Le Conseil supérieur de l’audiovisuelle et de la communication (CSAC) frappe très fort. Mardi 3 juin 2025, Christian Bosembe, président de l’institution d’appui à la démocratie a annoncé l’interdiction pour Joseph Kabila et le PPRD des médias et des réseaux sociaux en RDC. La décision soulève une levée de boucliers, dans la classe politique et dans la profession médiatique.
La décision annoncée sur les antennes de la radio Top Congo et diffusée sur You Tube a tôt fait de parcourir les réseaux sociaux et de provoquer des réactions en sens divers. «Il est interdit aux journalistes, aux médias … de diffuser, de commenter ou de donner la parole aux responsables du PPRD. Les propos et les activités de Joseph Kabila sont également interdits», a expliqué Bosembe, justifiant sa décision par la nécessité de «ne pas offrir de tribune de subversion» à ceux qui ont choisi de prendre les armes contre leur pays. «Ce n’est pas une censure. Aucun droit n’a été violé. Il ne faut pas faire de la télévision une tribune de subversion», a expliqué Christian Bosembe, faisant état d’une mesure conservatoire prise par le bureau du CSAC.
La décision de l’institution d’appui à la démocratie fait manifestement suite à la mesure d’interdiction des activités du PPRD, prise par le gouvernement de la RDC, le 20 avril 2025. Toutes les activités de l’ancien parti présidentiel étaient interdites en raison de son «attitude ambiguë» face à l’occupation d’une partie du territoire congolais par le M23, assurait le communiqué publié par le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur, Jacquemin Shabani.
Les joséphites aux abois
Parmi les réactions les plus virulentes enregistrées mardi dernier, figurent celles des membres de l’ancien parti présidentiel, qui prennent le soin de s’exprimer à titre personnel ou au nom du Front Commun pour le Congo (FCC), la plateforme politique des josephites. Parmi eux, Ferdinand Kambere, secrétaire permanent du PPRD, particulièrement courroucé mardi dernier après s’être fait débarquer d’une émission sur la radio onusienne Okapi, en raison de la décision annoncée par le CSAC. «Suite à cette décision bonne en dictature, Radio Okapi me débarque du «Dialogue entre Congolais» de ce soir sur le discours de Martin Fayulu qui a accusé, sans preuves, l’ancien président Joseph Kabila Kabange et lui a exigé de quitter Goma. Il dit vouloir avoir un tête-à-tête avec Félix Tshisekedi, crachant sur le pacte CENCO-ECC qu’il vantait», s’est-il écrié.
Marie-Ange Mushobekwa, ancienne ministre Kabila des Droits humains, est montée sur ses grands chevaux, elle aussi. Pour dénoncer ce qu’elle présente comme une «dérive totalitaire de Monsieur Christian Bosembe». L’ancienne ministre PPRD se lance dans une véritable diatribe enseignante. «Il y a trois mois, vous aviez interdit au peuple ainsi qu’à tous les médias congolais de parler du M23/AFC ainsi que du Rwanda. Mais quelques mois plus tard, sans que vous n’ayiez levé officiellement cette mesure abusive, nous avons vu sur la RTNC, notre chaîne nationale, diffuser des informations annonçant les pourparlers avec le M23/AFC à Doha, et nous montrant des images de certaines autorités de la République en compagnie de certaines autorités rwandaises quelque part dans le monde, sans nous donner une quelconque explication», écrit-elle.
Dérive dictatoriale ?
Viennent ensuite les leçons, en forme d’interrogations. «Savez-vous que vous devez des explications au peuple congolais qui est le souverain primaire ? Savez vous que le peuple représente la source de légitimité de l’Etat ?», fulmine-t-elle.
Quelques heures plus tôt, Patrick Nkanga Bekonda, cadre de l’ancien parti présidentiel interdit d’activités, dénonçait un abus de pouvoir dans le chef du président du CSAC. «Sur quel fondement juridique le président du CSAC peut interdire à tout un parti politique ainsi qu’à ses animateurs d’être reçus dans les médias et de voir leurs messages relayés», interrogeait-il sur son compte X.
