La finalisation d’un projet d’accord de paix entre la RDC et le Rwanda dans le cadre des négociations de Washington et de Doha est attendue mi-juin 2025. L’événement, qui se tiendra devant le président américain, Donald J. Trump et quelques chefs d’Etats étrangers, sera précédé de négociations accélérées entre les parties au conflit et les négociateurs. La RDC et le Rwanda ont fait parvenir mardi 2 mai 2025 à la médiation américaine leurs projets d’accord de paix à consolider au cours d’une réunion avec les plénipotentiaires des deux belligérants au cours de la dernière semaine du mois de mai, selon Olivier Nduhungirehe, le ministre rwandais des Affaires étrangères.
Le train des négociations vers la mise en œuvre de la pax americana dans les Grands Lacs africains, particulièrement, dans la partie Est de la RDC file donc à grande vitesse. C’est le moment que choisissent la France et l’Union Européenne avec elle pour s’inviter aux débats dans un dossier qu’ils n’ont eu de cesse de tirer à hue et à dia pendant près de trente ans au profit de leurs intérêts, de l’avis de la plupart des Congolais. On rappelle en effet que ce conflit de l’Est rd congolais a provoqué l’une des plus grandes hécatombes humanitaires de la planète, avec une dizaine de millions de morts et quelques 7 millions de déplacés internes en RDC à fin décembre 2024. Sans compter l’occupation de certaines agglomérations des provinces du Nord et du Sud-Kivu début janvier 2025 par l’armée rwandaise et ses supplétifs de l’AFC/M23.
Mi-mars 2025, l’Union Européenne avait fini par annoncer de timides sanctions contre le Rwanda pour son agression avérée de la RDC et son soutien aux renégats de l’AFC/M23. Des sanctions qui visent des chefs militaires rwandais et un responsable du secteur minier du pays des Mille collines. Mais pas Paul Kagame, l’auteur intellectuel et coordonnateur de toutes les cinq agressions ciblant la RDC à partir du Rwanda depuis 1994. et qui ne se gêne plus d’en revendiquer la paternité.
Indifférence face au drame congolais
Le 19 février 2024, l’Union européenne avait fait scandale en signant avec Kigali un protocole d’accord sur les chaînes de valeur durables pour des matières première dont le Rwanda est notoirement dépourvu. La coopération étroite à naître de ce protocole d’accord prévoyait, entre autres, «la coopération en vue de parvenir à une production et une valorisation durables et responsables des matières premières critiques et stratégiques».
Face au tollé soulevé par la signature de cet accord qui consacre sa posture de receleur des minerais pillés en RDC par les phalanges de Kagame, l’Union européenne a fait semblant de reculer en annonçant sa suspension dans la foulée des sanctions prononcées contre le Rwanda en mars dernier. Même si l’application de cette décision demeure, aujourd’hui encore, purement théorique.
D’aucuns au Congo-Kinshasa se disent estomaqués de voir les Européens revendiquer un rôle dans les négociations pour le retour de la paix en RDC et faire des pieds et des mains pour se ménager une sphère d’influence dans les processus engagés par les Etats-Unis et le Qatar.
En tournée dans la région des Grands Lacs, Johan Borgstam, Représentant spécial de l’UE, a fait part de son soutien à ces démarches qui semblent avoir atteint un point de non-retour. En prenant soin de rappeler à l’attention des médiateurs américains et qataris les efforts entrepris au niveau régional par l’EAC et la SADC, lesquels tournaient en rond depuis plus d’un an. «Nous encourageons vraiment la conclusion d’un accord de paix qui soit coordonné avec les efforts en cours dans la région, dans un esprit de ce qu’on appelle solution africaine aux problèmes africains, c’est-à-dire que c’est important que toutes les initiatives actuelles assurent et renforcent le processus régional de l’EAC-SADC. Mon séjour en RDC souligne l’engagement continu de l’UE aux solutions politiques face au conflit dans l’Est de votre pays. Il n’y a pas et il n’existe pas de solution militaire par rapport à la situation de l’Est de la RDC», avait déclaré pince-sans-rires Johan Borgstam le 1er mai 2025, appelant ainsi à un dialogue, un de plus, pour régler le conflit congolo-rwandais.
