Aussitôt signé l’ordonnance de nomination des membres du gouvernement, lundi 26 août 2019, le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi et son épouse se sont envolés vers Yokohama au Japon. Dans la ville portuaire située au Sud de Tokyo, qui fut un des premiers ports nippons ouverts au commerce extérieur dès 1859, le couple présidentiel ainsi qu’une importante délégation économique congolaise ont pris part du 27 au 30 août au TICAD (Tokyo International conference on African Development). Créée en 1993, la TICAD est un cadre de concertation politique de haut niveau entre dirigeants africains et leur partenaire japonais dans le domaine du développement. Elle se tient tous les trois ans pour, entre autres, encourager la croissance économique, assurer la sécurité humaine et la consolidation de la paix et traiter de questions d’environnement et de changement climatique.
La 7ème édition de cette conférence qui s’est ouverte le 27 août à Yokohama a lieu dans des conditions particulières, qui expliquent la présence du chef de l’Etat rd congolais parmi les 4.500 participants à ces assises. Le contexte est en effet marqué par la forte présence du géant chinois sur le continent africain. Les statistiques des échanges commerciaux de l’empire du milieu et le pays du soleil levant avec le continent noir sont éloquentes: si le Japon a déjà accordé plus de 47 milliards USD d’aide publique au développement aux pays africains depuis le lancement de la TICAD en 1993, il est encore loin des 60 milliards USD annuels déboursés par la Chine.
Par ailleurs, au cours des dix dernières années, les exportations japonaises vers l’Afrique ont baissé de près de moitié (environ 7 milliards USD) et le stock de ses investissements directs sur le continent, ne représente actuellement que 20% de ceux de la Chine. Accroître sa présence en Afrique était donc une priorité obsédante pour Tokyo qui en avait marre de demeurer à la traîne, alors que ce ne sont ni les moyens ni les idées qui lui manquent pour ce faire.
En 2015, les échanges commerciaux japonais avec le continent noir se chiffraient à 24 milliards USD, contre 179 milliards pour la Chine. La valeur des exportations chinoises vers l’Afrique était onze fois supérieure à celle du Japon dont seulement ¼ du budget de la coopération au développement était destiné au continent. De même, on note que près de 10.000 entreprises chinoises sont présentes en Afrique (cabinet McKinsey), contre seulement 440 homologues nipponnes qui investissent principalement dans les mines, l’automobile, le pétrole et les infrastructures. La répartition géographique des investissements africains sur le continent paraît déficitaire, elle aussi, parce que seulement une poignée de pays africains monopolisent les investissements nippons. Jusqu’en 2015, l’Afrique du Sud, principal partenaire du Japon en Afrique, captait 70 % de ses investissements directs étrangers (IDE). Le pays de Cyril Ramaphosa est aussi celui qui attire le plus d’entreprises japonaises (275 sont recensées), suivi de l’Egypte et du Kenya.
C’est tout le contraire pour Pékin qui en la matière, est parvenu à répandre du ‘‘made in China’’ dans la quasi-totalité des villes africaines et même dans les zones rurales. En RDC, l’opinion publique s’était offusquée il y a quelques années, que des vendeurs chinois livrent une rude concurrence aux rd congolais dans le petit commerce, notamment la vente de beignets dans certains quartiers de la capitale Kinshasa.
Contre-performances japonaises
L’énumération n’est pas exhaustive, mais elle indique clairement que malgré toutes ses réalisations sur le continent, la TICAD s’est avérée jusqu’à présent incapable de relever le défi de la dynamisation des relations économiques Japon-Afrique.
A l’instar des Etats-Unis et de la Russie, deux autres puissances économiques de la planète, l’empire du Soleil levant entend donc se repositionner sur le continent noir en introduisant de nombreuses innovations dans sa politique de développement. Notamment, par la création d’un conseil conjoint permanent entre les gouvernements et le secteur privé japonais qui aura pour mission de promouvoir les investissements nippons.
La nouvelle structure devrait instaurer des rapports plus réguliers avec l’Afrique grâce à l’organisation de réunions entre responsables gouvernementaux et hommes d’affaires africains deux ou trois fois par an. Ouverte sous le thème « Faire avancer le développement en Afrique par les personnes, les technologies et l’innovation », la 7è TICAD de Yokohama a pour objectif d’appuyer la politique nippone sur le continent davantage sur l’assistance technique que sur l’aide au développement afin d’encourager les pays en développement à assurer leur propre autonomie. « L’assistance technique représente le mieux la philosophie de l’aide japonaise qui consiste en l’appui à l’autonomie », explique Shinichi Kitaoka, président de la JICA (Agence japonaise de coopération internationale. « Il s’agit de contribuer au développement de la capacité de sorte que le pays bénéficiaire puisse se développer de façon autonome », ajoute-t-il.
