A l’Institut Supérieur d’Architecture et Urbanisme (ISAU), situé sur l’ex-avenue du 24 novembre dans la commune de la Gombe, la tension est dangereusement montée mercredi 8 juin 2022, presqu’un mois après le débrayage des professeurs chargés des cours d’Architecture pour dénoncer les mauvaises conditions d’enseignement dans cet établissement. Selon les informations parvenues aux Maximum, à la suite des enseignants, ce sont les étudiants, privés d’enseignement depuis plusieurs semaines qui ont décidé à leur tour de s’en prendre à tout ce qui bouge si une solution n’était pas trouvée afin de leur permettre de bénéficier des enseignements de base requis pour leur formation.
Informé de cette évolution de la situation, parce qu’il était au courant, au moins partiellement, du contentieux qui opposait un groupe de professeurs au comité de gestion mis en place en janvier dernier, le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire, Muhindo Nzangi Butondo, a effectué une descente express sur les lieux en vue d’écouter les parties en conflit dont le comité de gestion et les professeurs frondeurs. A ces derniers, il a donné raison en plaçant désormais une représentante du ministère de l’ESU au sein du comité de gestion avant de promettre une réunion d’échange avec les experts de son cabinet dès le 13 juin prochain pour dissiper le malentendu.
Suspension de la suspension
Les sources du Maximum à l’ISAU assurent que les professeurs de cours d’architecture, satisfaits de la réaction du ministre, ont décidé de la suspension de leur grève et devraient reprendre les enseignements en attendant la réalisation des conditions posées à la hiérarchie, qui avaient été mal présentées par le comité de gestion.
En effet, le 2 juin 2022, une délégation composée de 3 professeurs, 3 chefs de travaux et d’1 assistant avait été reçue par le directeur de cabinet du ministre de l’ESU et son conseiller académique sans qu’une issue favorable ait été trouvée pour résoudre la crise. Les enseignants estimant que le cabinet du ministre avait été circonvenu un comité de gestion présentant le litige comme un problème de positionnement.
A l’ISAU, un groupe de 6 professeurs, tous docteurs à thèse en architecture et urbanisme formés à l’Institut Supérieur des Bâtiments et Travaux Publics, ex-IBTP section Architecture avant de parachever leurs cursus universitaire outre méditerranée soutenir leurs thèses à l’étranger, ont décidé de suspendre leurs enseignements le 12 mai 2022. Motif invoqué : mettre un terme à la descente aux enfers de leur Alma mater causée par des comités de gestion peu ou mal avertis des spécificités des enseignements en Architecture et en Urbanisme. Dans la correspondance adressée au ministère de l’ESU à cet effet, les enseignants frondeurs ont dénoncé l’extrême marchandisation de la formation caractérisée par un recrutement exponentiel d’étudiants, incompatible avec les méthodes d’enseignement requis à l’ISAU. «Nous comptons six (6) salles d’ateliers pour une capacité normale de 360 étudiants, alors que le nombre de d’inscrits dépasserait les 3.000 étudiants. Toutes choses étant égales par ailleurs, nous ne voudrions plus voir des étudiants qui dessinent dans les couloirs et à même le sol. Partant, nous déplorons la dégradation et la mégestion dont est victime cet Alma mater, au travers d’une gestion calamiteuse depuis une dizaine d’années», écrivent-ils.
Surpeuplement
Certes, le surpeuplement dans les universités et instituts supérieur est quasi général, et le nombre exact d’étudiants inscrits est devenu secret defence parce qu’il est susceptible de dévoiler les sommes colossales encaissées au titre de contributions des parents, notamment. Mais si cela prête peu à conséquences au sein d’institutions d’enseignements essentiellement théoriques, en médecine et dans les filières techniques comme à l’ISAU, le nombre exagérément élevé d’apprenants vicie dangereusement la qualité des enseignements. «Il suffit de songer aux dégâts que peut causer un médecin mal formé sur les patients ou un architecte incompétent sur la qualité des habitations. Songez donc aux écroulements spectaculaires enregistrés ci et là à Kinshasa», commente un étudiant qui prend le parti du groupe de ses professeurs d’architecture face au comité de gestion.
