L’émoi et la consternation sont de mise à Kinshasa depuis la nouvelle du meurtre, le 12 juillet 2023, de l’ancien ministre des Transports et député national, Chérubin Okende Senga. Membre d’Ensemble pour la République (ER), le parti politique du milliardaire katangais Moïse Katumbi Chapwe, le défunt était également un des nombreux porte-paroles de l’ancien gouverneur du Katanga sous Joseph Kabila. Le corps sans vie de Chérubin Okende, un originaire du territoire de Lubefu au Sankuru, qui a grandi et fait ses classes à Kindu au Maniema avant d’être élu dans la circonscription kinoise de la Lukunga, a été retrouvé dans sa berline 4×4 Lexus abandonnée devant la porte d’un garage sur avenue des Poids Lourds/Limete aux petites heures de la matinée, suscitant au milieu de l’émoi général, des commentaires en sens divers.
Mystère
A l’heure actuelle, un épais brouillard entoure encore les circonstances du décès de ce sexagénaire, enseignant à l’université de Kinshasa, connu pour sa modération. Selon les services judiciaires qui ont aussitôt enclenché des enquêtes pour déterminer les causes de cette disparition tragique, Chérubin Okende a succombé à une balle manifestement tiré d’un pistolet trouvé à côté de lui sur le siège de sa voiture. Au moins deux personnes logiquement suspectes ont été interpellées et sont interrogées par la justice, le garde du corps du défunt, ainsi que son chauffeur.
A la demande du gouvernement central instruit par le président de la République, des enquêteurs belges et sudafricains appelés à la rescousse des services judiciaires congolais sont arrivés à Kinshasa le 16 juillet 2023. Les autorités congolaises comptent sur eux à la fois pour renforcer l’analyse scientifique des données de l’enquête et apporter davantage d’objectivité aux conclusions qui en découleront.
Agitations
La mort, hautement suspecte de l’ancien porte-parole de Moïse Katumbi, survenue à quelques mois des élections présidentielle et législatives prévues pour fin décembre en RDC, intervient dans un climat de vive tension exacerbée par la hantise et la psychose quasi générale qui entourent les scrutins dans ce pays. Aussitôt qu’avait été annoncé le décès brutal du député, son parti politique et une partie de l’opposition congolaise ont crié au crime d’Etat, pointant ainsi un doigt accusateur sur le pouvoir en place, voire, le président Félix Tshisekedi en personne. Pourtant, tout bien considéré, les compagnons politiques du défunt paraissent soupçonnables au plus haut point, eux aussi, du passage violent de vie à trépas de Chérubin Okende. En raison du fait que l’assassinat du député leur profite dès lors qu’il est de nature à incommoder le redoutable adversaire à la prochaine présidentielle qu’est Félix-Antoine Tshisekedi.
A cet égard, la vidéo d’une dame éplorée par la mort de M. Okende diffusée sur les réseaux sociaux quelques heures après la découverte du corps inerte de l’élu kinois a paru révélatrice à une large frange de l’opinion en RDC. Sous le choc et visiblement étreinte par une forte émotion, elle révélait en pleurant que le défunt n’était plus en odeur de sainteté dans le parti politique de Moïse Katumbi. Cette dame, présentée comme une proche du disparu accusait et dénonçait ainsi, quasiment, le chairman katangais et son entourage qui, piqués au vif, ont réagi prestement. Une contre-vidéo présentant une (autre) dame balbutiant des démentis assaisonnés d’excuses pour les propos prétendument tenus « sous le choc » par la première interlocutrice quelques heures plus tôt fut larguée sur les réseaux sociaux en fin de journée, sans vraiment parvenir à dissimuler la gêne qui rongeait les anciens amis politiques du défunt.
Manœuvres
En réalité, dans l’affaire Chérubin Okende, ER et les katumbistes n’ont eu de cesse de recourir à des expédients et des manœuvres alambiquées pour suggérer à l’opinion la thèse d’un crime devant être attribué au président Félix Tshisekedi. Curieusement, plusieurs heures avant la découverte de la dépouille mortelle de l’ancien ministre des Transports, la quasi-totalité de la constellation katumbiste avait annoncé l’enlèvement de Chérubin Okende en marge d’une invitation à se présenter à la Cour Constitutionnelle dont il faisait l’objet. Dès mardi 12 juillet 2023, Dieudonné Bolengetenge, secrétaire général d’ER, sonnait l’hallali en annonçant l’enlèvement du député assassiné « vers 15H00’ », suivi en cela par les relais du parti dans la presse et les réseaux sociaux.
Des initiatives qui paraissent aujourd’hui d’autant plus intrigantes que le même jour, le garde du corps du défunt avait retiré la correspondance qui l’attendait à 10H00’, avant d’en rapporter la réponse à 16H02’, accusés de réception des courriers faisant foi. Il semble donc clair que l’alerte de Bolengetenge relative à l’enlèvement, si enlèvement devant le siège de la haute cour il y a eu, a précédé d’une heure les faits dénoncés qui n’auraient pu en aucune manière se produire avant 16H00’ ce jour-là.
