semaines à venir. Près d’un mois et deux semaines se sont écoulés depuis la signature, en avril dernier, de l’accord de principes qui doit baliser les pourparlers entre les deux Etats avant la signature de l’accord de paix proprement dit, entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, sous les auspices du président US Donald Trump. Mais des incertitudes planent encore sur le respect du chronogramme arrêté par les Américains.
Un fait demeure : les Etats-Unis tiennent à leur deal sur les minerais stratégiques avec la RDC. Le pays de Patrice Lumumba aussi, où le président Félix Tshisekedi a récemment mis sur pied une cellule de suivi pour les discussions à ce sujet. Une dépêche de Reuters (10 juin 2025), qui n’a pas beaucoup plu à Kigali, est claire quant aux intentions américaines dans ce dossier. «Les Etats-Unis veulent que les troupes rwandaises quittent le Congo avant la signature de l’accord de paix», renseigne-t-elle.
Olivier Nduhungirehe, chef de la diplomatie rwandaise a promptement exprimé la contrariété de Kigali, sans pour autant démentir l’information, la présentant comme «des propositions unilatérales de la RDC». Il dit espérer que «ceux qui sont parties aux négociations en cours pour un accord de paix entre la RDC et le Rwanda, et qui divulguent malicieusement à la presse des propositions unilatérales et des documents de travail en cours d’élaboration, comprennent qu’ils peuvent compromettre le succès des pourparlers de Washington».
Retrait des troupes rwandaises
Pourtant, le même jour à Lubumbashi (Nord-Katanga) où elle prend part au DRC mining Week 2025, l’ambassadrice des Etats-Unis en RDC a confirmé la dépêche de Reuters en appelant au retrait des forces rwandaises du Congo. Au cours d’un exposé sur la nouvelle politique américaine dans la région des Grands Lacs, Lucy Tamlin s’est montrée très ferme sur la question. «Nous savons que la région des Grands Lacs souffre depuis des décennies d’instabilité et de conflit. Les souffrances humaines sont immenses. Les chaînes d’approvisionnement mondiales sont également affectées, comme en témoignent l’exode massif de coltan d’origine illégale de Rubaya et la hausse des prix internationaux de l’étain à la suite de l’offensive du M23 soutenu par le Rwanda sur Walikale. Les Etats-Unis ont clairement indiqué que l’intégrité territoriale de la RDC devait être respectée et ont appelé au retrait de toutes les forces étrangères non invitées du pays. Les Etats-Unis souhaitent inciter fortement toutes les parties prenantes de la région des Grands Lacs à collaborer harmonieusement et pacifiquement à des projets favorisant l’intégration économique régionale et la prospérité des économies licites des deux côtés de la frontière, notamment en ce qui concerne l’extraction des ressources naturelles et les chaînes d’approvisionnement», a-t-elle déclaré.
C’est au cours de ce mois de juin, précisément vers la fin de la troisième semaine que Washington attend des avancées concrètes susceptibles de déboucher sur la signature d’un accord de paix entre Kinshasa et Kigali. Un premier projet d’accord (draft) basé sur les négociations de Luanda avait été rédigé et proposé aux parties, qui y ont réagi en ajoutant leurs attentes respectives. Début mai dernier, les experts congolais et rwandais ont défendu leurs revendications respectives devant la médiation américaine, au cours d’une réunion préparatoire à une rencontre formelle au niveau ministériel, qui ne s’est pas encore tenue.
Médiation américaine et qatarie
Probablement parce qu’il faut attendre les négociations entre la RDC et les renégats de l’AFC/M23, entreprises par le Qatar. D’autre part, une proposition d’accord de paix a été proposée aux deux parties, après qu’elles se furent engagées à observer un cessez-le-feu et à discuter des questions essentielles à la base du conflit. La prochaine étape des pourparlers de Doha consistera donc en des discussions sur cette proposition, en coordination avec les Etats-Unis et l’Union africaine.
Mercredi 11 juin à Lubumbashi, Lucy Tamlin a réitéré le soutien des Etats-Unis aux initiatives de paix en cours pour la stabilité à l’Est de la RDC et dans la région. «Nous sommes convaincus que cela posera les bases d’une paix durable qui a si longtemps échappé à la région. Cela permettra également les investissements responsables dont la région à besoin, des investissements respectueux des normes environnementales, valorisant les travailleurs et garantissant traçabilité et fiabilité. Nous abordons cette tâche avec humilité et une profonde conscience que la résolution de ces problèmes persistants, notamment ceux d’identité, de foncier et de sécurité, nécessitera une collaboration multiforme. C’est pourquoi nous soutenons fermement le cadre de l’UA, présidé par le président Togolais Faure Gnassingbé», a-t-elle encore déclaré.
