En territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), les affrontements entre les FARDC et la coalition RDF-M23, avec des ramifications à Kampala ont repris de plus belle depuis vendredi 22 octobre 2022. Jusque jeudi 27 octobre, des combats acharnés se déroulaient dans la région de Bunagana, agglomération frontalière avec l’Ouganda et le Rwanda occupé depuis plus de 3 mois par les terroristes du M23.
L’initiative de la bataille de Bunagana semble attribuable au M23 et à ses soutiens rwandais, quoiqu’ils s’en défendent. Selon certains observateurs, ces hostilités qui reprennent au moment où Kinshasa s’est lancé dans une profonde restructuration de ses forces de défense assortie d’une approche diplomatique en vue d’une solution du conflit de l’Est de son territoire, visent justement à contraindre Félix-Antoine Tshisekedi à négocier avec les terroristes.
Tout se passe comme si «les agresseurs étaient soucieux de ne pas laisser à l’armée loyaliste le temps de se réorganiser», explique cet expert formé au CHESD de Kinshasa. Nommé commandant des opérations contre le M23 quelques jours plus tôt, le général Moyo Rabbi n’a rejoint, précipitamment, la zone opérationnelle que samedi 22 octobre 2022, 24 heures après le déclenchement des hostilités. Alors que son collègue, Marcel Mbangu Mashita, nouveau commandant de la 3ème zone de défense gagnait Goma mardi 25 octobre en compagnie du général Ychaligonza Nduru Jacques, le tout nouveau chef d’état-major général adjoint en charge des opérations et renseignements au sein des FARDC.
Contraindre aux négociations
L’objectif immédiat des terroristes du M23 est d’asphyxier Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, à défaut de l’occuper comme il y a une dizaine d’années, lorsque les mêmes terroristes s’étaient emparés durant quelques jours de la ville volcanique en 2013 avant d’en être délogés par les FARDC soutenus par la brigade d’intervention de la Monusco.
Dans la région de Jomba et Bunagana, les agresseurs ont repris les sentiers de la guerre alors qu’une importante réunion du Conseil de sécurité des Nations-Unies consacrée à la situation à l’Est de la RDC était convoquée le 26 octobre 2022. Et qu’était attendu dans la région, l’ancien président Uhuru Kenyatta, chargé par son successeur, William Ruto, de la poursuite du volet diplomatique du processus de Nairobi.
Sur le terrain des affrontements, la tâche paraît plus malaisée que prévu pour les agresseurs et les terroristes semblent plutôt à la peine. Près d’une semaine après le déclenchement des hostilités, la situation sur les différents fronts rouverts n’évolue ni rapidement ni résolument en leur faveur comme dans un passé récent.
Jusqu’à la fin de la journée, vendredi 22 octobre jour du déclenchement des affrontements, la situation demeurait extrêmement confuse sur le terrain des affrontements. Seule certitude : l’intensité des combats aux armes lourdes et légères qui duraient depuis 3 h locales ainsi que les dégâts humains et les déplacements de populations affluant de la localité de Rangira (groupement de Jomba) vers Rutshuru Centre. Des sources dans la société civile ont rapporté qu’une bombe tombée en plein marché dans cette localité avait fait 2 blessés acheminés à l’Hôpital de Rutshuru à quelques kilomètres de là. Les mêmes sources rapportant qu’à Tshengerero, à 7 km de Bunagana ainsi que dans les localités environnantes sous contrôle du M23, les terroristes amassaient des troupes et s’adonnaient au pillage systématique des villages de la zone.
Situation incertaine
A la fin de la journée, il semblait que la situation militaire n’avait évolué en faveur d’aucune des parties belligérantes. «Rien n’a été repris, rien n’a été perdu. En groupement de Jomba, les FARDC tiennent toujours les villages de Kibanda et de Rangira alors que le M23 occupe 6 autres villages du même groupement ainsi que l’agglomération de Bunagana», assuraient des sources de la société civile locale.
Samedi 22 octobre, l’information la plus sûre atteste de l’élargissement du front, qui s’étend désormais au-delà du groupement de Jomba. Dès les petites heures du jour, des affrontements sont ainsi signalés à Rukoro où des tirs à l’arme lourde sont rapportés. Mais également à Chazo et Muhimbira (groupement de Bweza), des collines d’où les terroristes tentaient une percée sur Rangira, abondamment pilonnés par les FARDC. Il semble également certain, d’après divers témoignages, que les terroristes aient essuyé un revers dans leur tentative de traverser le pont Rwanguba qui ouvre la voie vers Rangira. Des sources plus enthousiastes assurant même que Chazo et Muhimbira étaient passés sous contrôle des FARDC.
Dans la foulée filtrent des informations faisant état de l’occupation partielle ou totale selon des sources, de la localité de Kabindi à moins de 15 kilomètres de Bunagana alors qu’un autre front s’est déclenché à Ntamugenga, un village situé non loin de Rangira occupé jusque-là par les terroristes du M23.
Même s’il s’agit encore d’informations à prendre avec toutes les réserves d’usage, l’agitation observée à Bunagana samedi 22 octobre était de nature à conforter les espoirs. D’importants mouvements de populations civiles qui traversent la frontière pour se mettre à l’abri sont signalés et confirmés, images à l’appui, par l’Uganda Red Cross Society.
