L’instruction du procès contre l’ancien 1er ministre, Augustin Matata Ponyo et ses co-accusés dans la tristement célèbre affaire du Parc agro-industriel de Bukangalonzo a pris une vitesse de croisière. Relancée le 14 avril 2025 après une longue interruption, l’instruction du dossier à la Cour constitutionnelle a déjà enregistré deux audiences. Le verdict sera prononcé dans un mois, le 14 mai 2025.
A l’avant-dernière audience de cette affaire consacrée au détournement des fonds publics décaissés dans le cadre de la mise en œuvre du projet du Parc agro-industriel de Bukangalonzo, mercredi 23 avril 2025, le Procureur général près la Cour constitutionnelle a prononcé son réquisitoire contre les prévenus Matata Ponyo, Grobler Kristo Stephanus et Deogratias Mutombo. 20 ans de servitude pénale assortis de 10 ans d’inéligibilité ont été requis contre l’ancien premier ministre, Augustin Matata. Son principal co-accusé, Grobler Kristo Stephanus, homme d’affaires sudafricain et patron de la firme Africom, devrait écoper de 20 ans de servitude pénale lui aussi. Tandis que l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Déogratias Mutombo pourrait s’en tirer avec 20 ans de servitude pénale assortis de 5 ans d’inéligibilité. L’organe de la loi a également demandé l’arrestation immédiate de l’ancien premier ministre.
L’audience du mercredi dernier a été marqué par le défaut de comparution des trois prévenus. La défense de l’ancien premier ministre avait annoncé, quelques jours plus tôt, son refus de prendre part aux audiences faute du respect par la haute cour des immunités parlementaires de l’élu de Kindu (Maniema). Alors que l’homme d’affaires sudafricain avait présenté un rapport médical pour justifier son absence. Mais le document a été jugé non conforme parce qu’il n’était pas contresigné par trois médecins, selon les prescrits de la loi.
Débats houleux
La reprise du procès Matata Ponyo, présenté comme un procès politique par ses avocats et ses partisans, a suscité des débats houleux dans l’opinion. A l’audience du lundi 14 avril dernier, la défense du prévenu Matata Ponyo, premier ministre au moment des faits, avait notamment demandé à la haute cour de se déclarer incompétente, le juge naturel du prévenu en sa qualité d’ancien premier ministre étant le tribunal de grande instance, ou la Cour de cassation, en sa qualité de député national, selon elle. L’action engagée contre le prévenu était, de ce point de vue, irrecevable en l’état.
Prenant la parole à cette occasion, Augustin Matata a dénoncé le caractère politique du procès ouvert à son encontre par la haute cour, égrenant la bagatelle de 44 violations de la constitution enregistrées depuis la genèse de l’affaire Bukangalonzo.
Mais le ministère public a soutenu, en guise de réplique, que le prévenu était justiciable de la cour constitutionnelle et que son nouveau statut (député national) n’avait pas d’effet sur la procédure déjà engagée, parce qu’acquis alors que le procès était déjà en cours.
Pour répondre à la préoccupation de la cour de savoir si le prévenu confirmait qu’un montant de 204 millions USD avait été libéré par le Trésor public et remis à la société sudafricaine Africom pour la gestion du Parc agro-industriel de Bukangalonzo, la partie Matata a sollicité et obtenu une remise afin de rencontrer la préoccupation de la cour. Avant de se défiler.
Immunités parlementaires
Dans une correspondance adressée au président de la haute cour, lundi 21 avril, Augustin Matata s’est appuyé sur une déclaration du président de l’Assemblée nationale exhortant la cour constitutionnelle à une collaboration interinstitutionnelle sur ce dossier. «Les poursuites diligentées contre le député national Matata Ponyo que je suis dans la cause sous R.P.0002, sont inconstitutionnelles et violent également le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, en ce que ces poursuites sont exercées contre un député national que je suis, couvert par mes immunités parlementaires», a écrit l’élu de Kindu, rappelant que la plénière avait «décidé que la cour constitutionnelle puisse se conformer à la procédure telle qu’édictée par la constitution et le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale».
