Point focal des supprématistes américains dans la région des grands lacs pendant 32 ans, feu Mobutu Sese Seko, le «Léopard du Zaïre», homme à tout faire des Etats-Unis dans cette sous-région du continent, avait fini par être lâché et jeté comme un kleenex usé en 1997 à la faveur de la rébellion de l’AFDL, soutenue par la coalition rwando-ougandaise.
Après Mobutu, c’est le nouvel homme fort de Kigali, Paul Kagame qui a endossé ce rôle de garde-chiourme de l’occident dans cette région, avec pour mission de déstabiliser sa partie congolaise au profit de prédateurs insatiables.
Mais autres temps, autres mœurs. Washington semble désormais changer d’approche, réduisant de plus en plus la marge de manœuvre du téméraire président rwandais.
Comme son devancier Mobutu, en son temps, le chef de l’Etat rwandais paraît de moins en moins en odeur de sainteté chez les mentors américains, ainsi que le révèlent quelques signes de friction. Le politologue Freddy Mulumba Kabuayi en a circonscrit quelques uns dans une tribune mettant en exergue deux événements annonciateurs de la fin de l’idyle. Evoquant le changement de paradigme dans la politique étrangère américaine, ce chercheur indique en liminaire que la guerre contre le terrorisme est en train de laisser la place à une compétition entre les grandes puissances. Ensuite, la dénonciation sans concession du bellicisme suranné du régime rwandais par le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi en maintes circonstances, les déclarations du secrétaire général des Nations-Unies Antonio Guterres devant le conseil de Sécurité et sur RFI-France 24 relayant les propos de sa représentante spéciale en RDC, la Guinéenne Bintou Keïta et la mort de huit casques bleus dans un hélicoptère de la Monusco abattu par un missile de l’armée rwandaise sous couvert du M23, ont contribué à dessiller bien de regards à ce sujet.
Terrorisme et compétition entre grandes puissances
Sous les administrations Trump et Biden, la politique étrangère américaine dans la région des Grands Lacs a connu bien de changements.
Mulumba rappelle à cet égard que l’ancien président Bill Clinton avait inauguré en 1992 une politique étrangère américaine excessivement libérale. Pour lui, la diffusion du libéralisme était censée rendre le monde plus sûr, plus pacifique et prospère, un euphémisme qui désigne en fait la domination unipolaire des Etats-Unis d’Amérique. C’est dans ce contexte qu’il faut placer la vision de la «nouvelle renaissance africaine» initiée par l’équipe de ce 42ème président américain qui voyait ce concept dans une perspective d’éradication de régimes dictatoriaux vermolus comme ceux de Mobutu Sese Seko qui devaient être remplacés par un nouveau leadership incarné par des personnalités comme l’Erythréen Isaïas Afeworki, l’ Ethiopien Meles Zenawi, l’Ougandais Yoweri Museveni et le Rwandais Paul Kagame.
Derrière cette renaissance africaine se cachaient en réalité les ambitions de quelques multinationales occidentales lorgnant les richesses fabuleuses de la RDC. Mais cette nouvelle politique prônée par l’administration Clinton dans la région des grands lacs n’a pas rapporté les fruits escomptés. Ce fut un fiasco, comme le reconnaît du reste l’ancienne sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines et représentante des USA aux Nations-Unies, Susan Rice. «Nous aurions été plus avisés d’expliquer notre approche en termes d’intérêts nationaux, en évitant de faire l’éloge de certains dirigeants et en dénonçant avec plus de force leurs échecs et abus», écrit-elle dans son best-seller Tough Love, My Story of the Things Worth Fighting For, paru en 2019 aux éditions Simon & Schuster à New York.
Devenus gendarmes de la région des grands lacs, Museveni et Kagame en ont profité pour mener au Congo des guerres d’agression et d’occupation afin de piller à leur profit et à celui de comparses de certaines multinationales occidentales les richesses de ce pays.
Par ailleurs, dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, l’Ouganda abrite une base d’opérations anti-terroriste dans les grands lacs, alors que le Rwanda fournit des ressources humaines (militaires) à diverses opérations des Nations-Unies sponsorisées par les USA, notamment en République centrafricaine, en Somalie, au Sud-Soudan et au Mozambique.
Paul Kagame et son ancien mentor ougandais surfent ainsi sur la mauvaise conscience de Bill Clinton et Barack Obama due à l’indifférence des Etats-Unis lors du génocide rwandais de 1994.
A ce propos, Susan Rice, cheffe de la diplomatie US sous Clinton estime qu’«il est difficile d’exprimer les multiples façons dont le génocide rwandais m’a affecté. C’était un traumatisme personnel, une source de cauchemars et de profonds regrets. Même si je n’étais pas un décideur de haut niveau, j’ai tout de même participé, au niveau opérationnel, à l’échec massif d’une politique. Je porte cette culpabilité en moi jusqu’à ce jour. Cela m’a rendu peut-être excessivement sympathique au Rwanda, à son peuple et à ses dirigeants».
