C’est fait, depuis vendredi 28 juin 2024. La commune rurale de Kanyabayonga est passée entre les mains des agresseurs RDF-UPDF-M23-AFC. Après d’âpres affrontements avec les FARDC soutenus par les Wazalendo, la citée qui ouvre la voie vers le Grand Nord-Kivu a enregistré l’entrée des troupes d’agression sur le coup de 17 heures locales, après que les troupes loyalistes s’en soient retirées.
Avec cette prise de Kanyabayonga, le front ouvert il y a plus de deux ans au Nord-Kivu par l’armée rwandaise et ses supplétifs s’est significativement étiré. Pour la première fois depuis des années, Kigali a réussi à pénétrer militairement sur les terres Nande, farouchement hostiles à tout ce qui se rapporte au Rwanda jusque-là. Ni le CNDP de Laurent Nkundabatware, l’ancêtre du M23, ni ce dernier, n’étaient parvenus à mettre le pied sur cette partie du Nord-Kivu réputée radicalement réfractaire à l’hégémonie tutsie.
Survenue 48 heures avant la commémoration de l’anniversaire de l’accession de la RDC à la souveraineté nationale et internationale, le 30 juin 1960, l’occupation de Kanyabayonga a provoqué une onde de choc à travers tout le pays. Dans la région, des réactions spontanées des populations à dominance Nande ont violemment manifesté leurs mécontentements, signe que la campagne militaire des Kagame boys chez les Nande ne devrait s’écouler comme un long fleuve tranquille.
Patrouilles populaires à Butembo
Dès samedi 29 juin 2024, Butembo, une vaste agglomération commerciale et capitale économique du Grand Nord Kivu, s’est retrouvé sens dessus sens dessous. De jeunes manifestants révoltés par la chute de Kanyabayonga avaient pris d’assaut des établissements hôteliers de la place soupçonnés héberger des éléments des FARDC dont la place était «au front et non dans des palaces de la ville», selon eux. Des témoins rapportent que l’Hôtel Believe, bien connu à Butembo, avait particulièrement été ciblé, essuyant des jets de pierres et autres projectiles, au point d’entraîner l’intervention des forces de l’ordre locales venues disperser les manifestants.
Après avoir organisé des tours de veille à travers la ville, les manifestants de Butembo ont poursuivi la fouille des établissements hôteliers dimanche 30 juin, à la recherche de tout ce qui ressemble à un élément des forces armées nationales. De même qu’ils ont érigé des checkpoints entre Butembo et Beni, la capitale administrative du Grand Nord-Kivu, distante d’une cinquantaine de km.
Dans la foulée de ces réactions de révolte, des manifestants en patrouille sur la route Butembo-Kanyabayonga s’en sont pris à cinq véhicules d’un convoi humanitaire de l’ONG Tearfund près de Lubero. L’incident survenu à Kavunano dans la nuit de dimanche 30 juin à lundi 1er juillet s’est soldé par l’incendie de ces véhicules qui se rendaient à Beni. Selon des sources, au moins deux personnes auraient trouvé la mort au cours de cet incident, du reste déploré et condamné par OCHA quelques heures plus tard.
Dans l’ensemble, au moins 15 personnes ont été lynchées et molestées à divers degrés en l’espace de quelques jours dans la région de Butembo et Lubero, selon des médias. Parmi elles, on dénombre six militaires FARDC, accusées de collaboration avec l’ennemi.
Dimanche 30 juin à Kamogho (territoire de Lubero), six personnes, dont 2 militaires ont été mortellement lynchées au cours d’incidents entre forces de l’ordre et jeunes manifestants en colère, rapportent ces sources.
Réunion du Conseil supérieur de la défense
A ce chapitre de réactions à la chute de Kanyabayonga, il sied de signaler cette réunion du Conseil supérieur de la défense élargie, convoquée et présidée par le président Félix Tshisekedi à la Cité de l’Union Africaine à Kinshasa, samedi 29 juin 2024. Outre la première ministre, Judith Suminwa, revenue quelques heures plus tôt d’une mission de travail au Nord-Kivu, et de quelques membres du gouvernements, elle a connu la participation de hauts responsables de l’armée et des services de renseignements civils et militaires. Selon le compte rendu fait à l’issue de la rencontre par le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, des mesures avaient été proposées au chef de l’Etat par les autorités militaires pour reprendre le plus vite possible les différentes zones occupées par les rebelles du M23.
Dans un communiqué publié lundi 1er juillet 2024, la société civile du Nord-Kivu a, pour sa part, appelé le président Félix Tshisekedi à ordonner l’ouverture de combats généralisés sur toutes les lignes de front et à mettre fin au cessez-le-feu unilatéral des FARDC, à déployer des militaires bien formés et bien équipés pour sécuriser les frontières nationales.
Il reste que sur le terrain des affrontements dans la région, les troupes RDF-M23 ont tôt fait, samedi 29 juin, de mettre à profit l’avantage de la chute de Kanyabayonga pour conquérir, presque sans combattre, les agglomérations riveraines de Kayna et surtout Kirumba, un important centre commercial situé au Sud du territoire de Lubero.
Selon des sources dans la région, la prise de Kanyabayonga a été rendue possible par d’importants renforts reçus par les agresseurs. 4.000 éléments de troupes, essentiellement ougandaises, seraient venus à la rescousse des RDF-M23 pour faire tomber les villages-verrous de Miriki et Kamika, jeudi 27 juin 2024.
Kasehe, nouveau verrou FARDC
Repoussées, les FARDC ont établi leur première ligne de défense à Kasehe, un village situé sur la route Kanyabayonga-Butembo et s’y réorganisent. Lundi 1er juillet, des affrontements entre les FARDC soutenus par les Wazalendo ont été signalés sur la RN 2 entre Kaseghe et Rusorobya, en territoire de Lubero. Les affrontements se sont poursuivis mardi 2 juillet sur le même tronçon, des témoins rapportant des détonations d’armes lourdes et légères sur l’axe Kaseghe – Kirumba.
Selon des témoins, les forces assaillantes butent sur le nouveau verrou érigé par les forces loyalistes qui empêchent toute progression vers Lubero et Butembo au village d’Alimbongo.
Mercredi 3 juillet à Kirumba nouvellement occupé, le M23-AFC a organisé un meeting au cours duquel il a procédé à la nomination de nouvelles autorités territoriales. Un certain Josaphat Kakule Simisi, un autochtone Nande pur-sang, suppléant du député David Kamuha, ci-devant conseiller financier du gouverneur militaire du Nord-Kivu a été nommé bourgmestre de Kirumba. Ce cadre du BUREC, le parti politique du ministre national du Commerce extérieur, Julien Paluku Kahongya, a été présenté à la population au cours du meeting du mercredi 3 juillet 2024. Dans cette région Nande «qui a toujours préféré le deal au combat», selon les termes du professeur Bob Kabamba, l’adhésion d’un cadre d’un parti politique ayant pignon sur rue atteste de la rupture entre les populations à la base, farouchement hostiles à l’occupation, et certains membres de l’élite locale.
J.N. AVEC LE MAXIMUM