Pour sa troisième sortie médiatique en l’espace de quelques mois, le président de la République honoraire, a déversé une diatribe très critique à l’administration Félix Tshisekedi qui lui a succédé depuis décembre 2018. Joseph Kabila a dénoncé une gouvernance chaotique caractérisée par la corruption et les détournements des deniers publics, le chômage les arriérés de salaires, la baisse du niveau de vie, l’exode rural, la criminalité urbaine, etc. Mais aussi, la montée de l’insécurité dans les provinces de l’Est du pays et du Bandundu, à la base d’une « crise profonde et multidimensionnelle ».
Les propos de l’ancien chef d’Etat congolais ont sonné aux oreilles de bon nombre de ses compatriotes comme une vieille « antienne », selon les termes de Steve Mbikayi, un de ses anciens ministres. Et lui ont attiré une salve de répliques, quasiment de toutes parts. «Il ne s’agit que d’une reprise des griefs ressassés que l’opposition martèle depuis des lustres» écrit Mbikayi dans un posting, le 27 mai 2025. Selon lui, «nul ne peut sérieusement soutenir que la condition du peuple congolais sous son règne était plus enviable qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les défis restent identiques : pauvreté endémique, insécurité chronique, chômage massif ». L’ancien syndicaliste de l’ONATRA, aujourd’hui président du Parti Travailliste (PT), critique la décision de Joseph Kabila de « mettre fin à la tyrannie » sans mandat du peuple qu’il considère comme « un appel à la rupture institutionnelle. Si tel est le cas, alors celui que l’on saluait naguère comme sage, artisan de la première alternance pacifique de la RDC se métamorphose en promoteur d’une alternance par les armes », ponctue-t-il.
Analyse économique biaisée
D’autres détracteurs du discours de Kabila du 23 mai se focalisent davantage sur ses critiques à l’encontre de la gestion de son successeur. A l’instar de Miguel Kashal Katemb, le patron katangais de l’Autorité de régulation de la sous-traitance dans le secteur privé (ARSP). «La sous-traitance était jadis l’apanage de l’ancien président Joseph Kabila et de sa famille qui en avaient fait leur chasse gardée avec des contrats signés à l’extérieur du pays et l’argent viré dans les comptes bancaires offshore», dénonce cet acteur-clé du secteur dont on ne peut pas dire qu’il ignore de quoi il parle. «Certains opérateurs économiques ont toujours pensé que l’ancien président de la République donnait l’impression d’avoir fait voter la loi fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé pour l’intérêt de ses entreprises privées et celles de sa famille», révèle encore Miguel Katemb. Sous l’administration Félix Tshisekedi, la situation paraît plus reluisante. «Plus de 2 milliards USD qui échappaient jadis au circuit financier interne sont captés en RDC au profit des entreprises locales, favorisant ainsi le développement de la chaîne de valeur locale », écrit encore le patron de l’ARSP.
Le pays le moins endetté de la région
Les propos du désormais ex-sénateur à vie au sujet de l’endettement de la RDC ont, eux aussi, rencontré une réplique de la part du député national UDPS, Flory Mapamboli, qui affirme que «la RDC est le pays le moins endetté en Afrique subsaharienne » et se demande comment les conseillers du président honoraire ont pu passer à côté de cette réalité. «Notre dette publique est à moins 16 % de notre PIB, contre 60 % en moyenne en Afrique subsaharienne. La Zambie est à 121 % », précise-t-il.
Sur ce chapitre économique qui a fait les choux gras de l’adresse kabiliste, d’autres détracteurs du chef de l’Etat honoraire rappellent l’échec des programmes économiques du gouvernement initiés par son administration, qui ont tous échoué et n’ont pu être conclus. Tout le contraire des programmes similaires, entrepris par l’administration Tshisekedi, dont celui conclu positivement en 2024 avec les institutions de Bretton Woods.
On relève ainsi la maîtrise particulière de l’inflation, ramenée sous la barre de 10 %, la stabilisation relative du FC, la monnaie nationale et le maintien de la croissance, malgré le contexte économique vicié par la guerre d’agression qui dure depuis 2021.
L’affirmation de Joseph Kabila selon laquelle les fonctionnaires accusent des arriérés salariaux est, elle aussi, formellement démentie. «Aucun fonctionnaire ne connaît des retards de paiement de l’ère Golgotha », assure-t-on. Même la corruption, bien réelle, dénoncée par l’ancien président de la République, ne connaît pas les mêmes proportions qu’à son époque, selon ses sources. «La corruption reste un défi. Mais aujourd’hui, il y a des procès pour détournement des fonds qu’on n’avait jamais vu auparavant. C’est un progrès qui mérite d’être soutenu », indiquent ses sources proches du ministère congolais des Finances.
Une économie résiliente, selon le FMI
Au terme d’une mission d’évaluation diligentée en RDC, le FMI a annoncé, le 13 mai 2025, la conclusion d’un accord préliminaire sur la première revue du programme économique et financier triennal soutenu par la Facilité élargie de crédit (FEC). L’institution de Bretton Woods a salué, à cette occasion, «la résilience de l’économie congolaise qui a enregistré une croissance de 6,5 % en 2024, portée principalement par la performance soutenue du secteur extractif. Les perspectives pour 2025 restent optimistes, avec une croissance projetée au-dessus de 5 % », selon communiqué.
Au regard de ces répliques aux affirmations pour le moins gratuites de Joseph Kabila sur la situation économique du pays sous l’administration de son successeur, nombre d’observateurs n’hésitent plus à conclure : l’ex-sénateur à vie aura raté une occasion de se taire.
A tout prendre, le mutisme dans lequel il s’est emmuré hermétiquement durant son règne était d’or. En ce qu’il le protégeait d’affirmations à la légère et, pour tout dire, mensongères.
J.N.