Ce sentiment de culpabilité malicieusement exploité par Kigali explique le fait que tous les rapports des experts des Nations-Unies sur la tragédie congolaise au cours de ces 23 dernières années, aient été classés sans suite, malgré les millions de Congolais massacrés et déplacés et le pillage des richesses de la RDC.
Dans un article paru le 29 juillet 2020 dans Foreign policy, intitulé «les risques de Susan Rice», le journaliste Michael Hirsh pointe du doigt ce soutien inconditionnel des Nations-Unies au président Paul Kagame. «Mme Rice a été critiquée par la suite pour sa relation avec le président rwandais Paul Kagame, qui fournissait et finançait une force rebelle congolaise brutale connue sous le nom de Mouvement du 23 mars (M23). Bien que Mme Rice ait critiqué le M23, elle a soigneusement évité de lier le groupe au Rwanda et à Kagame. En 2012, elle avait retardé la publication d’un rapport onusien accusant le Rwanda de protéger le leader du M23, Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir commis des atrocités».
Changement de paradigme
Cependant, l’avènement de Donald Trump et la montée en puissance de la Chine et de la Russie sur le plan international vont contribuer au changement de paradigme de la politique étrangère US.
La rivalité entre grandes puissances prend le pas sur la lutte antiterroriste. Dès 2017, la Chine et la Russie étaient considérées comme des puissances rivales. «C’est la concurrence entre les grandes puissances – et non le terrorisme- qui est maintenant le principal objectif de la sécurité nationale américaine», clamait à ce sujet, le général James Mattis, ancien secrétaire à la Défense de D. Trump.
Ce changement de paradigme oriente la stratégie africaine des USA. Bien que la lutte contre le terrorisme reste en vigueur, elle n’est plus une priorité pour les USA en Afrique.
John Bolton, alors conseiller à la sécurité nationale, insistait ainsi sur «les pratiques prédatrices de la Chine et de la Russie (qui) freinent la croissance économique en Afrique, menacent l’indépendance financière des pays africains, inhibent les investissements américains et interfèrent avec les opérations militaires des Etats-Unis. Elles sont une menace pour nos intérêts».
La nouvelle stratégie africaine de Joe Biden, publiée le 8 août 2022, va dans le même sens. «Contrer les activités préjudiciables de la République Populaire de la Chine, de la Russie et d’autres acteurs».
Pour contrer la Chine, la priorité est accordée plus au développement qu’à la lutte contre le terrorisme.
La nouvelle stratégie de Biden met l’accent sur la diplomatie et le développement et y consacre davantage de fonds «loin de l’engagement militaire dans certaines parties de l’Afrique, en particulier au Sahel, qui a dominé la politique américaine des deux dernières décennies, lorsque Washington se concentrait sur la lutte contre le terrorisme», souligne Robbie Gramer du magazine Foreign Policy.
Kigali contre les intérêts et les valeurs américaines
Le soutien aveugle au régime de Paul Kagame semble donc toucher à sa fin. Premier signe révélateur de ce virage : les mots du sénateur démocrate Robert Menendez, président de la Commission des affaires étrangères au Sénat américain qui, dans une lettre datée du 20 juillet 2022 au secrétaire d’Etat Antony J. Blinken, peu avant sa tournée africaine, s’était inquiété du mépris continu du Rwanda pour les droits de l’homme et a relevé que la politique américaine à l’égard du Rwanda était de plus en plus en décalage avec les intérêts et les valeurs américaines. «Alors que les militaires rwandais sont formés par l’armée américaine, l’armée rwandaise est engagée en 2012 et 2022 dans les actions de déstabilisation de la RDC en soutenant de rebelles du M23 et en déployant ses soldats sur le territoire», a noté Menendez. «J’ai l’intention d’examiner attentivement toute aide sollicitée en faveur du Rwanda, et de faire suspendre toute assistance sécuritaire, en commençant par le soutien aux casques bleus rwandais, car je crains que pareil apport américain au Rwanda qui entretient des rebelles responsables d’attaques contre des civils congolais, des troupes congolaises et des soldats de la paix de l’ONU, puisse envoyer un signal troublant que les États-Unis approuvent tacitement de telles actions. Nous ne pouvons pas soutenir les contributions rwandaises au maintien de la paix dans certaines parties de l’Afrique tout en fermant les yeux devant le fait que le Rwanda fomente la rébellion et la violence dans d’autres parties du continent», a poursuivi Menendez avant d’exhorter le secrétaire d’Etat Blinken à «réexaminer complètement la politique américaine envers le Rwanda».
Ce sénateur américain n’est pas le seul à mettre les parrains occidentaux de Paul Kagame dans l’embarras. Pour la première fois depuis la guerre prédatrice menée par le Rwanda contre la RDC, les Nations Unies prennent une position plus claire sur la tragédie congolaise indexant le Rwanda.
