De retour d’un séjour aux Etats-Unis, le 31 août 2024, Martin Fayulu a précisé le thème du dialogue politique qu’il appelle de tous ses vœux (Vérité-Réconciliation-Cohésion nationale) et les questions auxquelles il doit répondre (Comment pouvons-nous actionner l’article 64 de la Constitution, et recouvrer notre intégrité territoriale?; Que faire pour résoudre les problèmes internes de mal gouvernance, de corruption, de détournement des deniers publics et des droits humains ? ; Comment réformer nos institutions, notamment le processus électoral, afin de garantir des élections crédibles, transparentes, impartiales et apaisées ?). Sans rallier grand’monde. Le patron du Front Commun de l’Opposition, de Lamuka et de l’Ecidé représente à lui seul un problème politique, assurent ses détracteurs.
Accueil en fanfares par quelques centaines de militants, qui l’ont accompagné jusqu’au lieu du meeting animé au terrain Mambenga, préféré pour la circonstance à l’immense Place Ste Thérèse de Ndjili… Martin Fayulu et ses partisans ont mis les petits plats dans les grands, samedi 31 août, à l’occasion du retour au pays du candidat malheureux aux dernières présidentielles. Après un séjour aux Etats-Unis d’Amérique, présenté comme une participation à la Convention du parti démocrate de Kamala Harris et Cie, assaisonné par un appel insistant à l’organisation d’un énième dialogue politique sous l’égide des évêques catholiques pour favoriser la cohésion nationale face à l’agression du pays, le président de l’ECIDé tenait manifestement à frapper les esprits pour marquer sa rentrée politique.
Il fallait, pour ce faire, être revêtu de tous ses apparats d’opposant politique au pouvoir en place, après que des rumeurs annonçant son ralliement au camp Tshisekedi eurent amplement circulé. Martin Fayulu n’a pas loupé l’occasion en dénonçant ce qu’il a présenté comme des graves problèmes occasionnés par la gouvernance de l’Union sacrée, notamment l’occupation de plus d’une centaine de localités congolaises par le M23, l’insécurité générale, à l’instar de celui causé par les miliciens Mombondo, le banditisme urbain de type Kuluna à Kinshasa, etc. Autant de raisons valables, à ses yeux, pour en appeler à la cohésion nationale. «C’est une réponse efficace aux défis actuels», a assuré le président de l’ECIDé à son auditoire. «La vérité, la cohésion et la réconciliation nationales doivent guider les actions des Congolais», a encore soutenu Fayulu, soulignant néanmoins qu’elles ne doivent pas se réduire à un partage du pouvoir. Elles doivent aborder des questions fondamentales telles que la fin de la guerre à l’Est, la restauration de l’intégrité territoriale, l’éradication de la mauvaise gestion et des détournements des deniers publics. «De sérieuses discussions autour des réformes institutionnelles sont nécessaires pour redresser le pays», a-t-il encore martelé.
Dialogue de cohésion nationale
Lundi 2 septembre, Fayulu est revenu à la charge. «Les parties prenantes congolaises doivent se mettre autour d’une table, sous la facilitation de nos pères spirituels. Thème de la rencontre : vérité-réconciliation-cohésion nationale». Selon lui, il ne s’agit pas de recréer un gouvernement de transition de type 1 + 4 ou «union sacrée», mais d’un cadre où les parties prenantes répondront à trois questions fondamentales :
«a. Comment pouvons-nous actionner l’article 64 de la Constitution, et recouvrer notre intégrité territoriale?
b. Que faire pour résoudre les problèmes internes de mal gouvernance, de corruption, de détournement des deniers publics et des droits humains ?
c. Comment réformer nos institutions, notamment le processus électoral, afin de garantir des élections crédibles, transparentes, impartiales et apaisées ?».
Parmi les réactions favorables à l’appel au dialogue du candidat malheureux à la présidentielle 2018, on note celles de cadres d’Ensemble pour la République de Moïse Katumbi. Mardi 3 septembre, Laurent Onyemba a rapporté un échange avec Martin Fayulu autour du dialogue et de la cohésion nationale sur son compte X. Soit 24 heures après que Christian Mwando eut soutenu que «un dialogue entre frères ne peut jamais être refusé d’office, mais certains préalables doivent être fixés : Qui invite ; Qui participe ; Ordre du jour ; garanties d’exécution. Un dialogue organisé par la CENCO ne peut être rejeté».
L’ECC propose ses bons offices
Le même lundi 2 septembre, l’Eglise du christ au Congo (ECC) s’est déclarée disposée à offrir ses bons offices pour réunir sous l’arbre à palabre des Congolais proches du pouvoir, de l’opposition et de la société civile afin de discuter de la réconciliation, la cohésion nationale, la sécurité et la paix en RDC. «S’il était demandé à l’ECC, qui a toujours appelé à ce dialogue entre les filles et les fils de notre Pays, de faire la médiation, en vue de la cohésion nationale, rassurez-vous qu’elle acceptera humblement cette tâche délicate. L’ECC sait qu’elle ne travaillera pas seule. Elle fera ce travail, ensemble avec les autres Congolais, pasteurs ou non, avec les politiques et la société civile, aux fins d’un nouveau départ pour le Congo et pour les Congolais réconciliés entre eux», a déclaré aux médias, le pasteur Maurice Mondengo, chargé de communication du représentant légal de l’ECC, Mgr Bokundoa-bo-Likabe.
