Homme d’affaires connu pour avoir présenté sa candidature à la présidentielle 2023 en RDC, avant de se désister en faveur du candidat malheureux à la même élection, Moïse Katumbi, Seth Kikuni a été interpellé par les services de sécurité le 2 septembre 2024. Conduit dans les locaux de l’Agence nationale des renseignements (ANR) à la Gombe, en compagnie de deux de ses collaborateurs, le patron de Pistes pour l’émergence, un petit parti politique non représenté au parlement, y a été retenu.
Mercredi 4 septembre en début de soirée, Roger Lubambula et Gabriel Musafiri, les deux collaborateurs arrêtés en compagnie de Kikuni la veille, ont été relaxés par l’ANR. Le candidat malheureux aux deux dernières présidentielles organisées en RDC en 2018 et en 2023 a, lui, été maintenu en détention et n’avait pas encore pu rencontrer sa famille et ses proches, selon ses avocats.
Jusqu’au moment où nous mettions sous presse, les motifs de l’interpellation de Kikuni par les services de sécurité n’étaient pas encore communiqués. Même si l’on sait que ces dernières semaines, l’opposant demeuré proche de Moïse Katumbi avait multiplié des déclarations publiques incendiaires, à la limite de l’incitation à la révolte populaire et au tribalisme. A l’instar des propos tenus devant un parterre de sympathisants dans le Haut-Katanga, que Seth Kikuni a carrément appelé à se révolter sous prétexte de sensibilisation à la résistance. «Je ne m’adresse pas seulement à vous hommes, femmes, jeunes de Lubumbashi réunis dans ce haut cadre. Je m’adresse en réalité à tous les grands katangais. Mon message est simple : le Congo va mal et tout le monde se lamente. Le Congo va mal parce que le Grand Katanga va mal. Le Congo va mal parce que vous les grands katangais, des résistants, des guerriers, des combattants, des révolutionnaires, vous faites semblant de ne pas voir et de ne pas voir ce que même les aveugles et les sourds ont déjà vu et entendu. Les katangais font semblant de ne pas voir qu’ils sont en réalité les premières victimes de la création, de l’intolérance, de la dictature, des insultes du régime en place», avait-il lancé à la cantonade, le 27 août 2024. Avant de préciser ses idées : «Ce qu’il faut savoir est que le Grand Katanga contribue à plus de 80 % au budget national. Cela veut dire que les Congolais qui (souffrent) prient tous les jours pour l’abondance du Grand Katanga. Aujourd’hui vous êtes humiliés, vous êtes insultés. Le Grand Katanga est aujourd’hui transformé en un grand forage. IL y a même des gens qui commencent à penser que vous ne méritez plus le Grand Katanga. La communauté internationale commence à penser que nous ne méritons plus la RDC. Tellement nous sommes assis sur des énormes richesses mais nous visons dans la plus grande pauvreté. Je répète et j’insiste : Réveillez-vous. Levez-vous. Bravez la peur. Apprenez définitivement à dire non».
Propos dangereux dans un pays fragile
Dans une province qui a déjà connu au moins deux épurations ethniques consécutives aux incitations à la haine tribale, les propos de cet originaire du Maniema ont choqué plus d’un. A l’instar de Serge Tshiani, un internaute qui estimait le 28 août que «Monsieur Kikuni a dit des choses graves à Lubumbashi qui mériteraient qu’il soit convoqué et entendu par le parquet. Notre Etat est fragile. Nous parlons d’un pays qui a connu deux épurations ethniques avec des discriminations de certains de nos compatriotes dans l’Est. Nous parlons d’un pays qui fait face à des agressions extérieures avec comme prétexte des discriminations de certains. Sur ces questions, l’Etat ne devrait pas avoir la main molle».
L’interpellation de Seth Kikuni a, ainsi qu’on pouvait s’y attendre, suscité de vives réactions dans les travées de l’opposition, où l’on condamne et appelle à sa relaxation immédiate. A commencer par le Cadre de concertations des forces politiques et sociales, une création du candidat malheureux aux dernières présidentielles, qui dénonce «une action manifestement orchestrée, (qui) démontre une volonté délibérée du régime de museler toute voie dissidente». Le 2 septembre, Moïse Katumbi a lui aussi condamné «avec la plus grande fermeté l’arrestation de notre camarade Seth Kikuni dont le seul crime est d’avoir usé de sa liberté d’expression». Un acte «intolérable (qui) ne fait qu’entretenir les divisions entre Congolais et entraîne la RDC sur une pente dangereuse», selon lui. Même son de cloche et mêmes abus de stéréotypes langagiers chez Olivier Kamitatu, directeur de cabinet de Moïse Katumbi, pour qui «la RD Congo devient chaque jour davantage la prison à ciel ouvert évoquée autrefois par feu Cardinal Laurent Monsengwo». Ce speaker de l’Assemblée nationale et président de parti politique estime que «l’arrestation brutale de Seth Kikuni, dont le seul « crime » est d’avoir le courage de dire la vérité, en est la preuve indiscutable. Cette violation flagrante de l’Etat de droit met en lumière le fossé entre le discours du régime et la réalité sordide que nous visons, marquée par les abus, la répression, la corruption, les massacres et la violence politique ».
Liberté c/ Libertinage
Mais, beaucoup d’autres acteurs politiques, ceux qui sont proches de la majorité au pouvoir essentiellement, ainsi que des acteurs de la société civile estiment méritée l’interpellation de Kikuni. Parce qu’il y a lieu de ne pas confondre liberté et libertinage, selon Noël Tshiani Mwandianvita, un acteur connu pour sa proposition d’une loi sur la nationalité d’origine congolaise. «Le libertinage est une liberté qui ne respecte pas la loi et les principes sociaux établis. Le libertinage conduit à l’anarchie, à la violation des libertés et droits des autres», écrit-il sur son compte X. Alors qu’une internaute, Nathalie Kahasha, estime que l’opposition politique ne doit pas se transformer en une plateforme de propos incendiaires qui mettent l’unité nationale. Selon elle, l’arrestation de Seth Kikuni est amplement justifiée. «Non seulement il a violé la constitution en tenant des propos séparatistes, mais il a aussi manqué à son devoir citoyen et, encore plus, à celui d’un ancien candidat présidentiel, de protéger et de défendre l’unité de notre nation», estime-t-elle. Là où d’autres encore évoquent des lois qui sanctionnent les crimes dont s’est rendu coupable l’ancien candidat président de la République. A l’instar de cette Ordonnance-Loi relative à la répression du tribalisme et du racisme (1966) dont l’article 1er stipule que «quiconque, soit par paroles, gestes, écrits, images ou emblèmes, soit par tout autre moyen, aura manifesté de l’aversion ou de la haine raciale, ethnique, tribale ou régionale, aura commis un acte de nature à provoquer cette aversion ou cette haine est puni d’une servitude pénale d’un mois à deux ans… »
Contre Seth Kikuni, des motifs de détention et d’incarcération ne font pas défaut, selon des observateurs.
J.N. AVEC LE MAXIMUM