Dans la nuit du 5 au 6 octobre 2018, à quelques km de Kisantu dans la province du Kongo-Central, des flammes dignes de l’enfer ont emporté de vie à trépas 53 personnes et blessés 72 autres, selon les statistiques révisées du ministère de la santé publique, qui avait auparavant fait état de 39 décès des suites de l’explosion d’un camion-citerne convoyant du carburant à destination de Kinshasa.
A la hauteur du Mbuba, la RN 1 est particulièrement dangereuse, expliquent des voyageurs : le village et son marché bordent la route asphaltée qui comporte aucun panneau de limitation de vitesse. Et, samedi, jour de marché ici, les populations viennent parfois de villages distants de 20 ou 30 km, l’affluence est particulièrement énorme, donc.
L’incident survenu entre 5 h et 6 h, ce samedi 6 octobre, s’est produit lorsqu’un camion-citerne de la société African-Oil convoyant 25 m3 d’essence en provenance de Moanda est entré en collision avec un camion-remorque transportant des passagers en provenance du marché de Lufu dans la même province du Kongo-Central. Des sources indépendantes rapportent que la collision s’est produite alors que le véhicule de transport de passagers tentait de dépasser le camion-remorque, renversant ce dernier et déversant ainsi de nombreuses filets de carburant sur lesquels se sont jetés des habitants du village de Mbuba, avides de procurer du carburant gratuit à revendre sur cette route nationale très fréquentée de jour comme de nuit. C’est le passage sur les lieux d’un engin motorisé qui a mis le feu aux poudres, au propre comme au figuré, provoquant l’explosion du camion-citerne. Et l’hécatombe. Des habitants se sont précipités sur le camion-citerne munis de bidons et de bassins pour recueillir l’essence qui coulait à flot, rapporte des témoins cités par la presse à Kinshasa. Une vendeuse du petit marché au bord de la RN 1 à Mbuba, témoin de l’événement, rapporte à Actualités.cd que les passagers à bord du camion-remorque ont également été happés par les flammes. « Ils cherchaient à s’échapper, mais c’était difficile, et très dur à voir ». « J’ai vu cette femme enceinte dont l’enfant est sorti du ventre. Ils sont tous morts », poursuit-elle.
Premiers états de lieux macabres
Dimanche 7 octobre, le ministre de la santé, le Dr Oly Ilunga faisait état d’un bilan de 39 morts (dont 20 sur le site de l’accident) et 84 blessés. Lundi 8 octobre, 24 heures plus tard, l’autorité sanitaire nationale revoyait le bilan à la hausse. Parce qu’entretemps, 12 personnes transférées d’urgence dans les hôpitaux de Kinshasa avaient succombé à leurs brûlures. Deux corps calcinés supplémentaires avaient été retrouvées sur le lieu de l’explosion. Etaient donc encore en soins dans les institutions hospitalières de la capitale, 72 brûlés, mais Oly Ilunga prévenait qu’une aggravation du bilan des décès était plus qu’envisageable.
Néanmoins, sur l’hécatombe de Mbuba, l’essentiel semblait avoir été fait ou était en cours. Encore une fois, face à l’épreuve accidentelle, les autorités sanitaires faisaient plutôt preuve de maîtrise de la situation après que des secours de fortune se soient déployés sur les lieux.
De nombreuses ambulances ont été dépêchés sur les lieux appartenant à la Clinique de l’Unité Médicale d’Intervention Rapide des FARDC (UMIR) ; à l’UMIR elle-même ; à la MONUSCO ; à SOD Médecins de Nuit ; à l’Hôpital de l’Amitié Sino-Congolaise ; à la Clinique Ngaliema ; au Programme National des Urgences et Actions Humanitaires (PNUAH) ; à la Clinique Mobile du PNUAH ; à l’Immeuble du Gouvernement. Elles se sont ajoutées aux ambulances des hôpitaux de Sonankulu, Kasangulu et Lukala. Elles ont permis le transfert de 79 blessés aux cliniques Ngaliema, aux cliniques universitaires de Kinshasa, à l’Hôpital Général de Référence de Kinshasa, à l’Hôpital de l’Amitié Sino-Congolaise, à l’Hôpital de Monkole, à l’Hôpital du Cinquantenaire et l’Hôpital du Camp Kokolo, au terme de rotations qui se sont clôturées dimanche 7 octobre 2018 à 6 h 30.
Situation maîtrisée
Dès le 7 octobre au matin, la liste des personnes décédées était disponible à l’Hôpital St Luc de Kisantu, et celle des malades auprès du ministère de l’Intérieur et au Gouvernorat de la province du Kongo Central. Une cellule de crise dirigée par le Dr Sylvain Yuma Ramazani, secrétaire général a.i. au ministère de la santé publique, était chargée du suivi de la situation.