C’est le principe du « Kaizen » déjà expérimenté dans les entreprises japonaises pour inciter les employés à développer l’esprit d’initiative pour améliorer la qualité de ce qu’ils produisent que le Japon entend appliquer à son aide au développement des Etats africains.
La qualité contre la quantité
Au torrent de projets, dons en tous genres et prêts consentis par les Chinois et les Occidentaux aux Africains, Yokohama oppose et propose donc une meilleure qualité de projets, susurre-t-on, y compris à l’oreille du numéro 1 congolais, qui s’est manifestement laissé séduire. Le déplacement du président de la République au Japon, où il s’est fait accompagner notamment des dirigeants de la Société Nationale d’Electricité (SNEL), de l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements (ANAPI) et de l’Institut National de Préparation Professionnelle (INPP), a été préparé depuis plusieurs semaines.
En mars dernier, Nobuko Kayashima, vice-présidente de la JICA en charge de la TICAD avait séjourné à Kinshasa aux fins d’évaluer les besoins de la coopération RDC-Japon. Mi-juillet de cette même année, Shinichi Kitaoka, son chef avait pu rencontrer Félix Tshisekedi après avoir effectué une évaluation de l’ensemble des programmes de coopération soutenus par l’agence japonaise de développement au pays. L’Institut National de la Recherche Biologique (INRB), l’INPP, et l’Organisation Equipement Banana Kinshasa (OEBK) comptent parmi les entreprises visitées par le diplomate nippon. Des promesses de réhabilitation du port de Matadi au Kongo-Central, de la clinique kinoise à Kinshasa ainsi que de la turbine G24 du barrage d’Inga II qui permettra la stabilisation du courant électrique à Kinshasa et dans le Grand Katanga, avaient été annoncées.
Mardi 27 août à Yokohama, Félix Tshisekedi a de nouveau rencontré Shinichi Kitaoka avec qui il s’est entretenu de l’aide japonaise dans l’éradication de la maladie à virus Ebola (MVE), des investissements dans les infrastructures, des prêts concessionnels, notamment, rapporte-t-on.
Fatshi séduit
Le même jour, le président de la République a rencontré des dirigeants d’entreprises japonaises, notamment ceux de la Japan Oil Gas and Metals National Corporation (JOGMEC) qui se propose d’accompagner la RDC dans l’élaboration de sa cartographie minière par télédétection. Plusieurs entreprises japonaises mettent en place des stratégies d’expansion progressive en Afrique, note-ton. Parmi elles, le constructeur d’outils Komatsu présent dans 14 pays du continent. Quant à Mitsui and Co., spécialisée dans les infrastructures et l’énergie présente à Accra, Casablanca, Naïrobi, Maputo, Johannesburg et en Côte d’Ivoire depuis 2015, elle a annoncé également son intention d’étendre sa présence sur d’autres pays du continent. Plusieurs autres entreprises telles que Sojitz, Sumitomo ou encore Mitsubishi y sont présentes, mais leurs investissements restent généralement encore marginaux par rapport à ceux des firmes chinoises.
L’une des plus emblématiques avancées japonaises en Afrique reste la prise de contrôle en 2012 du groupe CFAO par Toyota Tsusho Corporation. Fondé en 1852, l’ancien fleuron français CFAO assure désormais au Japon une présence dans 26 pays africains, avec un vaste réseau de distribution automobile, pharmaceutique et de services technologiques, pour un chiffre d’affaires de 4,2 milliards USD réalisé à 80% en Afrique. A ses activités traditionnelles, le groupe ajoute désormais la grande distribution en association avec le groupe Carrefour, ainsi que le développement des énergies renouvelables (solaire, éolien et géothermie), renseigne nos confrères d’Ecofin.
En se rendant à la 7ème TICAD à Yokohama, Félix Tshisekedi vise également la réintégration de la RDC dans le giron des Etats éligibles aux prêts concessionnels accordés par l’empire du Soleil levant. Le pays en avait été exclu, notamment, pour n’avoir pas remboursé comme convenu le prêt consenti pour la construction du pont route-rail de l’OEBK à Matadi. Il s’agit de financement à hauteur illimitée et aux taux d’intérêt à moins de 0,1 %, explique-t-on à la présidence de la République.
La TICAD est co-organisée le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la Banque Mondiale (BM) et la Commission de l’Union Africaine (CUA).
J.N.