S’il croyait faire plaisir aux populations du Congo-Brazzaville et de la RD Congo en annonçant le lancement des travaux de construction du pont mixte route-rail entre Brazza- ville et Kinshasa, en 2010, le président de la Banque Africaine de Développement s’est trompé. En RD Congo, particulièrement dans la province du Kongo-Central où la vie économique dépend quasi exclusivement des activités portuaires de Matadi et Boma, les propos d’Akinwumi Adesina ont été perçus comme l’annonce de l’apocalypse. Et des voix se sont aussitôt élevées pour contester ce projet qui date pourtant de l’ère Mobutu. Même au sortir d’âpres joutes électorales qui ont sensiblement érodé la cohésion entre Ne Kongo, les élus et notables de cette province de l’extrême Sud-ouest de la RD Congo ont su y trouver une motivation pour communier à nouveau : contre un projet qu’ils considèrent comme assassin pour leur province.
Pesanteurs
Un pont entre Brazzaville et Kinshasa, les capitales les plus proches au monde, ce n’est pas la première fois qu’on en parle. Mais de sérieuses pesanteurs ont retardé le projet, pour des raisons à la fois économiques et politiques. On rapporte ainsi que même du haut de sa toute puissante tour d’ivoire de Gbadolite, au soir de son règne, le Maréchal Mobutu s’était laissé convaincre qu’il valait mieux ne pas y aller, au risque de perdre à jamais l’électorat de l’alors province du Bas-Zaïre. Arrivé au pouvoir en 1997, Laurent-Désiré Kabila caressa lui-aussi le projet d’érection d’un pont entre Kinshasa et Brazzaville, jeté à partir des chutes de Kinshasa où la largeur du fleuve est particulièrement réduite. Un début des travaux fut même amorcé, dont les vestiges sont encore visibles au quartier Kinsuka-pêcheurs. Mais le projet du révolutionnaire des maquis d’Hewa Bora, mû par des motivations panafricanistes, n’était pas suffisamment mercantile pour attirer l’attention des faiseurs des injustices et d’iniquités sociales qui mènent la planète par le bout du nez. Denis Sassou Ngouesso s’y opposa fermement, selon certaines sources, arguant du fait que l’ouvrage donnerait l’occasion aux populations de la capitale d’en face dont la démographie grimpait dangereusement, de noyer littéralement Brazzaville.
Avantages extravertis ?
Depuis les années ’97, beaucoup d’eau du fleuve Congo a coulé, lorsqu’ils existent, et l’homme fort d’Oyo a radicalement changé d’avis. De puissants groupes d’intérêts occidentaux sont passés par là, dans l’entre-temps, et convaincu l’homme fort de Brazzaville de l’intérêt de l’ouvrage qui relierait Maluku à 80 km de Kinshasa à un port de la capitale du Congo-B. pour un pays qui dépend dramatiquement des revenus pétroliers. « Je salue l’effort et le leadership du président Denis Sassou Ngouesso et de Félix Tshiskedi. Leur volonté politique est très forte pour la réalisation de ce projet », assurait Akwinimi Adesina au cours d’un point de presse à Oyo, après des entretiens avec le chef de l’Etat Brazza-Congolais. Des propos sans doute véridiques, en ce qui concerne Sassou, mais un peu plus discutables s’agissant de Félix Tshisekedi dont la présence à la tête de son pays date de seulement quelques mois. «On ne voit pas à quel moment Fatshi a pu s’imprégner suffisamment des contours de ce projet pour en décider aussi vite », répond au Maximum une source au ministère rd congolais des Affaires étrangères jointe au téléphone.
Brazza mieux préparé
Sur ce pont qui s’inscrit dans le cadre d’un projet plus vaste consistant à relier l’Afrique du Nord à l’Afrique Australe, Brazzaville semble mieux préparé à en tirer profit en raison d’importants travaux infrastructurels réalisés il y a quelques années. Si à Kinshasa, le projet d’instauration d’une Zone Economique Spéciale semble marquer le pas et tarde à surgir de terres bateke de Maluku, ce n’est pas le cas à Brazzaville : « Sassou a construit ses infrastructures en fonction des besoins de Kinshasa », explique cet expert Ouest africain de la Banque Mondiale. Quelque 76 millions d’Euros ont suffi pour rénover le port autonome de Brazzaville ainsi qu’un chapelet de ports secondaires. Les Chinois de Sinohydro devaient ainsi livrer, dès 2016, un linéaire de quais pimpants neufs de plus de 1 km de long, juste en face Kinshasa. Ce n’est pas tout. De l’autre côté du fleuve Congo, le pont route-rail de quelque 4 km (5 km, selon des sources) s’ouvrira sur un terminal à containers à Maloukou, lui-même relié au port de Pointe-Noire aussi bien par une voie ferroviaire totalement réhabilitée que par une voie routière à 8 bandes.
60 % du trafic import-export
De quoi faire dépendre largement le trafic import-export rd congolais, dont 60 % transite déjà par Pointe-Noire, du Congo voisin où le Français Bolloré a investi près de 570 millions d’Euros pour l’érection d’un immense terminal à containeurs. Ce n’est pas pour des broutilles: de sérieuses études, dont celles du PNUD, indiquent que d’ici 2025, dans 6 ans donc, Kinshasa représentera un marché de plus de 15 millions de consommateurs de biens d’importation. Bolloré compte donc parmi ceux qui profiteront plus que largement de la construction d’un pont entre Brazzaville et Kinshasa, dont les performances en termes de rapidité et d’économie de temps, accapareront les importations à destination de la plupart des provinces de la RD Congo, à l’exception notable du Kongo-Central, avancent certains experts. Et, cela va de soi, les vieux ports de Matadi et de Boma seront quasiment rayés de la carte, faute d’activités. Le pont Brazzaville-Kinshasa, financé par la BAD et la BM, sera donc manifestement utile pour 25 des 26 provinces rd congolaises, et même pour la République Centrafricaine voisine et le Tchad, assure-t-on. Il devrait ainsi booster les activités économiques de l’ex. Bandundu, des provinces Kasaiennes auxquelles il sera relié à travers le chemin de fer Ilebo-Kinshasa, de l’ex-Equateur et de la Tshopo. Mais il semble condamner le Kongo-Central à une lente mais réelle asphyxie économique.
J.N.