Lundi 8 octobre 2018, le président de la République présentait ses condoléances aux familles éprouvées et décrétait un deuil national de 3 jours qui a pris fin mercredi 10 octobre. Lundi 8 octobre, le 1er ministre, Bruno Tshibala Nzenzhe, a effectué une ronde dans les institutions hospitalières qui avaient reçu les accidentés de Mbuba, accompagné des ministres de la Santé et des Transports et Voies de Communication.
Néanmoins, le samedi noir de Mbuba a beaucoup ému, dans la province du Kongo-Central et à Kinshasa, non loin de là. Et comme de coutume en RD Congo, fait l’objet de récupérations politique de plus ou moins mauvais alois. Si en cette période pré-électorale en RD Congo, il est normal que les acteurs politiques de l’opposition comme de la majorité au pouvoir manifeste leur solidarité aux populations frappées par les deuils, quelques excès déplorables ont été enregistrés, qui accablent unilatéralement le pouvoir en place. Des acteurs politiques, comme l’ancien candidat à la présidentielle, Moïse Katumbi Chapwe, ont plongé dans la brèche tête baissée. « Mes condoléances aux proches. L’Etat est encore absent et les Congolais sont livrés à eux-mêmes. Après 20 ans de pouvoir, le régime Kabila ne peut que constater son impuissance. Cela doit vite changer ! », a-t-il posté sur compte Twitter « … à partir d’un bureau climatisé quelque part à travers le monde », selon le commentaire de ce kinois désabusé mais lucide.
Emotion partagée
Mais des simples citoyens aussi, comme cet internaute du nom de Ados Ndombasi Banikina, auteur d’un posting inspiré d’Emile Zole, très partagé sur les réseaux sociaux. « Pour Madimba, j’accuse … », titre-t-il. Pour déplorer que des brûlés au 3ème degré aient été transportés « vers des dispensaires de fortune comme du bétail à l’abattoir». Déplorant qu’il n’existe « aucune ambulance … pas de sapeur pompiers, pas de camion anti-incendie ». Des propos et du ressentiment sans doute légitime, mais quelque peu aveuglés par l’émotion. Les hôpitaux de Kisantu et de Kinshasa où les brûlés sont soignés n’ont rien de dispensaires de fortune, et les ambulances, dont celles des hôpitaux de Sonankulu, de Kisantu qui ont servi au transfert de blessés attestent de l’existence de structures sanitaires à plusieurs km de Kinshasa la capitale ou de Matadi, le chef-lieu de la province du Kongo Central, explique au Maximum ce médecin stagiaire de l’Université Kongo de Kisantu qui a pris part aux secours d’urgence avec beaucoup d’être de ses camarades. « Même s’il reste possible d’améliorer ce qui existe », avance-t-il. Interrogé sur le posting du sieur Ado Ndombasi, qui en a impressionné plus d’un dans les réseaux sociaux en alignant les prix d’achat d’ambulances, véhicules anti-incendie, etc, le médecin-stagiaire se montre lucide : « Notre frère aurait été plus conséquent en indiquant également quelle est sa contribution au budget de l’Etat, en termes d’impôts payés par exemple, parce que le contribuable que nous sommes tous et chacun à sa pierre à apporter à l’édifice sanitaire national », ajoute-t-il.
Responsabilité partagée
On retiendra, au-delà de toutes les considérations, que dans l’hécatombe de Mbuba, les responsabilités et l’irresponsabilité sont partagées. Dans un rapport d’enquête préliminaire, mardi 9 septembre 2018, la police estime que l’excès de vitesse et l’obscurité dont à l’origine de la collision du samedi 6 octobre aux premières heures de la matinée. « Il y a eu excès de vitesse, en dépit de dos d’âne qui ont été placés par l’administration locale, et sans compter avec la somnolence au volant du chauffeur. Il a été fait état de de l’obscurité sur la chaussée de la Nationale n° 1. Il y a lieu de préciser que l’accident n’a pas occasionné autant de mort et de blessés. Il s’agit plutôt de l’imprudence de la population au bord de la route qui est allée pour faire des réserves en carburant sans tenir compte du danger qui la guettait … ». L’administration publique devra réglementer la délivrance des autorisations de transport du carburant pour éviter pareil incident à l’avenir, estime ce rapport de police, qui conseille par ailleurs que ce convoyage demeure le monopole du seul transporteur du carburant par pipe-line comme par le passé.
C’est plus positif et moins rêveur.
J.N.