Le calendrier des travaux de la session de mars à l’Assemblée nationale, adopté au cours de la plénière du 21 mars 2023, prévoit des discussions sur la «pro- position de loi modifiant et complétant la loi relative à la nationalité congolaise», œuvre de Noël K. Tshiani, porté par le député national Nsingi Pululu. Il s’agit d’une loi qui vise à interdire l’accès à certaines fonctions de souveraineté, à l’instar de la présidence de la République, à ceux des Congolais dont au moins un parent est étranger, selon les explications de son auteur, un ancien candidat président de la République qui détiendrait la nationalité américaine, selon ses détracteurs de plus en plus nombreux ces derniers jours. Sa proposition de loi, Noël K. Tshiani l’évoque sur tous les toits depuis le début de la législature en cours, entamée début 2019, elle ne vise qu’à mettre la RDC à l’abri d’actes de haute trahison dont seraient plus susceptibles que les autres, ceux des Congolais dont la nationalité serait douteuse. A l’appui de son argumentaire, ce professeur d’économie fait observer que même aux Etats-Unis, l’accès à la fonction présidentielle est protégé par la constitution qui la réserve exclusivement aux américains de 2ème génération. Mais en RDC, la proposition heurte plus d’un pour diverses raisons assez peu avouables, en réalité. Programmation chahutée La programmation de débats autour de la proposition de loi sur la nationalité au cours de l’avant dernière session de l’Assemblée nationale avant la présidentielle prévue en décembre 2023 provoque une véritable levée de boucliers. A Lubumbashi et à Kinshasa, des manifestations de protestation ont été organisées ces dernières 48 heures. Jeudi 30 mars, des «métis», ces Congolais nés de parents Occidentaux, ont prévu une marche de contestation de l’alignement de cette proposition de loi aux débats de la chambre basse du parlement. Alors que dans la classe politique s’élèvent un nombre croissant de voix pour condamner à la fois l’acceptation des débats parlementaires sur la question et le contenu de la proposition de la loi portée par l’honorable Nsingi Pululu. «Tout se passe comme si cette fameuse loi était déjà adopté», observe, surpris, un diplomate accrédité à Kinshasa. «Il y a autant de déni de démocratie dans le fait de s’opposer à un débat d’idées que dans celui d’exclure arbitrairement des Congolais des fonctions de souveraineté», avance pour sa part, Fred Matondo, un étudiant en sciences politiques à l’Université de Kinshasa. La question de la nationalité soulève donc plus de passion que de raison, manifestement. Parmi les acteurs politiques en RDC, Moïse Katumbi et ses partisans se montrent les plus remontés contre la proposition de loi Tshiani, qui viserait le richissime ancien gouverneur du Katanga, qui lorgne sur la fonction présidentielle. Né d’un père Juif-Séfarade et d’une mère que certains disent zambienne, le président de Ensemble pour la République, le parti politique qui porte sa candidature au Top Job en RDC, Katumbi s’est déjà vu reprocher ses ascendances étrangères sous Joseph Kabila. Mais l’homme d’affaires, égale- ment à la tête d’une des plus grandes équipes de football de la RDC et de l’Afrique, le TP Mazembe de Lubumbashi, ne démord pas de ses ambitions. Et revendique le droit de se porter candidat président de la République. La proposition de loi Tshiani serait adopté qu’il en serait la première victime. On lui doit les contestations les plus véhémentes, y compris des menaces sécessionnistes à peine voilées, de l’initiative Tshiani présentée comme un projet raciste (Katumbi est un métis !). Le sceptre de l’insurrection La question de la nationalité touche donc de très près à la question de la sécurité en RDC, hier comme aujourd’hui. Et un autre acteur politique métis, l’ancien candidat à la présidentielle 2006, Adam Bombole Intole, ne s’en cache pas. «Je rappelle à ceux qui ont la mémoire courte ou font semblant de l’oublier que les malheurs de notre pays ont débuté le jour où, pour des raisons politiciennes, tout comme aujourd’hui, le parlement avait exclu de la nationalité zaïroise une partie des compatriotes», a-t-il déclaré, selon des propos rapportés dans les réseaux sociaux. Cet ancien cadre du MLC de Jean-Pierre Bemba faisant allusion à la guerre déclenchée par les Congolais d’origine rwandaise visés par cette décision prise sous le Maréchal Mobutu (qui leur avait unilatéralement accordé cette nationalité!). C’est également ce qu’assure Delly Sessanga, un autre ancien rebelle MLC qui a récemment annoncé sa candidature à la présidentielle de décembre prochain lorsqu’il dit «qu’il s’agit d’une question dont il ne faut jamais oublier qu’elle fut au cœur des conflits qui ont émaillé l’histoire de notre pays». On doit à cette interprétation de la crise sécuritaire qui a gagné la RDC à partir des années ’90 la loi sur la nationalité promulguée en 2004 après les négociations intercongolaises de Sun City en Afrique du Sud, qui consacre l’accès aux fonctions de souveraineté à tout Congolais indistincte- ment, et que le professeur Tshiani pourfend de toute son âme de Congolais né de deux parents Congolais, selon certains observateurs. Une loi acquise au bout de la kalashnikov. Derrière la question de la restriction de l’accès aux fonctions de souveraineté en RDC sourd donc une sérieuse menace sécuritaire : quelque chose comme «Vous nous empêchez, nous mettons le feu à la baraque». C’est à cette menace que réfèrent toutes les allusions aux valeurs de paix, de quiétude, de concorde nationale, présentées comme contraires à la guerre et à l’insécurité. L’accès à la nationalité n’a pas mis fin à la guerre Seulement, des décennies d’horreur imposées aux Congolais dans la partie Est du territoire national mettent à mal cette conception : l’acquisition de la nationalité, même au bout de la Kalash’, et l’accès aux fonctions de souveraineté n’ont guère ramené la paix perturbée depuis la chute de Mobutu. La guerre imposée à la RDC apparaît de plus en plus comme une vaste entreprise de prédation des ressources naturelles du pays organisées par les puissances capitalistes qui régentent la planète à travers des principautés militaires instaurées à cet effet. Il ne s’agirait nullement de viles préoccupations identitaires qui ne furent que des prétextes pour mettre en œuvre des plans d’occupation et de razzias systématiques du pays, selon cet entendement. C’est pour raser, pour accaparer les ressources naturelles de la RDC qu’il faut tuer l’identité et la Nation congolaises et non pas l’inverse. Le principe remonte à Berlin 1885, lorsque quelques représentants des capitales occidentales décidèrent la création d’une Terra Nullium dénommée République Démocratique du Congo entièrement vouée leur exploitation. Ni empires, ni royaumes ni populations n’étaient sensés exister dans une colonie d’exploitation. Et ceci entraînant cela, il ne doit régner ni empereur ni roi autre que ceux placés par les exploitants, des préposés à la tâche. Les guerres d’agression que subit la RDC visent un retour à cette sorte de métissage de la Nation dans lequel il n’est point besoin de revendication d’autochtonies ni d’identités nationales. Prétendre que le vivre en commun des Congolais est tributaire de la question de la nationalité n’est donc pas tout à fait conforme à la réalité. Ce n’est pas parce que tel ou autre candidat est exclu des fonctions de souveraineté que la paix sera perturbée en RDC – elle l’est déjà amplement sans cela – mais parce que celle et celui qui sera élu n’assurera pas aux puissances qui prétendent régenter la planète des ressources naturelles qu’ils convoitent.
J.N. AVEC LE MAXIMUM