Le président de la Cour constitutionnelle a profité de l’audience du mercredi 23 avril pour recadrer subtilement l’Assemblée nationale dont le président s’était fendu, quelques jours plutôt, d’une déclaration appelant la haute cour à une collaboration interinstitutionnelle pour statuer sur le dossier du député Matata Ponyo.
Se fondant sur l’article 151 de la constitution, Dieudonné Kamuleta a rappelé le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs, en vigueur en RDC aussi. «Toute loi dont l’objectif est manifestement de fournir une solution à un procès en cours est nulle et de nul effet», a-t-il soutenu, ajoutant que «l’Assemblée nationale ne peut ni donner des injonctions, ni intervenir dans un procès en cours». Même si les députés sont libres de s’exprimer comme ils l’entendent, selon lui. «L’institution Assemblée nationale n’a pris aucune position, aucune décision qui ait été portée à la connaissance de la haute cour», a révélé le président de la haute cour. Tout en assurant que «L’indépendance du pouvoir judiciaire est consacrée et l’interaction entre différentes institutions doit être respectée. L’Assemblée nationale ne peut ni donner injonction au pouvoir judiciaire, ni intervenir dans un procès en cours».
Intention de détourner de la conception à l’exécution
A l’audience du mercredi 23 avril dernier, le Procureur général près la Cour constitutionnelle avait longuement justifié les peines sollicitées à l’encontre des trois prévenus.
Selon lui, Augustin Matata Ponyo avait été le concepteur, l’exécuteur et le gestionnaire du projet du Parc agro-industriel de Bukangalonzo.
A ces titres, c’est lui qui ordonnait tous les paiements, sans la participation du ministère de tutelle à aucune phase de la procédure d’engagement des fonds, au niveau du site de mise en œuvre des travaux, ou au niveau des audits effectués. L’intention de détourner allait de la conception à l’exécution du projet, a-t-il conclu.
La participation criminelle retenue à charge de l’homme d’affaires sudafricain, Christo Grobler, réside dans le fait que son entreprise (Africom Commodities) et lui ont servi de tonneau de danaïde à l’engloutissement des fonds publics décaissés : c’est la caisse noire qui résorbait tous les fonds, l’aide indispensable sans lequel les détournements n’auraient pu s’opérer.
Déogratias Mutombo, l’ancien gouverneur de la Banque centrale a, pour sa part, péché par une négligence coupable. Lorsque Matata Ponyo débloquait 4.800.000 USD/mois pour le projet Bukangalonzo, le gouverneur s’était abstenu de s’intéresser à la manière dont ces fonds étaient utilisés. Les ordres de paiement en procédure d’urgence exécutés n’ont pas été suivis. La Banque centrale du Congo a payé 14 fois ce montant, que M.Grobler affirme n’avoir jamais reçu. Interrogée sur le sujet, la BCC a déclaré ne pas disposer des codes Swift attestant du transfert des fonds décaissés aux banques commerciales. Et le gouverneur de la BCC n’a jamais vérifié l’existence de ces codes Swift, trahissant une légèreté coupable aux yeux du ministère public.
Succession de faux fuyants
Ouvert en mai 2021, le désormais célèbre procès Matata Ponyo demeure une suite interminable de faux-fuyants dans le chef de l’ancien premier ministre de Joseph Kabila, devenu sénateur puis député national qui n’a jamais cessé de dénoncer «une justice politiquement instrumentalisée», en multipliant les astuces pour se prémunir contre les poursuites à son encontre.
L’ancien premier ministre est poursuivi pour dilapidation de près de 300 millions USD affectés au projet de la ferme agro-industriel de Bukangalonzo. Selon les conclusions d’enquêtes menées par les services de l’Inspection générale des Finances, «le projet du Parc agro-industriel de Bukangalonzo est un échec désastreux qui a coûté à la République plus de 287 millions USD et que son instigateur, l’ancien premier ministre, est bien l’auteur intellectuel, matériel et principal de cet échec ainsi que des détournements qui ont eu lieu».
J.N.