Même parmi les journalistes, il en est qui n’ont pas apprécié cette décision qui prive beaucoup d’entre eux de sources d’informations plutôt ‘‘juteuses’’ depuis la réapparition de Joseph Kabila sur la scène politique nationale. A l’instar de Odia Elysée, une journaliste indépendante qui estime que «la simple parole du président du CSAC ne fait pas force de loi. J’attends au mieux une directive écrite de cette institution d’appui à la démocratie, au pire, un communiqué», réagit-elle en indiquant se réserver le droit d’attaquer la décision du CSAC en justice. «C’est pour défendre mes droits, nos droits. Nous ne sommes pas le Rwanda. Nous sommes la RDC. Nous ne sommes pas une dictature mais une démocratie. Dans ce front médiatique, nous n’allons pas combattre les agresseurs avec leurs armes, mais avec nos armes. Elles sont bien meilleures», enrage encore Mme Odia, très remontée contre la décision du CSAC.
Mais la décision du bureau du CSAC ne dérange pas tout le monde et ses chauds partisans ne sont pas dépourvus d’arguments.
Libertés confisquées en territoires occupés
Et en termes de fronts et de guerre, justement, certains font remarquer que les rebelles kabilistes privent de la même manière les compatriotes des territoires occupés de leurs droits et libertés les plus élémentaires, particulièrement la liberté d’expression.
«Aucun parti politique opposé à la rébellion et au Rwanda n’a le droit de s’exprimer à Goma, Bukavu et partout au Nord et au Sud-Kivu occupés», fait ainsi remarquer un confrère qui a trouvé refuge à Beni après l’occupation du chef-lieu du Nord Kivu. «Ici, non seulement nous n’avons pas le droit de rapporter les informations du gouvernement, mais il y a pire, la sanction se traduit souvent par une balle dans la tête, ou un enlèvement pour les plus chanceux», explique-t-il.
De ce point de vue, les thuriféraires de l’ancien parti présidentiel «devraient avoir honte de revendiquer les droits dont ils privent nos compatriotes dans les territoires qu’ils écument à l’Est du pays», commente ce parlementaire debout rencontré au siège du parti présidentiel à Limete. L’homme salue ce qu’il considère comme une mesure de réciprocité dont l’issue devrait être trouvée aux termes des négociations à venir entre les forces d’occupation et les autorités légalement établies à Kinshasa. «Pas de liberté d’expression à l’Est, pas de liberté de diffusion des exploits rebelles à l’Ouest», tranche-t-il, au bout d’une diatribe très appréciée par son entourage.
Contrer l’apologie de la rébellion
Il n’en reste pas moins que la décision du bureau du CSAC pose un problème de fond, non négligeable en soi, qui relève de la salubrité publique : celui de l’apologie de la rébellion, comme celui de l’apologie de toutes les valeurs négatives contre-productives pour le vivre-ensemble. D’aucuns estiment à ce sujet qu’il n’y a pas lieu d’abuser des libertés démocratiques au point d’encourager l’arbitraire rebelle. «La liberté n’est pas un alibi pour la subversion», soutient ainsi Patrick Eale, un internaute kinois qui commente la décision du CSAC. Autrement, «pourquoi ne pas diffuser, au journal de 20 h sur la RTNC, les propos de Pero Luwara appelant l’armée à faire un coup d’Etat ?», interroge Patrick Eale qui rappelle qu’«au Royaume-Uni, les représentants de l’IRA, un groupe terroriste réclamant l’indépendance de l’Irlande du Nord, ont été interdits d’accès aux médias par l’autorité de régulation audiovisuelle». Garantir la liberté, c’est aussi refuser qu’elle devienne l’alibi qui rêve de faire tomber la République par la force, de son point de vue.
En attendant, Joseph Kabila, les rebelles et les membres du PPRD en seront quittes pour s’exprimer dans les réseaux sociaux. Pour autant que le CSAC ne soit pas capable de les en empêcher.
J.M.