Tentative de survie
Nombre d’observateurs voient dans la stratégie de l’Union Européenne une tentative désespérée de survie face à l’évolution décisive des processus de Washington et de Doha. Elle survient alors que les représentants de la RDC, du Rwanda, du Qatar, des Etats-Unis et de la France, réunis à Doha le 30 avril 2025, avaient réaffirmé leur engagement commun en faveur de la paix et la stabilité dans la région des Grands Lacs sans les atermoiements habituels autour d’interminables dialogues qui prennent les allures de manœuvres dilatoires.
Que les cyniques décideurs européens soient laissés en plan ne peut que réjouir l’opinion publique et une partie significative de la classe politique rd congolaises qui considèrent que les différents dialogues sponsorisés par l’UE autour des agressions répétées du Rwanda contre la RDC avaient davantage profité à Kigali en lui permettant de conserver sa main mise sur des pans entiers du territoire congolais par divers stratagèmes et mascarades.
L’appel de l’Union européenne en faveur des solutions africaines (African ownership), qui ont plus que révélé leurs limites depuis trois décennies de conflit à l’Est de la RDC, a trouvé des relais dans les rangs d’une opposition politique congolaise passablement dépassée par la tournure prise par les événements. C’est au sein de cette opposition que des voix s’élèvent pour en appeler à un dialogue qui la replacerait sur l’orbite du pouvoir.
Relais locaux
Mercredi 7 mai 2025, le gynécologue Denis Mukwege a ainsi, au cours d’une conférence de presse animée au Parlement européen à Strasbourg, exhorté les Européens à peser de tout leur poids dans l’accord de paix attendu entre la RDC et le Rwanda. «Il est très difficile de comprendre que l’on tente de résoudre la crise dans la région des Grands Lacs sans transparence et sans inclusion. L’UE est un partenaire important, mais malheureusement elle n’est pas impliquée», a déploré ce médecin honoré par les Occidentaux d’un prix Nobel de la paix en 2018 pour sa lutte contre les violences sexuelles comme arme de guerre.
«Notre compatriote Denis Mukwege ne démontre pas en quoi les devoirs de redevabilité et d’inclusion des élites politiques congolaises s’étendent aussi à l’Union européenne qui n’a eu de cesse elle-même de plaider pour l’African ownership (solutions africaines aux problèmes africains)», réplique Lambert Mende Omalanga, député national et membre du Présidium de l’Union sacrée de la nation de Félix Tshisekedi qui déplore que «ce respectable acteur humanitaire n’a jamais osé dénoncer les bénéficiaires occidentaux de l’instabilité entretenue à l’Est de la RDC, dont les sévices sexuels sur les femmes ne sont qu’un épiphénomène. Son plaidoyer favorable à une intervention de l’UE dans la résolution d’une crise à laquelle elle n’a jamais montré un empressement particulier à mettre un terme, n’a aucune pertinence ». L’élu de Lodja estime en outre que «ceux qui ne voit dans l’accord de principes convenu entre Kinshasa et Kigali le 25 avril 2025 à Washington, qu’une demande à deux pays de gérer ensemble des ressources naturelles sans parler de justice ne prennent pas en compte les principes de souveraineté, de non-agression et de non-ingérence dans les affaires internes de chaque pays, et de gestion autonome des territoires des deux pays et de cessation des hostilités qui y sont repris expressis verbis».
L’entrisme de l’UE dans les processus de Washington et de Doha laisse transparaître une approche exclusivement mercantiliste, entièrement dépendante des intérêts économiques des intervenants allochtones dans la crise de l’Est de la RDC, de nature à entretenir et à faire durer les souffrances des populations congolaises. Mercredi dernier au Parlement européen, Hilde Vautmans (Open Vld), a exhorté la Commission européenne à davantage d’activisme dans le dossier rwando-congolais. « Dans le cadre de son programme ‘America First’, Donald Trump veut s’approprier une partie des richesses congolaises. Il s’agit d’un néocolonialisme non dissimulé. La Commission ne doit pas laisser faire et doit empêcher le gouvernement congolais de signer l’accord», a-t-elle déclaré sans mettre de gants. L’Eurodéputée est allée plus loin, appelant la Commission à présenter une contre-offre «dans laquelle les partenaires européens et la RDC prennent en charge l’extraction des mines, dans le respect de la souveraineté congolaise, des droits sociaux du peuple congolais et de l’environnement».
Sur la pacification des territoires congolais, personne n’a enregistré à ce jour la moindre contre-offre de l’UE.
J.N.