L’ancienne ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement rwandais, Louise Mushikiwabo, devenue depuis quatre ans secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, a fait preuve, lors du dernier sommet de cette organisation internationale, d’un mépris total de l’obligation de réserve et de neutralité dans laquelle elle se trouve astreinte au sujet du conflit opposant deux Etats membres de l’OIF, la RDC et le Rwanda.
C’est à Djerba, la ville tunisienne qui accueillait le dernier sommet de l’organisation que, répondant à une question de la presse, l’ex-égérie du pouvoir monolytique tutsi en place à Kigali depuis 1994, est sortie de ses gongs pour fustiger la République Démocratique du Congo, coupable à ses yeux d’avoir provoqué l’agression caractérisée de son territoire par l’armée rwandaise.
«C’est une inacceptable partialité de la part de cette cheffe de l’administration de l’organisation internationale de la francophonie, à peinne réélue à cette fonction. Elle fait le déshonneur de cette institution sur la terre de l’un de ses pères fondateurs Habib Bourguiba», a déclaré un chroniqueur congolais.
En effet, interrogée par TV5 Monde sur la situation sécuritaire qui prévaut dans l’Est de la RDC et les accusations de ce pays contre le Rwanda d’apporter un soutien affiché en hommes et en logistiques aux rebelles terrorises du M23, Mushikiwabo que l’on sait très proche du président rwandais Paul Kagame n’a pas hésité à rendre carrément la République Démocratique du Congo responsable de cette détérioration des relations entre les deux pays. «Il y a des éléments en RDC, juste à la frontière du Rwanda, qui sont une menace pour la sécurité du Rwanda. Est-ce qu’on peut retourner sur les accords qui existent depuis plus de 10 ans et les mettre en application? C’est une question de volonté politique. C’est aussi simple que ça», a-t-elle lancé en empruntant la rhétorique belliqueuse de la phalange extrémiste de Kigali.
Ces propos révèlent un parti-pris qui déforce la neutralité que l’on attend habituellement de la part d’un fonctionnaire international de son niveau et traduisent implicitement que l’OIF qu’elle dirige et dont la RDC est à ce jour l’Etat membre le plus peuplé n’est pas en mesure, sous son leadership de jouer un quelconque rôle dans la résolution de la crise qui déstabilise la région des grands lacs.
Un peu plus tard, Louise Mushikiwabo a commenté, sur un ton ironique et sarcastique, le refus, en guise de protestation, du 1er ministre rd congolais, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, représentant personnel du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, d’apparaître sur la photo de famille aux côtés du président rwandais Paul Kagame. «Je n’ai pas du tout fait attention à qui était dans la photo ou qui ne l’était pas. S’il n’était pas là, c’est regrettable, on n’aurait aimé l’avoir avec nous», s’est contenté de dire, non sans mépris, la secrétaire générale de l’OIF.
Devant une pareille morgue, d’aucuns à Kinshasa estiment que le chef de l’Etat Félix Tshisekedi a bien fait de boycotter le sommet de Djerba.
Si les hégémonistes rwandais et leurs supplétifs au Congo espèrent toujours contraindre le gouvernement à leur reconnaître une sorte de droit de s’approprier des ressources naturelles congolaises sans contrepartie, ils ont manifestemment fait choux blanc.
Il est clair que le fonds de commerce relatif au génocide de 800.000 tutsis et hutus modérés brandi à tout bout de champ par la principauté militaire qui règne sans partage à Kigali depuis les 27 dernières années est en train de voler en éclat face au plus de 10 millions de morts causés par son agitation incessante dans l’Est du Congo durant la même période.
Tout observateur objectif se rend compte que la guerre imposée par le Rwanda à la RDC à travers ses supplétifs terroristes du M23 n’a qu’un seul objectif, le pillage des ressources minières du pays au profit de la caste insatiable aux allures dynastiques qui a pris possession du pays des milles collines depuis avril 1994 après l’assassinat des présidents Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira du Burundi.
