A un peu plus d’un an de la prochaine élection présidentielle en RDC, c’est la ruée vers Panzi au Sud Kivu où vit et travaille le gynécologue congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018 qu’un comité emmené par le politologue Alphonse Maindo de l’Université de Kisangani pressent comme candidat à la présidence de la RDC.
Connu internationalement pour son dévouement en faveur des femmes victimes de viols dans la région du Sud-Kivu, le gynécologue de Panzi, surnommé «réparateur des femmes», a cristallisé l’attention dans un documentaire ad hoc, œuvre du réalisateur belge Thierry Michel.
A Panzi se succèdent depuis quelques mois des personnalités européennes. A commencer par le roi Philippe de Belgique, peu avant le rapatriement des reliques de Patrice Lumumba, premier 1er ministre congolais assassiné en 1961.
Récemment, c’est François Hollande, l’ex-président français qui a fait le déplacement de Panzi, le 28 septembre 2022. Suivi la semaine dernière par la comtesse de Wessex, Sophie Rhys-Jones, membre de la famille royale britannique, accompagnée du ministre d’Etat en charge des Affaires étrangères et représentant spécial de la 1ère ministre Liz Truss.
Depuis le 8 octobre, plusieurs sources font état de la visite prochaine à l’hôpital du Dr Mukwege de l’ancienne présidente du Brésil Dilma Rousseff, et des anciens 1ers ministres britanniques Gordon Brown et Tony Blair. Ce dernier, connu pour être un proche conseiller du président rwandais Paul Kagame, n’a pas bonne presse en RDC, un pays victime d’agressions à répétitions de l’armée rwandaise ou de ses rébellions téléguidées.
Pèlerinages politiques
Le centre hospitalier de la banlieue de Bukavu dans lequel officie le Dr Mukwege, devient ainsi un véritable lieu de pèlerinage politique. D’aucuns y voient la preuve des ambitions présidentielles du gynécologue. D’autant plus que ces derniers mois, de nombreuses voix se sont élevées en RDC, l’exhortant à postuler au top job en 2023.
En effet, le 30 juin 2022, quelques intellectuels congolais avaient appelé Mukwege à se présenter à l’élection présidentielle. «Prenez la tête de ce peuple meurtri. Présentez-vous à l’élection de 2023 que vous emporterez haut la main, parce que notre peuple qui vous appelle est celui qui vous élira», ont-ils déclaré à l’unisson. Au premier rang de ces aficionados, se profile le professeur Alphonse Maindo de l’Université de Kisangani qui claironne aux quatre vents que «les Congolais se tiennent prêts comme un seul homme à emboiter le pas (à Denis Mukwege, Ndlr) sur le chemin de la restauration de notre chère patrie rongée par le manque de vision et de leadership, le tribalisme, le clientélisme, la tentation séparatiste menaçant la nation jusque dans ses fondements, laminée et écumée par les agressions extérieures».
Sur France 24, quelques jours plus tard, Maindo assurait que le courrier d’exhortation des universitaires était bien arrivé à destination et que son destinataire aurait demandé un temps de réflexion avant d’y donner suite. Signe, selon lui, de l’acceptation de l’appel lancé le 30 juin 2022, parce que d’habitude, «Denis Mukwege dit tout de suite non lorsqu’il n’est pas d’accord sur un sujet. Qu’il ait sollicité un moment de réflexion indique qu’il sera d’accord».
Appels à candidater
Au Sud Kivu même, d’autres organisations se réclamant de la société civile se rangent derrière le groupe de l’Unikis, à l’instar de l’organisation partenaires pour la paix, pain et le développement intégral (PPPDI) qui a appelé le Dr Mukwege à briguer la présidentielle en décembre 2023 en raison de «l’échec des précédents dirigeants de la RDC à développer le pays mais aussi de la souffrance de la population congolaise». SAJECEK/forces vives, le Barza culturel et diverses autres structures de dimensions variables ont aussi exhorté le médecin de Panzi à compétir à la prochaine présidentielle.
Ceci explique-t-il cela ? Le 10 octobre 2022, Nyota Télévision, un organe de presse de Lubumbashi proche de l’ancien gouverneur Moïse Katumbi également connu pour ses ambitions au top job en RDC, a bruyamment confirmé la candidature du Dr Mukwege à la présidentielle 2023. Que le gynécologue aurait personnellement annoncé sur son compte Twitter. Une information démentie quelques heures plus tard par l’entourage de Mukwege, sans parvenir à freiner l’élan de Nyota TV, qui estime que «la candidature du prix Nobel de la paix était attendue depuis bien longtemps ».
Et se répand en appréhensions propres à un adversaire franchement gêné aux encolures et plutôt embêté: «L’homme est devenu une sorte de mythe par ce combat civil qui lui a justement valu la distinction honorifique internationale. Toute la crainte maintenant est de voir ce mythe s’effondrer sur le plateau de la politique. La prudence aurait voulu que le docteur maîtrise d’abord son secteur de prédilection – la santé – avant de se lancer dans un saut périlleux».
Cet appel à la modération n’est pas sans rappeler l’observation faite en son temps à Mgr Laurent Monsengwo Pasinya, alors président de la Conférence nationale souveraine par Nguz – a – Karl I Bond pour qui, «nul ne peut se jeter dans une piscine pleine d’eau et espérer en sortir sec».
Réparer les femmes et la RDC ?
En réalité, le Dr Mukwege n’aura pas fait grand’chose pour dissuader ceux qui lui prêtent des prétentions à la plus haute fonction étatique. Le «réparateur des femmes» ne loupant aucune occasion propice pour se présenter en potentiel «réparateur de la RDC», donc en détenteur d’une alternative politique pour son pays en proie à des violences armées depuis près de 30 ans et à leurs corollaires.
