A cinq mois du quatrième cycle électoral depuis le dialogue intercongolais de Sun City en 2003 qui décida le règlement de la question de la légitimité du pouvoir politique en RDC par le recours ultime au souverain primaire (Accord global et inclusif), des voix s’élèvent au sein de la classe politique qui en appellent au report des scrutins de décembre prochain. Et, aussi surprenant que puissent paraître ces appels qui énervent la constitution (adoptée par référendum populaire) en vigueur dans notre pays en ce qu’elle prescrit l’organisation de scrutins électoraux au terme de chaque cycle de cinq années, la préoccupation, pourtant légitime relative au dépassement de ces délais constitutionnels communément surnommée «glissement de mandat» semble subitement et opportunément reléguée aux oubliettes. Quand bien même beaucoup parmi les Congolais demeurent encore marqués par les troubles populaires qu’elle occasionna dans certaines grandes agglomérations du pays, et des morts qu’ils provoquèrent.
Plus surprenant encore est le dernier appel à mettre en veilleuse les élections législatives et présidentielle de décembre prochain, lancé par le Comité Laïc de Coordination (CLC), cette organisation proche de certains évêques catholiques qui, il y a seulement quelques années, se révéla comme le fer de lance et porte-étendard de la lutte contre le phénomène de «glissement de mandat».
Bis repetita
On rappelle à cet effet que pour la seule période de décembre 2017 à février 2018, le même CLC avait organisé trois marches dites pacifiques sans itinéraires dans la ville de Kinshasa, qui connurent des fortunes diverses mais pas toujours heureuses pour tout le monde. A en juger par la tournure que prirent les événements politiques par la suite.
C’est encore le CLC qui, cinq ans plus tard, revient à la charge. «Peuple congolais, il n’est pas trop tard pour se ressaisir» est le titre de l’appel publié le 19 juillet 2023 et signé par Isidore Ndaywel et Justin Okana. Il se fonde sur l’aggravation de la crise sécuritaire qui secoue la RDC et marquée notamment par l’assassinat, le 13 juillet 2023 du député national et ancien ministre, Chérubin Okende Senga, pour avancer une curieuse piste de solution à ces différents problèmes. «L’enjeu, pour nous tous, est d’éviter que les élections aboutissent à un désordre général ou qu’elles conduisent à une solution de force qui ne puisse garantir la légitimité du pouvoir qui en serait issu», avance le CLC pour qui «il n’y a pas d’autre voie de sortie de crise que le dialogue entre le Chef de l’Etat et les principaux leaders politique et sociaux du pays (…) pour identifier les réponses les plus adéquates et les plus urgentes aux multiples équations du moment».
Le CLC conclut son appel à mettre entre parenthèses le processus électoral, voire, la démocratisation en cours en RDC elle-même, par une menace : «sans une solution consensuelle à cette crise, il (le CLC donc) se situera en première ligne pour défendre l’intérêt fondamental de la population», préviennent Ndaywel et Okana.
Argumentaire éculé
L’argumentaire développé par les animateurs du CLC ne résiste pas à l’analyse, même la plus superficielle, selon plusieurs observateurs peu enthousiasmés par la perspective de revivre les spectacles qu’offrent généralement les acteurs politiques du pays. Qui s’interrogent sur les motivations réelles de ce qui se révèle pour eux comme un appel à faire table rase des avancées sur la difficile mais héroïque voie de la démocratisation enclenchée depuis le défunt maréchal Mobutu en 1990.
Emmanuel Langa, finaliste en droit à l’Université Catholique du Congo (UCC), fait observer à cet effet que le CLC fonde son appel à substituer, même momentanément, les élections à un dialogue entre acteurs politiques et sociaux de la RDC sur un principe erroné. Car, s’il faut «éviter que les élections aboutissent à un désordre général ou qu’elles conduisent à une solution de force qui ne puisse garantir la légitimité du pouvoir qui en serait issu», ainsi que le soutiennent Isidore Ndaywel et Justin Okana, celasuppose que la non tenue des élections en décembre 2023 aboutirait à un ‘ordre général’ ou conduirait à ‘une solution pacifique’ susceptible de garantir la légitimité du pouvoir qui serait issu du dialogue proposé. «Rien n’est plus faux», estime-t-il.