Candidate unique réélue pour un deuxième mandat par acclamation, à défaut d’intérêt par d’autres membres de cette OIF qui devient de plus en plus un ‘‘machin’’ à la disposition de quelques dirigeants, Louise Mushikiwabo n’aura présenté qu’un bilan fort mitigé.
Ses trois idées-forces axées sur (i) la langue française, (ii) la gouvernance démocratique et (iii) la coopération sur les enjeux stratégiques s’avèrent des plus insipides et amènent la francophonie à devenir une structure sourde, aphone et invisible à l’international faute d’un leadership adéquat à sa tête. Sans une initiative sérieuse de refondation, l’espace francophone pourrait être en train de vivre ses derniers instants. On a en effet du mal à identifier quelqu’initiative forte et marquante que ce soit prise par l’Organisation de la Francophonie (OIF) au cours des dernières années.
L’impression qui se dégage du leadership de Mme Mushikiwabo à la tête de cette organisation s’écarte manifestement du magistaire exercé par l’ancien secrétaire général sénégalais, Abdou Diouf qui, tout au long de sa mandature, a su donner à cette instance un poids d’influence significatif sur les affaires du monde, ainsi que l’a rappelé récemment sur les antennes de RFI, le diplomate et homme politique mauricien Jean-Claude de L’Estrac.
On sait que c’est pour des raisons d’atténuation de la mauvaise conscience de Paris, accusé d’indifférence face au génocide rwandais de 1994 que Louise Mushikiwabo dont le pays est membre Commonwealth (espace anglophone) a été cooptée à la tête de l’OIF par un Emmanuel Macron soucieux de finaliser la réconciliation de son pays avec l’homme fort de Kigali Paul Kagame.
Il s’agissait plus pour le gouvernement français de faire oublier les allégations infamantes portées à son endroit d’avoir, par l’opération militaire ‘‘turquoise’’ porté assistance aux génocidaires que d’une décision répondant aux intérêts de tous les pays qui composent la francophonie.
En 2014 déjà, la France, sous le président de l’époque François Hollande, avait imposé la candidature de la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean à tous les autres États membres de l’organisation, notamment aux Africains, écartant notamment une personnalité aussi compétente que le Mauricien Jean-Claude de L’Estrac.
Avec la décision d’Emmanuel Macron de déguerpir pratiquement Michaëlle Jean qui tentait de renouveller son mandat au profit de Louise Mushikiwabo, l’OIF a pris les allures d’un banal instrument de la diplomatie néocoloniale française.
Dans un article publié dans le mensuel Le Monde diplomatique (Entre France et francophonie, le mal entendu, novembre 2022), par Michaëlle Jean, à l’occasion du sommet des chefs d’États qui vient de s’achever à Djerba, l’ex-secrétaire général ne ménage pas ses critiques contre l’OIF et la France qui, profitant de sa position de principal bailleur de fonds de l’organisation, semble avoir résolu de reléguer la francophonie à la défense et l’illustration du français, lui déniant le droit de s’intéresser aux enjeux géopolitiques ou environnementaux de l’heure.
Michaëlle Jean dit avoir été victime de «tractations politiques» et de «petits arrangements stratégiques menées dans les coulisses» pour la priver d’un second mandat qu’elle croyait amplement mériter dans l’unique but d’«offrir l’OIF à nul autre que le président du Rwanda Paul Kagame, qui n’a cure ni de la démocratie, ni des droits et des libertés, et de surcroît a même chassé la langue française de l’administration et de toutes les institutions de son pays, y compris académiques ».
Pour le politologue Antoine Glaser, grand spécialiste de l’Afrique, l’image de l’OIF est aujourd’hui brouillée, notamment en Afrique où elle est de plus en plus perçue comme «un instrument d’influence française, voire un avatar du colonialisme… un cheval de Troie de la Françafrique intégré dans le système politique, militaire, financier de la France en Afrique». Il illustre son propos par les nombreuses critiques adressées récemment à la Francophonie «pour avoir été aux abonnés absents lors des élections frauduleuses menant à des troisièmes mandats de dirigeants africains ou encore face aux coups d’Etat militaires au Mali, en Guinée, au Tchad et au Burkina Faso».
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