Au cours d’une conférence organisée à Charleroi (Belgique) le 17 septembre 2022 par KOPAX, une structure se réclamant de lui , le médecin de Panzi en a ainsi appelé à l’organisation d’élections crédibles pour «sortir des crises de légitimité à répétition à la base de cycles de violences et d’instabilité politique et sécuritaire», appelant de surcroit «chaque Congolais à exiger une véritable alternance démocratique». Une saillie d’autant plus clairement dirigée contre le pouvoir en place que l’orateur du jour ajoutait un peu plus loin que «nous n’avons pas besoin d’un changement de narratif, mais bien d’un changement radical de paradigme et de gouvernance porté sur la satisfaction de l’intérêt général».
En termes de «satisfaction de l’intérêt général», Mathieu Kadima, chercheur associé à l’Université de Kinshasa
demande au Dr Mukwege de revoir ses notes car il est loin d’être en phase avec les populations de l’Est du pays, résolument hostiles à l’aventurisme militariste du président rwandais Paul Kagame dont il semble se rapprocher par le biais de Tony Blair et à la prolongation de la présence des troupes onusiennes sur le territoire national pour laquelle il s’évertue à plaider à contrecourant. «Confirmant cette inclinaison contraire au voeu d’une majorité de ses compatriotes, le Dr Mukwege s’est en effet rapproché de l’ancien président français François Hollande pour qui remettre en cause la présence de la force onusienne serait faire le jeu des groupes qui terrorisent la population ou se livre à des prédations insupportables», s’indigne notre interlocuteur. Il est difficile en effet par le temps qui courent de convaincre les Congolais de l’Est que leur «intérêt» réside dans le maintien des forces onusiennes qui ont récemment déclaré leur impuissance face aux groupes armés qui les martyrisent depuis des décennies.
Faiblesse dans la cuirasse
La position du médecin de Panzi prônant la fin de l’impunité et la mise en œuvre d’une justice transitionnelle, seule à même de mettre fin au cycle de violences en RDC, ne paraît pas de nature à aténuer les critiques de ses adversaires. On rappelle à cet égard qu’en septembre dernier à Charleroi, Mukwege avait déclaré: «Nous ne pouvons pas continuer de fermer les yeux sur les atrocités commises en RDC depuis plus d’un quart de siècle. Toutes les échelles de responsabilité – nationale, régionale et internationale – doivent être établies». Ce qui fait dire à Kadima que «l’époque où l’on gagnait les coeurs en faisant miroiter les perspectives enchanteresses purement théoriques est révolue. Les Congolais veulent du concret. Et le Dr Mukwege en est loin».
Ci-git la faiblesse dans la cuirasse du spécialiste des fistules abîmées par les viols. Denis Mukwege est perçu par beaucoup de ses concitoyens comme une pure fabrication de la communauté internationale ‘‘occidentale’’, la même qui se cache derrière la prédation des ressources naturelles congolaises et entretient pour cela les violences qui l’accompagnent.
A travers la prestigieuse distinction lui attribuée le 5 octobre 2018 – le seul des prix Nobel qui ne relève pas d’un comité scientifique -, «pour les efforts visant à mettre fin à l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre», se dessinent des motivations manifestemment politiciennes destinées à couvrir d’un voile pudique les véritables responsables de la guerre qui, aujourd’hui encore, déchire la partie orientale de la RDC.

Le prix Nobel de la paix n’a, en effet, jamais été une petite affaire. Sur le continent, depuis sa création en 1901, seules quelques personnalités triées sur le volet l’ont obtenu. Notamment les Sud Africains Nelson Mandela et son «adversaire» du temps de l’apartheid, Frederik De Klerk, le premier demeurant sans doute le lauréat le plus célèbre de cette distinction. Mais il y eut aussi avant eux, deux autres Sud africains, Chief Albert John Lutuli (1960) rétribué déjà à l’époque pour son combat contre l’apartheid et l’évêque anglican Desmond Tutu (1984). En Afrique du Nord, l’Egyptien Anouar El Sadate fut primé pour récompenser la signature avec Menahem Begin des Accords du Camp David qui lui valurent d’être assassiné quelques temps après. Quant au Ghanéen Kofi Annan, c’est au nom de l’ONU qu’il avait pratiquement placée sous la coupe de l’Occident qu’il fut distingué par le parlement norvégien en 2001. C’est tout dire : la distinction est essentiellement politique.
Accent sur un épiphénomène
Denis Mukwege doit son Nobel à l’accent mis outre-Atlantique sur un épiphénomène, les viols, plutôt que sur les causes profondes de la déstabilisation systémique de la RDC. Certes, les violences sexuelles sont indéniables sous les tropiques congolaises et humainement inacceptables. Mais ce fléau et d’autres auraient été plus efficacement combattus si le mal était éradiqué à la racine, à savoir «ces guerres par procuration qui abîment plus que les sexes de nos mères et nos sœurs», selon ce professeur de droit international de l’Université de Kinshasa, interrogé par Le Maximum.
Dans le cas précis de la RD Congo, il n’aurait existé ni de «médecin réparateur de femmes», selon le titre évocateur d’un film dédié à l’œuvre de Denis Mukwege au Sud-Kivu par le cinéaste belge Thierry Michel, ni de fistules méchamment saccagées à réparer s’il n’y avait eu en 1994, le génocide du Rwanda et la cohorte de fléaux qu’il a drainés et continue à drainer en RDC.
LE MAXIMUM