L’histoire politique, ancienne et récente de la RD Congo est riche de faits de désordres socio-politiques dont la cause avancée fut la dénonciation des pouvoirs acquis par des voies non-démocratiques depuis 1960. De même que toutes les solutions prétendument pacifiques autour de l’exercice du pouvoir ont montré leurs limites intrinsèquement dramatiques : non seulement les consensus issus de dialogues politiques se sont généralement avérés éphémères, sans jamais réussir le pari de l’inclusivité. Rien n’indique qu’un énième dialogue politique en RDC aura plus de succès que les précédents ou qu’il fera l’unanimité, et sera une solution définitive aux problèmes du pays.
Certitudes contre incertitudes
Dans ces conditions, substituer les quatrièmes élections législatives et présidentielle rd congolaises à un dialogue politique aux résultats hypothétiques équivaudrait à substituer des certitudes et des acquis, même imparfaits, à de nouvelles incertitudes peu rassurantes. Le CLC, qui n’en est pas à son premier coup d’essai, engage les Congolais dans un jeu de hasard politique dans lequel «la seule certitude réside précisément dans ce que l’on met en veilleuse. Et nullement dans les promesses mirifiques d’un dialogue politicien de plus», explique pour sa part, ce professeur de philosophie politique dans la même université catholique, qui a requis l’anonymat.
Il y a donc lieu de s’interroger si le jeu en vaut la chandelle.
Ceux qui s’opposent à cet appel au dialogue du CLC soutiennent, par ailleurs, que la relation entre le consensus à obtenir du dialogue envisagé et l’amélioration de la situation sécuritaire paraît illusoire. Car à lui seul, le dialogue et le consensus hypothétique qui en découleraient ne sont pas de nature à faire taire les armes qui crépitent et endeuillent la RD Congo depuis près de 30 ans.
«L’Accord global et inclusif qui avait sanctionné le dialogue intercongolais de Sun City n’était-il pas supposé instaurer un nouvel ordre politique consensuel qui mette fin à la guerre en RD Congo ?», s’interroge encore Emmanuel Langa, qui tranche, péremptoire, qu’«il n’en a rien été. Sauf à considérer que les compatriotes qui subissent quotidiennement les affres des affrontements armés récurrents dans la partie Est du pays ne sont pas des Congolais».
L’autre solution à la crise
Dans cette dernière hypothèse, sans minimiser les proportions prises par l’insécurité récurrente dans nombre d’agglomérations de la RDC, moins encore la énième agression rwandaise et la menace qu’elle représente pour le processus de démocratisation, il ne faut pas perdre de vue qu’une solution sur le terrain reste possible. «Vaincre l’ennemi sur le terrain militaire et résoudre la question de la criminalité qui sévit dans le pays mérite autant de soutien que le dialogue proposé par les uns et les autres», estiment des analystes interrogés par Le Maximum qui reprochent au CLC et aux acteurs politiques qui en appellent à l’arrêt du processus électoral en cours de profiter de l’émotion ambiante pour «suggérer des solutions qui n’ont de solution que l’apparence». En effet, si les résultats d’un nouveau dialogue restent incertains, «l’appel à un nouveau saut vers l’inconnu ne vaut pas mieux que la poursuite du processus électoral en cours, même imparfait», selon Jacques Mutombo, spécialiste de géopolitique à l’Université de Kinshasa.
Il est rappelé à cet effet qu’en RDC, la démocratisation est un processus de restitution progressive mais déterminée du pouvoir au Souverain primaire afin de régler définitivement la question de la légitimité du pouvoir. En tant que tel, «c’est un chemin jalonné d’obstacles à surmonter», explique ce professeur de droit à l’université de Kinshasa. Qui estime que l’insécurité actuelle est entretenue à dessein pour «empêcher les Congolais de prendre en main leur destinée en se choisissant les dirigeants politiques de leur choix reste le principal obstacle à surmonter», et ne devrait donc pas être «une occasion pour renoncer aux sacrifices consentis depuis 2006».
De ce point de vue, arrêter ou mettre en veilleuse les progrès enregistrés sur la voie de la démocratisation en RDC, c’est faire le jeu des ennemis du peuple congolais qui apprend, petit à petit, à se prendre en charge en votant ses représentants à divers niveaux.
J.N. AVEC LE MAXIMUM