Le 29 juin 2022, Bintou Keïta, cheffe de la Monusco a déclaré au conseil de sécurité que «le M23 dispose d’un arsenal supérieur à celui de la MONUSCO et des FARDC, à même d’abattre des hélicoptères militaires, de terroriser la province du Nord-Kivu et de commettre d’autres crimes dans l’Est du Congo. Le M23 est une milice de l’armée rwandaise». Pour sa part, le secrétaire général Antonio Guterres a reconnu sur France 24 que le M23 est armé par un pays voisin, même s’il n’a pas cité le Rwanda.
C’est le président congolais Félix Tshisekedi qui a dénoncé ouvertement le Rwanda à la 77ème session ordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU.
Le régime de Paul Kagame au mépris du droit international et des chartes de l’ONU et de l’UA, a, une fois de plus, non seulement agressé en mars dernier, la RDC par des incursions directes de ses forces armées, les RDF, mais aussi occupe des localités de la province du Nord-Kivu par un groupe armé terroriste interposé, le mouvement du 23 mars dit M23, auquel il apporte un soutien massif tant en matériels de guerre qu’en hommes de troupes.
Le président Félix Tshisekedi a aussi fait état de la destruction par la coalition RDF-M23 d’un hélicoptère de la Monusco ayant causé la mort de huit casques bleus. Une information passée sous silence par le secrétaire général des Nations-Unies.
Félix Tshisekedi a demandé au Conseil de sécurité de distribuer officiellement aux membres du Conseil le dernier rapport des experts de l’ONU sur la situation sécuritaire à l’Est de la RDC et de le faire examiner avec diligence afin d’en tirer toutes les conséquences qui s’imposent sur le plan du droit de la paix et de la sécurité internationale.
Il y va de la crédibilité des Nations-Unies. D’aucuns en RDC s’élèvent contre la partialité de l’ONU qui a préféré garder le silence face à ces crimes.
Même les rapports des experts désignés par l’organisation mondiale indexant le Rwanda dans les pillages et les violations de droits de l’homme au Congo sont mis sous le boisseau et ne font l’objet d’aucun débat au Conseil de sécurité.
Le président Tshisekedi a été très clair quant à la détermination de son gouvernement et du peuple congolais à défendre quoiqu’il en coûte l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté de la RDC.
Cette détermination révélée par la multiplication de manifestations de défience envers la communauté internationale (occidentale) provoque chez les parrains de Paul Kagame un embarras similaire à celui qui conduisit au milieu des années 90 un certain Bill Richardson, envoyé spécial de Bill Clinton à dire son fait au maréchal Mobutu Sese Seko.
Le fait que ce dernier avait soutenu le pion pro-américain en Angola Jonas Savimbi contre le MPLA de Agonisto Neto et que ces Forces armées zaïroises étaient intervenues à l’époque au Tchad contre les troupes lybiennes de Mouammar Kadhafi n’a pas rendu Washington plus ‘‘compréhensif’’ en vers cet allié encombrant.
Le président Mobutu n’avait pas compris qu’avec la fin de la guerre froide, sa ‘‘mission’’ était terminée. Il avait certes fallu sept ans pour que son régime s’effondre mais en fin de compte, c’est ce qui arriva.
Un parallélisme peut être établi avec le régime sanguinaire de Paul Kagame qui apparaît de plus en plus comme une survivance anachronique de la stratégie antiterroriste clintonienne.
La prédominance de ce régime qui s’enivre dans le rôle d’interlocuteur principal de l’occident dans la région des grands lacs est entrée en collision avec la compétition impitoyable entre les Etats-Unis et le duo Chine-Russie et y a perdu des plumes. Dans cet affrontement, les Etats-Unis ont besoin d’alliés puissants et non d’un confetis comme le Rwanda pour tenir la dragée haute à ces ennemis autrement plus redoutables.
La transition énergétique est l’autre élément qui déclasse Kigali dans le nouvel environnement international. C’est au Congo et non au pays des milles collines que se trouve la solution aux multiples problèmes qui se posent au monde avec le dérèglement climatique.
Paul Kagame en est manifestement conscient. Après avoir rageusement insulté les Congolais et leur président devant la presse locale de son pays, il a en réponse à une question d’un journaliste de France 24 sur l’admonestation téléphonique lui adressée par Joe Biden, il a répondu d’un ton nerveux qu’il parlait avec tous ceux qui veulent l’appeler.
De son côté, évoquant le prisonnier politique belge d’origine rwandaise résidant aux Etats-Unis, Paul Rusesabagina lors d’une conférence de presse conjointe avec le secrétaire d’Etat Blinken, le ministre rwandais des Affaires étrangères avait déclaré sur le même ton que «le Rwanda est un pays souverain et que ce sujet américain est rwandais et qu’il a des comptes à rendre à la justice rwandaise». Signe de temps !
- Mulumba avec Le maximum