En attendant, des pressions s’exercent sur Paul Kagame. Le 24 mai 2025, un groupe de sénateurs américains (Jim Risch, Jeanne Shaheen, Chris Coons, Ted Cruz, Texas, Cory Booker, et John Cornyn) avaient signé une déclaration conjointe soulignant l’importance de la sécurité, de la stabilité et de la prospérité en Afrique centrale pour leur pays. Ces législateurs américains ont dénoncé les violences perpétrées depuis janvier 2025 à l’Est de la RDC, qui impliquent les forces armées de la région, leurs milices supplétives, dont le M23 soutenu par le Rwanda, ainsi que des organisations terroristes.
«Nous invitons toutes les parties à continuer à négocier de bonne foi et dans le respect de la Déclaration de principes, en s’appuyant sur les efforts dirigés par les Africains», avaient-ils conclu.
Légitimation internationale
Plusieurs observateurs voient dans les récentes victoires diplomatiques de la RDC une forme de pression exercée par les Etats-Unis et certains pays occidentaux pour faire comprendre à Paul Kagame que le vent tourne irrémédiablement en sa défaveur. L’élection de la RDC en qualité de membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies et à la vice-présidence de la prochaine assemblée générale de l’ONU ont reçu le soutien de toutes les grandes puissances, en tête desquelles les Etats-Unis. De même que le refus des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) d’accorder au Rwanda la présidence de l’organisation sous-régionale aurait été discrètement influencée par Washington, Berlin, et Londres qui ont pesé sur des Etats-membres clés comme l’Angola, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Congo-Brazzaville. «Soutenir la candidature de la RDC à un poste symboliquement fort au sein de l’ONU alors qu’elle fait face à une agression militaire dénote d’une certaine légitimation de ce pays comme puissance régionale», note à ce sujet, Didier Bokungu Ndjoli, un consultant congolais résidant aux Etats-Unis.
Il en est de même de la publication par la chaîne de télévision américaine NBC (6 juin 2025), d’images choc sur l’agression rwandaise à l’Est de la RDC, manifestement obtenues des services d’intelligence, traduisant ainsi une volonté de mettre un terme à la protection diplomatique accordée au Rwanda depuis le génocide de 1994. «Les Etats-Unis commencent à reconfigurer leur doctrine sécuritaire dans la région en se désolidarisant du Rwanda, autrefois partenaire clé dans la lutte contre les groupes armés et le terrorisme», avance encore Didier Bokungu.
Mémorandum USA/RDC/Zambie au deal
L’objectif final poursuivi par l’administration Trump est la mise en œuvre du deal minier à conclure avec Kinshasa, qui ne se limite pas à la simple extraction minière, selon ses concepteurs congolais et américains. L’accord minerais stratégiques contre sécurité s’enracine dans le Mémorandum USA/RDC/Zambie, signé en 2022 sous l’administration Bush, et réactivé par Donald Trump. Il prévoyait la construction de chaînes de valeur intégrées pour les batteries électriques ; le transfert de technologies propres ; le développement d’infrastructures ferroviaires (couloir de Lobito) et énergétiques. Il implique la mise en œuvre de l’industrialisation de la RDC et dépasse la logique extractive conduite sous la houlette des Chinois vers une politique de co-développement géoéconomique. Les Etats-Unis voudraient ainsi hisser le pays de Félix Tshisekedi au rang de partenaire pivot dans la rivalité technologique et énergétique qui les oppose à la Chine, estime-t-on. «La Chine n’a aucune tradition d’aide humanitaire dans le monde. Elle n’a aucun intérêt à le faire. Ce que Beijing sait faire, c’est de se rendre dans un pays pour accorder un prêt et ensuite, le faire payer, généralement en exigeant du partenaire de faire appel à une entreprise chinoise pour mener le projet. C’est ça l’initiative des ‘Nouvelles routes de la soie’», lit-on à ce sujet dans un média en ligne américain, daté du 4 juin 2025 qui assure que «alors que les Etats-Unis fournissent une aide au développement, la Chine, elle, fait tomber les pays dans le piège de l’endettement».
Tous les signaux convergent donc vers un changement du paradigme américain en Afrique centrale, de l’avis de Didier Bokungu qui estime que Kinshasa devient un point d’ancrage central pour la sécurisation des minerais stratégiques hors influence chinoise. Un objectif qui s’emboîte parfaitement avec la stabilisation de la région des Grands Lacs par le renforcement des acteurs institutionnels et légitimes ainsi que la réaffirmation du droit international face à toute forme d’agression transfrontalière.
J.N. AVEC LE MAXIMUM