Absurdités
Loin de s’en tenir à ces comportements erratiques, les katumbistes ont foncé têtes baissées sur leur créneau pour conforter les accusations dont ils accablent le président de la République et tenter ainsi de dicter les contours de l’enquête criminelle. Intervenant sur une chaîne de télévision kinoise, Olivier Kamitatu Etsu, le principal porte-parole de Moïse Katumbi, exigeait une enquête indépendante associant, en plus d’experts en provenance de la Belgique et de l’Afrique du Sud qui avaient accepté d’offrir leurs services à leurs homologues congolais, ceux des Etats-Unis d’Amérique, et de la Monusco ainsi que de tous les Etats partenaires de la RDC disposant d’une expertise en la matière. « Nous ne voulons pas d’enquêteurs choisis » clamait-il, en faisant croire que la RDC était devenue le nombril de l’univers avec le pouvoir de réquisitionner à volo les experts de tous les États de la planète. Pour justifier cette exigence pour le moins loufoque, Kamitatu a évoqué « la responsabilité du pouvoir en place réside en ce qu’il est le seul détenteur d’armes à feu ». Une affirmation jugée aussi ubuesque que sophiste et démagogique par la plupart des observateurs qui rappellent que la RDC a notoirement perdu le contrôle et le monopole de la circulation d’armes à feu depuis la première agression du pays par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi en 1996. « Tous les pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays depuis le départ du Maréchal Mobutu s’affairent à enrayer l’insécurité récurrente née de l’invasion du pays et de la circulation hors du contrôle des services étatiques des armes de petit calibre. Aucun n’est encore parvenu à enrayer ce phénomène criminogène. Le pouvoir en place depuis fin 2018 n’échappe pas à cette situation », explique un officier général FARDC à la retraite.
Emile Lunianga, un étudiant dans une université de Kinshasa, avance à ce sujet que l’opposition politique en RDC n’est plus pacifique, comme à l’époque du défunt Etienne Tshisekedi, fondateur de l’UDPS. « Les dernières manifestations à Kinshasa ont révélé que les acteurs politiques de l’opposition se trimballaient avec des armes à feu ». Il faisait sans doute allusion aux vidéos devenues virales de la « manifestation pacifique » organisée à l’appel d’une partie de l’opposition, le 25 mai 2023 à Kinshasa. Où l’on apercevait des gardes du corps d’un candidat à la prochaine présidentielle portant ostensiblement des armes de poing.
Théâtralisation
On doit les dernières absurdités relatives à l’assassinat de Chérubin Okende à l’inénarrable Francis Kalombo, un autre des porte-paroles de Moïse Katumbi. Sur Top Congo FM, le 15 juillet 2023, cet avocat s’en est vivement pris au procureur général près la Cour Constitutionnelle, lui reprochant d’avoir annoncé que l’ancien ministre des Transports avait succombé à une balle manifestement tiré du pistolet trouvé à côté du siège de sa voiture et d’avoir fait retenir à des fins d’interrogatoires son garde du corps « pourtant innocent parce que beau-frère de la victime » (sic !). Dans la foulée, Kalombo a décrété, on ne sait sur quelle base, l’élargissement des équipes d’enquêteurs à des détectives nord-américains et français et annoncé que son parti, l’ER allait les prendre en charge financièrement… Avant d’ajouter que des satellites américains allaient être mis à contribution pour retracer le parcours du véhicule de Chérubin Okende au dernier jour de sa vie sur la terre des hommes. Et ainsi découvrir ses assassins. Simplement ridicule parce que, comme le Congolais lambda Francis Kalombo n’avait alors jamais eu accès au corps du défunt qui est resté à la disposition exclusive de la justice après sa découverte. On ne voit pas très bien ce qui pourrait lui permettre d’en savoir plus que les instances judiciaires congolaises en charge des constats préliminaires (selon les premières apparences) qui, sans être définitifs, n’en orientent pas moins les recherches. « Si le procureur général de la RDC ne peut pas affirmer que Chérubin Okende est mort des suites d’une balle tirée d’une arme déterminée, qui donc aurait la capacité de démentir pareille information ?», s’est interrogé à bon escient un criminologue attaché la police scientifique de Kinshasa.
Divagations
Selon lui, les propos du porte-parole adjoint de Katumbi relèvent de pures divagations et trahissent les limites de ses connaissances en matière de procédure pénale et d’enquêtes criminelles. « Le garde du corps du ministre défunt est supposé être une des dernières personnes à l’avoir vu vivant. Il dispose donc, peut-être sans le savoir et malgré lui, de quantité d’informations sur les derniers instants du défunt qui ne peuvent qu’intéresser la justice. Il doit donc être maintenu en garde, à la fois pour sa propre protection et pour l’édification des enquêteurs. Parce qu’il se pourrait qu’il en sache trop au détriment des assassins qui peuvent attenter à sa vie pour effacer les traces du crime », explique-t-il encore. Quant aux prétendus satellites américains que Moïse Katumbi et ses lieutenants feraient braquer sur la RDC, « c’est tout droit sorti de l’imagination d’un féru de films de science-fiction pour enfants», selon la source qui avance que les Américains disposeraient d’une telle possibilité technique qu’il n’y aurait plus tous ces meurtres crapuleux qu’on enregistre chaque jour sur leur propre territoire sans que les auteurs ne soient identifiés.
J.N. AVEC LE MAXIMUM