L’opposant congolais, Martin Fayulu Madidi a fait sensation lundi 2 juin 2025 en exécutant un de ces virages à 90° dont les acteurs politiques congolais détiennent le secret. Et sans doute, le record. Dans une communication sur les réseaux sociaux, le président de l’Engagement citoyen pour le développement (Ecidé) a bruyamment tourné le dos à l’ancien président de la République, Joseph Kabila. Un mois plus tôt, ce candidat malheureux aux présidentielles 2018 et 2023 avait co-signé une déclaration commune avec l’ancien président, appelant au dialogue entre congolais.
Le ton a été sans appel ni circonlocutions. «L’histoire ne pardonnera pas les trahisons», a lancé Martin Fayulu à l’ancien président de la République, qui gîte hardiment à Goma, la ville martyre du Nord-Kivu sous occupation de l’armée rwandaise et des rebelles de l’AFC/M23. «Je vous exhorte à quitter Goma – cette ville martyre, aujourd’hui occupée avec la complicité des forces ennemies», lui a-t-il encore asséné, tout en réitérant l’appel au dialogue au sujet duquel ils s’étaient convenus le 1er mai dernier. C’est le «seul chemin pour la rédemption de nos erreurs du passé», estime cet acteur politique, également patron de Lamuka, une plateforme née aux lendemains des Accords de Genève en 2018. «Aucune raison, même stratégique, ne saurait justifier une collaboration avec ceux qui déchirent notre pays», a encore fait remarquer Fayulu, faisant clairement allusion à la collusion entre l’ancien président de la République et les forces d’occupation installées à l’Est du territoire national.
A Corneille Nangaa, l’ancien président de la CENI devenu chef d’une rébellion alliée au M23 et à Kigali, Martin Fayulu demande de «cesser d’être complice des massacres de nos frères et sœurs, de livrer notre sol, nos vies et nos ressources aux forces étrangères. Le sang congolais ne peut plus couler avec votre complicité. Aucune ambition ne vaut le prix de la souffrance de tout un peuple».
Virage à 90°
La surprise du chef dans le virage à 90° du candidat malheureux aux deux dernières présidentielles organisées en RDC fut cet appel à son challenger et vainqueur, Félix-Antoine Tshisekedi. C’était de notoriété publique, depuis 2018, lorsque Fayulu doubla le président de l’UDPS en se faisant désigner candidat unique de l’opposition politique à la présidentielle à sa place à l’aide d’artifices tribalo-ethniques, les deux hommes se regardaient en chiens de faïence. Une animosité que les triomphes électoraux de Tshisekedi n’a en rien arrangé, Martin Fayulu se considérant, à tort ou à raison, comme le vrai président élu de la RDC en décembre 2018.
Lundi dernier, Martin Fayulu en a surpris plus d’un en tendant la main au président Tshisekedi «en vue d’un dialogue direct, sans conditions préalables». Il s’agit, selon lui, d’un acte de patriotisme dénué de tout calcul politique, posé en raison du danger qui guette la RDC, «non pas pour une faveur, mais pour une discussion sincère, sans faux-semblants, afin de trouver une issue digne à cette crise existentielle».
Mardi 3 juin, sur les antennes de TV5 Afrique, le candidat malheureux à la présidentielle 2023 est revenu sur les idées forces de sa sortie médiatisée de la veille. «Que fait Joseph Kabila à Goma, une zone occupée par le M23 ? Il n’a rien à y faire, il doit quitter les lieux. Le dialogue ne se tiendra pas à Goma, et encore moins sous la menace des armes», a-t-il déclaré, en instant sur la nécessité pour tout le monde déposer les armes.
A l’intention du président Tshisekedi, Martin Fayulu révèle qu’il a l’intention de le persuader du fait qu’il «n’y a pas de solution militaire à la crise. Qu’il faut que les Congolais dialoguent pour trouver une solution pérenne à la guerre».
Appel au dialogue
Et le dialogue version Martin Fayulu, devrait être conduit par les pères de l’église catholique avec lesquels il s’est déjà entretenu à cet effet et à qui il aurait confié la mission salvatrice, selon ses dires. Même s’il reste qu’aux termes de la déclaration conjointe, également signée par Delly Sessanga, Moïse Katumbi, et Joseph Kabila, la paternité de l’appel aux prélats n’est attribuée à aucun des 4 leaders de l’opposition.