A l’ISAU, le comité de gestion en place a été nommé en janvier dernier dans la foulée des mises en place opérées par le ministre Muhindu Nzangi. Le professeur René Mputu, directeur général, est maintenu à ce poste depuis 10 ans; le professeur Kabasele, secrétaire général académique, est un nouveau parachuté de l’Institut géographique du Congo et l’Université pédagogique national. Ses décisions, prises en violation des règlements et des usages admis à l’institut auraient particulièrement exacerbé la grogne des enseignants, mais pas seulement. Parce que pour couronner le tout, Muhindo Nzangi s’est arrangé, ainsi qu’il l’a fait quasiment un peu partout dans les établissements d’enseignement universitaire, pour placer au poste de secrétaire général académique adjoint une jeune assistante fraîche émoulue de l’Institut supérieur des arts et métiers (ISAM) ainsi qu’un neveu formé à l’Académie des beaux-arts en qualité d’administrateur du budget.
Nominations clientélistes
Des nominations fantaisistes et clientélistes qui si elles ne sont les premières n’en aggravent pas moins la dégradation de la qualité des enseignements et de la valeur des diplômes d’architectes et urbanistes délivrés à l’ISAU. Non seulement les admissions d’étudiants semblent ne répondre plus qu’aux seuls «besoins de caisse» mais ne plus le contenu des enseignements dévient de plus en plus vers une sorte géographisation doublée d’une théorisation peu justifiables.
Des sources proches de ce dossier brûlant expliquent, en effet, que la formation d’architectes se base sur l’apprentissage par projets (APP) qui vise l’atteinte d’objectifs d’apprentissage identifiables, le développement de tous les types de savoirs, ainsi que la socialisation des apprenants. Il s’agit d’une approche qui encourage les étudiants à explorer les problèmes et les défis du monde réel dans un mode d’apprentissage actif et engagé, les projets étant réalisés en interaction avec les pairs dans leur environnement. «Cette méthode d’enseignement est privilégiée lorsqu’il s’agit d’acquérir des connaissances procédurales et le développement des compétences. Elle place l’apprenant au centre des apprentissages, la motivation de ce dernier étant un élément clé de succès», explique un professeur de l’ISAU qui estime «impossible de suivre individuellement et adéquatement plus de 3.000 étudiants à la fois comme cela se passe à l’ISAU ». Puis: «pour développer l’autonomie de l’apprenant, le rôle de l’enseignant chez nous s’apparente davantage à celui d’un médiateur, d’un organisateur qu’à celui d’un transmetteur de connaissances. Durant la phase de réalisation, l’enseignant observe, encourage et partage ses observations avec les apprenants. Ce qui est quasiment impossible avec des étudiants disséminés jusque dans les couloirs faute de place dans les salles d’ateliers à l’ISAU».
Ce que les mises en place de Muhindo Nzangi semblent ne pas avoir pris en compte, les professeurs d’architecture le lui rappellent dans leur correspondance en assurant que «l’ISAU est un institut supérieur technique et artistique, voire scientifique, aux particularités d’enseignement et de professionnalisation rigoureuses, qui se caractérisent notamment par l’enseignement en atelier avec une capacité d’accueil raisonnable ; une attention particulière à ces matières au moment des délibérations, le passage étant fortement conditionné par aux cours d’ateliers où les enseignements sont d’accompagnement; la nécessité d’un suivi individuel de chaque étudiant toujours en rapport avec la spécificité de l’enseignement qui plaide également pour un ratio étudiant-enseignant».
Pour ne pas courroucer davantage la communauté estudiantine, MuhindoNzangi a dû se résoudre à écouter les professeurs d’architecture et tout devrait aller pour le mieux désormais.
J.N