Un acteur politique de premier plan froidement assassiné en RDC, cela ne s’était plus produit depuis 1960, lorsqu’à l’instigation des puissances occidentales, le 1er ministre Patrice Lumumba et ses compagnons d’infortune, Mpolo et Okito, furent assassinés par les Belges et leurs collabos du Katanga sécessionnistes. Pourtant, jeudi 13 juillet 2023, le corps sans vie de Chérubin Okende Senga, député national et ancien ministre Ensemble pour la République (Opposition) porté disparu depuis la veille, avait été retrouvé à bord de son véhicule garé avenue des Poids lourds à Kinshasa.
L’onde de choc provoqué par la disparition brutale de cet originaire du Sankuru (comme Patrice Lumumba) a ébranlé l’opinion nationale ainsi que l’ensemble de la classe politique. Des rangs de l’opposition au pouvoir en place ont jailli aussitôt des réactions plutôt virulentes dénonçant ‘‘un crime d’Etat’’ et indexant les technostructures de l’Etat, voire, le président de la République en personne, accusé de vouloir ainsi museler ses adversaires politiques.
Dénonciations
Le FCC de Joseph Kabila, le groupe des candidats déclarés à la prochaine présidentielle particulièrement Sessanga, Katumbi et Matata, ainsi que le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege … tous ont dénoncé un meurtre survenu dans un climat d’insécurité caractéristique, selon eux d’une dérive dictatoriale du pouvoir tshisekediste. D’Abidjan où il participait à une réunion de la confédération africaine de football, Moïse Katumbi, patron d’ER et challenger déclaré de Félix Tshisekedi à la présidentielle de décembre prochain, s’est montré particulièrement caustique. «C’est un assassinat politique. Où est l’Etat de droit si on doit tuer quelqu’un s’il n’est pas d’accord avec la situation dans laquelle le pays fonctionne ? Nous allons faire une enquête indépendante pour savoir la vérité. On ne fait plus confiance en nos institutions», a-t-il déclaré sur RFI dans un français approximatif. Tout était dit dans ce message accusateur: la perte de confiance dans les institutions en place ressemblait fort bien à un appel à tout remettre à plat en RDC à quelques mois des scrutins honnis par une partie de l’opposition politique.
Expertis internationale
Le même jeudi 13 juillet 2023, le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi, manifestement bouleversé par la nouvelle de la mort de l’ancien ministre des Transports, a interrompu sa visite d’inspection des infrastructures destinées aux Jeux de la francophonie qui débutent le 28 juillet à Kinshasa pour présider une réunion de crise au sommet. D’où il fut décidé de recourir à l’expertise de détectives belges et sudafricains pour renforcer les équipes d’enquêtes à pied d’oeuvre à Kinshasa. Le 15 juillet 2023, Félix Tshisekedi n’a pas caché son émotion au cours du conseil des ministres hebdomadaire tenu sous sa direction et a réiteré ses instructions antérieures afin d’établir toute la vérité sur l’assassinat de Chérubin Okende et traduire les coupables devant la justice.
A hue et à dia
Il reste que dans l’opinion, chauffée à blanc par certaines des parties en présence dans le cadre de ce crime odieux, et au sein de la classe politique ça tire à hue et à dia, plus que jamais. La disparition brutale d’un des porte-paroles d’ER est capitalisée dans les rangs de l’opposition et d’une partie de la société civile pour en appeler à une remise à plat du processus démocratique. Carrément. Et l’instauration d’une période de transition que beaucoup sollicitaient déjà longtemps avant le décès de l’élu de la Lukunga au motif que le climat politique ne se prête pas ou, comme Martin Fayulu qui conteste la neutralité des institutions en place, que les conditions ne sont pas réunies pour ce faire. A défaut de cela, les uns et les autres menacent d’actionner l’article 64 de la constitution, c’est-à-dire, d’en appeler à la révolte populaire pour faire échec à ce qu’ils présentent comme une dictature.
Ce faisant, l’opposition s’attire l’ire d’une large frange de l’opinion qui considère qu’en voulant ainsi tirer le maximum d’une situation d’insécurité dans la capitale qui a culminé avec l’assassinat crapuleux d’un député national, s’accuse littéralement. L’assassin est celui qui profite du crime, entend-on ci et là. Plusieurs analystes qui battent en brèches la qualité d’opposant radical du défunt, rappellent de plus en plus que Chérubin Okende avait joué un rôle de premier plan dans la défenestration du cabinet FCC-CACH dirigé par le kabiliste Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Ce qui avait conduit inéluctablement au chavirement de la majorité FCC au profit de la nouvelle majorité parlementaire favorable à Félix Tshisekedi. Le député ER élu de Kinshasa a été en effet à la base de la motion de censure qui a fait tomber le 1er ministre FCC et l’ensemble de son gouvernement et ne comptait donc pas que des amis au sein de la partie de l’opposition politique demeurée fidèle à l’ancien président de la République, Joseph Kabila.
Mal aimé
Même au sein d’ER, il se murmure que l’infortuné n’était plus en odeur de sainteté avec ses camarades, voire, avec Moïse Katumbi, à qui il aurait réclamé sans succès des compensations consécutives à la renonciation à ses fonctions de ministre des Transports, selon des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux.
Fondées ou pas, ces conjectures se rejoignent dans le fond en ce qu’elles contribuent à envenimer les relations entre les acteurs politiques en RDC et partant, entre les Congolais. Et laissent transparaître un troisième larron susceptible tirer profit du chaos entretenu en RDC, le Rwanda de Paul Kagame. Agresseur récurrent de la RDC depuis 1996, Kigali qui occupe de fait une partie du territoire de ce pays a déjà fait preuve de sa capacité d’instrumentaliser les controverses qui traversent l’arène politique de son immense voisin à son gré. Fomenter un ou des assassinats politiques n’est pas pour rebuter les cyniques stratèges du Congo desk de Kigali.
Assassins sans frontières
La thèse d’un assassinat politique fomenté par la phalange extrémiste au pouvoir au Rwanda pour provoquer le chaos en RDC est d’autant plus plausible que Paul Kagame et ses hommes n’en seraient pas à leur premier exploit du genre. On rappelle à cet égard qu’avant le génocide de 1994, Félicien Gatabazi, un leader de l’opposition Hutu fut mystérieusement assassiné par des sbires du FPR de Kagame qui annonça sans vergogne au cours de ses obsèques qu’il vengerait le sang de sa victime. Selon Pierre Gahamanyi de l’opposition rwandaise, il ne fait aucun doute que c’est Kagame qui avait assassiné Gatabazi pour en faire porter le chapeau à Juvénal Habyarimana, le chef de l’Etat de l’époque.
Gahamanyi décrit également la situation sécuritaire délétère durant la période précédant le génocide au Rwanda, caractérisée notamment par l’apparition soudaine de nombreux organes de presse et de nouveaux partis politiques. «Nous avons découvert plus tard que ces organes de presse avaient été fondés par Kagame pour diviser les Rwandais», écrit-il.
Une situation qui n’est pas sans faire penser à la véritable inflation des relais médiatiques chargés de la diffusion des scoops les plus invraisemblables et les plus inadmissibles dans les médias et les réseaux sociaux en RDC. A l’instar de ces «médias météo» qui ont prédit avec un bel ensemble, l’enlèvement du pauvre Chérubin Okende.
Au-delà des acteurs politiques de l’opposition et du pouvoir, la thèse de l’assassinat de l’ancien ministre des Transports par des tueurs commandités par Kigali n’a rien d’absurde.
J.N. AVEC LE MAXIMUM