Divers bonheurs
Dimanche 23 octobre, les face-à-face FARDC – terroristes du M23 reprennent sur différents fronts avec divers bonheurs. Notamment, à Bushandaba, un village de la localité de Rutsiro non loin de Ntamugenga sur la RN2. D’autres sources rapportent que tentant une percée par le village de Kanzanza, les terroristes ont été stoppés net par les FARDC qui les affrontent à Ruseke, village situé à moins de 5 kilomètres de Ntamugenga.
Un fait paraît certain à ce stade : des combats acharnés ont lieu autour de Ntamugenga en cette matinée dominicale.
Vers 10 heures locales, des sources annoncent l’occupation de la localité par les terroristes soutenue par au moins 400 éléments de l’armée régulière rwandaise et 2 bataillons de l’armée ougandaise qui ont fait incursion à partir de Runyonyi, selon Jean-Jacques Wondo, un spécialiste des questions de défense proche de l’opposition politique en RDC. Les mêmes sources indiquent que les terroristes auraient gagné Buhuri, un village situé à 6 kilomètres de Rubare, ou encore Matebe à quelques kilomètres de Rangira. Même si la situation est plus complexe qu’il n’y paraît, les terroristes n’occupant en réalité qu’une partie de l’immense localité, selon des explications d’un acteur de la société civile locale dont la vidéo explicative a circulé sur les réseaux sociaux. Information confirmée par d’autres sources locales qui renseignent que les FARDC se sont repliées près de l’hôpital de Ntamugenga d’où ils poursuivent les combats contre les terroristes.
Un communiqué de MSF confirme l’intensité des combats de Ntamugenga et signale des nombreux blessés parmi quelques 500 civils qui se sont réfugiés dans un couvent de la place.
Vers Bunagana
Sur d’autres lignes de front, la situation des forces en présence serait plus heureuse. Sur le tronçon Burayi-Bunagana, les FARDC campent toujours à Kabindi, tandis que du côté de Busanza, elles tiennent Rubavu, indiquent des sources locales.
Le même dimanche 23 octobre, les FARDC ont publié un communiqué qui permet d’y voir clair sur les fronts alentours de Bunagana. Le document renseigne que les forces de défense du Rwanda ont lancé sous le couvert du M23, jeudi 20 octobre 2022, une attaque sur les positions FARDC dans l’axe Rangira-Rwanguba-Tcherengero «en vue d’empêcher le ravitaillement des forces loyalistes», puis une autre sur l’axe Ntamugenga «où les affrontements se poursuivent». Un civil a été touché par les bombes rwandaises et 5 autres blessés sur le premier axe, tandis que 3 civils ont été tués et 35 autres blessés sur le second axe, rapporte ce communiqué.
Lundi 24 octobre, les combats se poursuivaient sur trois lignes de front, ont rapporté des sources locales. Sur le front Nord, les FARDC avaient repoussé les terroristes du M23 de Musezero à Kibaya, à environ 2 kilomètres de Bunagana ; sur le front Ouest, elles les contenaient à Baseke, à 15 kilomètres de Bunagana, tandis que sur le front Sud, FARDC et M23 (soutenus par les armées rwandaises et ougandaises) se faisaient face à Ntamugenga et alentours.
Mardi, des sources de la société civile de Rutshuru ont signalé des renforcements des terroristes du M23 en hommes et munitions à partir des frontières avec le Rwanda et l’Ouganda. Des centaines d’hommes venus en renfort ont été aperçus traversant les frontières pour rejoindre les terroristes.
Après une légère accalmie, des affrontements ont été signalés sur les axes Rangira-Kabindi-Rwanguba, Ntamugenga-Kazuba et Kanyabusore mardi 25, qui se sont poursuivis jusque mercredi 26 octobre 2022. Des échanges de tirs à l’arme lourde ont été signalés à Ntamugenga, Chanzu, Runyoni et Kabindi. Une tentative d’incursion rebelle à Rangira via la colline qui surplombe Matebe a été rapportée.
Alors qu’au même moment, le général Marcel Mbangu prenait officiellement ses nouvelles fonctions de commandant de la troisième zone de défense des FARDC à Goma.
A Rangira, aux moins 2 civils ont été tués dans les affrontements alors que des sources locales font état de l’occupation des villages de Musezero et Mungo sur la route de Bunagana par les forces loyalistes dont la progression aurait néanmoins été stoppée à Busanza.
Dans la région de Rwanguba, 5 civils ont été tués par un obus largué par les terroristes du M23 mercredi 26 octobre alors qu’ils fuyaient les affrontements à Matebe sur la route qui mène vers Bunagana. Trois autres personnes ont été tuées par une bombe tombée sur une maison d’habitation à Rangira, ont rapporté des sources locales.
Selon les dernières nouvelles, après les intenses combats ce jeudi, les FARDC contrôlent déjà la RN2 tout en maintenant ses positions de Kabindi et Rwanguba sur l’axe Rutshuru-Bunagana pendant que le M23 empêche l’armée loyaliste d’avancer vers Bunagana.
J.N. AVEC LE MAXIMUM