Les précisions apportées par Martin Fayulu sur le contenu du dialogue proposé semblent avoir également vaincu les réticences du PT-PEP-AAAP Stève Mbikayi (Union sacrée). Pour autant qu’il s’agisse d’une demande adressée au président de la République «en vue d’une concertation de la classe politique pour consolider notre démocratie et faire échec à ceux qui veulent nous reculer en cherchant une alternance par les armes». Une démarche qui, de son point de vue, devrait conduire à la création d’un «camp des républicains» dont le but est de «nous mettre d’accord sur comment préserver l’intégrité territoriale, renforcer la transparence dans l’organisation des élections en vue d’éviter des contestations et des scandales que nous avons vécu avec la circulation des machines à voter, les validations/invalidations de certains compatriotes par la Cour constitutionnelle, l’auto proclamation de certains comme élus en dehors de la CENI et de la Cour constitutionnelle».
Gouvernement d’ouverture
L’ancien syndicaliste devenu ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire à la faveur des négociations de la Cité de l’UA, fin 2016, ne voit pas non plus d’inconvénient à ce que le dialogue Fayulu débouche sur la formation d’un nouveau gouvernement. Pourvu qu’il s’agisse «d’un gouvernement d’ouverture», par exemple, écrit-il le 2 septembre 2024. «La majorité pourrait s’ouvrir à l’opposition et les opposants qui voudraient la rejoindront. Ils laisseront les autres poursuivre le combat dans l’opposition», avance-t-il à ce sujet. Même si, selon lui, «pareille démarche ne nécessite pas la médiation de nos pères spirituels, ni d’autres Ketumile Masire, Edem Kodjo …», parce qu’il n’y a pas de vide juridique au sommet de l’Etat.
Sur cette idée de vide juridique au sommet, Stève Mbikayi insiste particulièrement. «Aujourd’hui, nous avons un président de la République issu des urnes, n’en déplaise aux contestataires. Il faut rappeler ici le fait que Donald Trump avait contesté l’élection de Joe Biden mais n’a pas fait de ce dernier un président illégitime. Etant donné que le mandat du chef de l’Etat court encore, nous n’avons pas besoin de facilitateurs qui se mettraient entre lui et les opposants en les mettant sur le même pied d’égalité», selon lui.
Mais l’ancien syndicaliste semble être le seul qui soutienne les propositions Fayulu pour un dialogue de cohésion nationale en RDC. Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, Didier Budimbu, ministre des Sports du gouvernement Judith Suminwa, rejette carrément la proposition du challenger de Félix Tshisekedi à la présidentielle 2019. «Il y a quelqu’un qui a gagné les élections. Le président Tshisekedi a gagné. Celui qui veut apporter sa contribution à l’édifice peut venir. La porte n’est pas fermée. Il n’est pas question de partage. Il existe une majorité au pouvoir. Je ne pense que ce soit opportun, ce dialogue. Quant à la CENCO, les évêques peuvent nous aider avec les prières. Ce sera une bonne chose», déclare-t-il.
Vil chantage
Même son de cloche chez le mobutiste récemment entré dans l’union sacrée André-Alain Atundu qui voit dans la proposition d’un dialogue politique «un vil chantage». «On ne peut pas convoquer un dialogue pour éroder l’autorité et la légitimité du chef de l’Etat face à l’étranger. On diminue son leadership, on diminue le poids du Congo. La proposition du dialogue qui cache un souci de partage du pouvoir est une proposition opaque. Au moment où tous les Congolais veulent mettre fin à la guerre, vous vous demandez mais quel part, comment récupérer ce que je n’ai pas pu avoir par les élections. Comme Tshisekedi est en train de se battre, peut-être qu’il sera plus tendre vis-à-vis de nous, ça s’est du chantage, un vil chantage», a-t-il déclaré au cours de l’émission ‘Le Débat Congolais’.
L’obstacle Fayulu
Plusieurs autres acteurs politiques et de la société civile se sont prononcés pour ou contre les propositions brandies par Martin Fayulu. Mais il en est beaucoup d’autres qui observent une certaine réserve, préférant voir la direction que prendront les échanges dans les jours à venir. Parmi eux, certains estiment que si l’idée d’un dialogue n’est pas mauvaise en elle-même, l’initiateur, en l’occurrence Martin Fayulu, est un réel problème.
Il est ainsi rappelé que le parcours politique du patron de l’ECIDé est jalonné par l’accaparement et la confiscation pour lui-même des efforts collectifs. A l’instar de la coalition Lamuka, née des négociations politiques entre opposants à Genève en 2018. Le rassemblement qui comptait des leaders politiques comme Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito ou encore Freddy Matungulu, Vital Kamerhe, Félix Tshisekedi, n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même, confisqué par Martin Fayulu et quelques affidés.
Quelques années auparavant, le même Fayulu s’était quasi miraculeusement retrouvé à la tête du Front Commun de l’Opposition. Le regroupement créé en 2013 pour faire face au pouvoir de Joseph Kabila comptait dans ses rangs des leaders politiques comme l’UNC Vital Kamerhe, l’UFC Léon Kengo, le Libéral Gilbert Kiakwama, le MLC Jean-Pierre Bemba, avant de fondre comme du beurre au soleil au profit du seul président de l’ECIDé.
L’adhésion au dialogue de cohésion nationale semble donc compromise, dès le départ, par la personnalité de Martin Fayulu.
J.N. AVEC LE MAXIMUM