Sur le tard, plusieurs semaines après les Etats-Unis et même le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’UE a annoncé de timides sanctions ciblées contre Kigali, le 17 mars 2025. Comme à contrecœur. Empêtré jusqu’aux omoplates dans des deals sécuritaires et commerciaux avec Kigali, Bruxelles s’est contorsionné pour ne pas perdre la face tout en préservant ce qui lui reste d’intérêts sur le continent africain. Mais sa complicité dans les tueries et les pillages des minerais en RDC n’est plus que secret de polichinelle.
Mardi 15 août 2025, Global Witness a jeté un nouveau pavé dans la marre en révélant que Traxys, le négociant international de matières premières basé au Luxembourg, se gave de coltan pillé en RDC et introduit illégalement au Rwanda. Selon l’Ong britannique, ce sont au total quelque 280 tonnes de ce minerais stratégique que Traxys s’est procurés au Rwanda pour la seule année 2024, alimentant ainsi les rebelles du M23 soutenus par l’armée rwandaise qui écument les mines de Rubaya au Nord-Kivu.
La nouvelle enquête de Global Witness sur l’exploitation des minerais de sang révèle que la luxembourgeoise acquiert en exclusivité les minerais prétendument rwandais mis sur le marché par African Panther Resources Limited au Rwanda. Des témoignages recueillis par les enquêteurs révèlent qu’il s’agit du coltan importé illégalement des mines congolaises de Rubaya au Nord Kivu, et de surcroit, taxés par les rebelles du M23 à raison de 15 % du prix de vente. «L’augmentation des exportations (de African Panther Resources Limited, Ndlr) coïncide avec l’escalade de la guerre au Nord-Kivu et l’intensification de la contrebande de coltan de conflit en provenance de Rubaya, ce qui suggère qu’une part importante des exportations d’African Panther en 2024 a été introduite clandestinement depuis les zones de conflit en RDC», notent les rapporteurs.
Du coltan blanc congolais noirci au Rwanda
Et, parmi les entreprises fournisseurs d’African Panther figure au moins une entreprise déjà citée dans un rapport d’experts onusiens de 2012 pour avoir vendu des minerais étiquetés comme provenant d’une mine dont aucune activité d’extraction n’était connue ni en cours. Tandis qu’une autre était notoirement signalée en 2008 pour avoir acheté des minerais de conflit en RDC.
Interrogés par les enquêteurs, des responsables de Traxys et de African Panther ont assuré qu’ils vérifient l’origine du coltan qu’ils achètent en fonction du ratio de tantale et de nobium, deux éléments du coltan. Et que le coltan congolais de Rubaya, également appelé «coltan blanc», contient plus de tantale et moins de nobium que le « coltan noir » du Rwanda.
Mais, un rapport du groupe d’experts onusiens citant des preuves datant de 2015 renseigne qu’une fois arrivé au Rwanda, le « coltan blanc » de la RDC est systématiquement noirci ou mélangé à du coltan noir produit au Rwanda afin de dissimuler l’origine des minerais de contrebande, indique encore Global Witness.
Les achats de coltan de Traxys au pays de Paul Kagame se sont intensifiés depuis 2023, alors qu’il apparaissait déjà clairement qu’il s’agissait de minerais en provenance de la région de Masisi introduits illégalement au Rwanda, d’après les rapports d’experts onusiens, rappellent-ils.
Selon les experts onusiens, au moins 120 tonnes de coltan sont clandestinement importées de Rubaya chaque mois, augmentant exponentiellement les chiffres des exportations rwandaises estimées à 630 tonnes pour le seul premier trimestre 2024.
Accords économiques luxembourgeois
Début mars 2025, Thierry Mariani avait déjà dénonncé la supercherie en révélant les relations économiques liant le Luxembourg au Rwanda. Selon le député européen, les deux Etats étaient liés depuis 2021 par un important projet économique portant sur la création du «Kigali International Finance Center». Le projet chiffré à 9,3 millions d’Euros d’investissement visait à stimuler le secteur privé rwandais et à attirer les investissements étrangers, en principe. Mais en réalité, il s’agissait d’une vaste opération de « blanchiment d’images pour le régime sanguinaire de Kigali, qui prospère et s’enrichit sur le chaos régional, l’exploitation illégale des richesses congolaises et le massacre des populations de l’Est de la RDC », selon Thierry Mariani.