Lundi 2 juin 2025, la présidence de la République a répondu avec promptitude à l’appel de Fayulu à rencontrer Félix Tshisekedi. Dans un posting sur son compte X, Tina Salama, porte-parole du président de la République a annoncé que «le président de la République salue le patriotisme et le sens d’engagement pour la cohésion nationale affichés par M. Martin Fayulu et affirme sa disponibilité à le rencontrer pour sauver la République de la prédation qui menace nos institutions et notre intégrité territoriale». Même si aucune date n’a été avancée pour ce faire.

Jusqu’au moment où nous mettions sous presse, jeudi 5 juin 2025, aucune réaction n’était enregistrée du côté de l’ancien président de la République, Joseph Kabila. Des informations en provenance de Goma indiquaient que l’ancien sénateur à vie poursuivait les concertations avec les couches de la population locale qu’il a lancées depuis le 29 mai. Sans concertation aucune avec ses collègues de l’opposition co-signataires d’une déclaration commune appelant au dialogue début mai 2025.
Cet activisme en territoires notoirement sous contrôle de l’armée rwandaise et des rebelles de l’AFC/M23 gène manifestement aux encolures les autres signataires, selon les observateurs, qui estiment que certains parmi eux pourraient faire défection de l’entente naissante apparue il y a un mois. D’autant plus que des fuites distillées sur les réseaux sociaux et dans certains médias révèlent que le communiqué du quator d’opposants du 1er mai 2025 avait expressément omis de citer nommément le Rwanda et d’évoquer son rôle dans la crise congolaise sur demande (ou exigence) de l’ancien président de la République.
La solution congolaise fragilisée
L’appel au dialogue signé par Joseph Kabila, Martin Fayulu, Delly Sessanga et Moïse Katumbi, faisait pourtant la part belle à l’ancien président de la République, quasiment écarté, autant que les autres signataires, des négociations de paix en RDC entreprises par l’administration Trump, la diplomatie qatarie et l’Union africaine. Elle en prenait le contre-pied en appelant à une solution congolaise emmenée par les pères des églises catholique et protestante. Ce dialogue devrait, selon eux, identifier les causes profondes de la crise et proposer des solutions durables. Plutôt que de se limiter aux causes externes, à l’instar de l’agression rwandaise.
A l’évidence, lancé par Martin Fayulu, l’appel au dialogue avec Félix Tshisekedi fragilise et compromet la reconfiguration de l’opposition esquissée avec la déclaration conjointe de mai dernier. Dans l’opinion en RDC, la volte-face du candidat malheureux aux deux dernières présidentielles organisées en RDC, fait d’autant plus grand bruit qu’elle laisse entrevoir une possible alliance Tshisekedi–Fayulu. Elle s’inscrirait dans le prolongement d’un autre appel au dialogue, lancé par le président de la République en vue de consolider l’unité face à l’agression rwandaise et à la rébellion AFC/M23. Fin février 2025, le président de la République avait, en effet, confié à son conseiller spécial en matière de sécurité, Casimir Eberande Kolongele, la mission de consulter les acteurs politiques de l’opposition et la société civile en vue de la formation d’un gouvernement d’union nationale. L’offre, également adressée aux acteurs politiques de l’opposition, avait été déclinée par Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Delly Sessanga et Joseph Kabila, entre autres.
Retour au camp de la patrie
Dans l’opinion publique, il en est de plus en plus qui planchent sur la présence de Martin Fayulu à la tête d’un tel gouvernement d’union nationale dans les jours, semaines et mois à venir. Même si l’intéressé se défend du moindre calcul politique derrière son appel au dialogue avec celui qui était jusqu’à il y a quelques jours son pire adversaire politique.
Selon certains observateurs, le dernier virage politique de Martin Fayulu est un retour dans les rangs, plutôt salvateur, pour cet acteur politique qui ne s’est jamais aussi bien porté dans l’opinion que lorsqu’il s’aligne derrière les thèses de l’opposition traditionnelle. «Il (Martin Fayulu) a tenté de faire cavalier seul depuis le conclave de Genève, mais ça ne lui a pas réussi, malgré le soutien de l’église catholique», explique cet analyse de l’université de Kinshasa, pour qui l’opposant a ainsi «perdu l’équivalent de plus d’un mandat présidentiel passé au chômage».
De ce point de vue, Fayulu aurait tout à gagner à ne pas se compromettre dans l’aventurisme militaire de Joseph Kabila. Elle ne laisse que de faibles perspectives d’expressions d’ambitions démocratiques autres que la sienne, estiment-on.
J.N.