Les relations économiques entre le Luxembourg et le Rwanda viennent ainsi s’ajouter aux relations qui lient la France d’Emmanuel Macron au pays de Paul Kagame. Elles tiennent des investissements de la française Total Energies dans un projet d’exploitation d’un énorme gisement de gaz naturel au large du Mozambique, dans la région de Cabo Delgado.
On parle de réserves gazières estimées à 4.500 milliards de mètres cubes dans le seul bassin de Rovuma, et l’investissement de Total Energies dépasse les 20 milliards d’euros. C’est le plus gros investissement jamais réalisé par le géant pétrolier sur le contient, qui porte sur la construction de deux trains de liquéfaction d’une capacité de 13,1 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL)/an, et des infrastructures portuaires pour son exportation.
Seulement, l’activisme djihadiste des rebelles Mozambicains d’Ansar al-Sunnah (affilié à l’Etat islamique) perturbe les projets de Total Energies. Au cours d’une attaque fulgurante, en mars 2021, les rebelles conquièrent la ville portuaire de Palma, distante de seulement quelques km du site gazier d’Afungi.
Elle contraint TotalEnergies à évacuer le chantier de construction des usines de GNL et suspend le projet sans s’acquitter des pénalités. Les appels en faveur d’une intervention militaire extérieure s’accroissent et le Mozambique se voit contraint de solliciter de l’aide militaire extérieure, de la SADC et du Rwanda (suggérée par la France), en août 2021.
Accords économiques et sécuritaires au Cabo Delgado
Avec le soutien de l’armée rwandaise (près de 2.500 hommes), les troupes mozambicaines reprennent la ville de Mocimboa da Praia, place forte djihadiste, et sécurisent un périmètre autour du site de TotalEnergies. Et c’était parti pour une convergence d’intérêts franco-rwandais et européens qui n’est pas encore démentie à ce jour.
A l’initiative de la France, l’UE a accordé un soutien de 20 millions d’euros aux troupes rwandaises au Mozambique, via le mécanisme de Facilité européenne pour la paix (FEP). Alors que depuis 2022, les entreprises rwandaises sont associées aux intérêts de TotalEnergies au Mozambique, notamment dans le secteur de la sécurité et du BTP. Plus avant, en janvier 2022, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, s’était offert une escale à Kigali pour inaugurer une antenne locale de l’entreprise et signer un protocole portant sur le développement énergétique du pays.
C’est la même France qui a appuyé la nouvelle demande de financement européen de 20 millions d’euros que le Rwanda a exprimée, début 2024, pour soutenir sa présence militaire contre l’Etat islamique au Mozambique. Le Portugal et l’Italie l’ont également soutenue, alors que la Belgique s’y est opposée, provoquant l’ajournement de la décision.
Et si, ainsi que l’affirmait dans un tweet, en février 2025, son Ambassade de France en RDC, «les principaux clients de minerais venus du Rwanda ne sont ni la France, ni l’UE. La France n’apparait même pas dans les 30 premières destinations d’exportations de minerais », il reste que Bolloré Transport & Logistics Rwanda (BTL Rwanda), une filiale de la multinationale française, est l’un des plus grands transporteurs de minerais du Rwanda à l’étranger, selon la journaliste Canadienne, Judi Rever.
Millions d’euros contre millions de morts
Pour ces raisons et beaucoup d’autres de la même veine, l’UE, la France et le Luxembourg ont choisi de fermer les yeux sur le drame de l’Est rd congolais. Des milliers de morts et de déplacés ne pèsent guère, comparés aux millions d’euros investis et à brasser, au Mozambique ou en RDC.
Le 17 mars 2025, l’Union européenne avait fini par annoncer des sanctions ciblées contre Kigali, après que le Luxembourg s’y fut opposé quelques jours plus tôt, retardant la décision attendue des 27. Elles visent neuf personnalités rwandaises et congolaises, une entité ainsi que le gel de 20 millions d’euros débloqués par l’UE en novembre 2024 dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix.
Mais les sanctions annoncées ne perturbent en rien le système de prédation mis en place par Paul Kagame pour poursuivre la guerre et le pillage des minerais en RDC. Selon les observateurs, ces sanctions individuelles sont inopérantes dans une guerre d’occupation. Elles ne neutralisent pas les forces négatives visées, n’inversent pas le rapport des forces sur le terrain. Et les personnes sanctionnées sont remplaçables.
Pire encore, notent certains, les Occidentaux ont évité de décréter un embargo sur les armes contre le Rwanda, alors même que ce pays envahisseur poursuit ses conquêtes territoriales chez son voisin congolais. On ne fait pas mieux en termes de complicité criminelle.
J.N.