En RD Congo, même le bon Dieu n’écoute plus ses représentants. Ce n’est pas l’appel à mort d’hommes lancé par le Comité Laïc des Chrétiens (CLC) le 31 décembre 2017 en organisant une manifestation monstre sans itinéraire qui a débordé et tué. Ce sont des eaux de pluie, celles de la pluie diluvienne tombée sur la capitale Kinshasa dans la nuit du 3 au 4 janvier, qui ont décimé : 44 morts au total, selon les chiffres des autorités urbaines, rendus publics après une réunion extraordinaire du gouvernement provincial le vendredi 5 janvier. C’est presque 10 fois le nombre de pertes en vies humaines enregistrés quelques jours plus tôt, à l’occasion de la marche politique des chrétiens soutenue par l’archidiocèse de Kinshasa.
Des familles entières noyées, comme à Binza, où un couple et leur enfant de 9 mois a été surpris et noyé dans leur lit par les eaux d’une rivière sorti du sien ; ou encore à Bandal Makelele, ces trois sur les 4 enfants d’une famille dont la mère s’en était allée « servir le Seigneur » à une veillée de prière. Des eaux de pluies qui ont sorties de leurs lits, des murs qui se sont écroulés, des ponts qui ont cédé sous la poussée des eaux … les dégâts auront été énormes. Au cours d’une réunion extraordinaire du gouvernement d’union présidée par le 1er ministre, Bruno Tshibala Nzenzhe, des chiffres ont été avancés qui font froid au dos … de ceux des kinois qui ont échappé à ce déluge : 5.100 maisons d’habitations inondées, 192 maisons écroulées, des glissements de terrains. Les communes les plus touchées sont Ngaliema, Bandalungwa, Barumbu, Limete et Selembao, d’après ces sources officielles.
Eaux ravageuses
Même de très sérieuses installations, comme celles de la Société Nationale d’Electricité, n’ont pas résisté à la furie des eaux de pluie de la nuit de mercredi à jeudi derniers. L’inondation du terrain et du poste haute tension de la Funa a entraîné une importante coupure de fourniture d’énergie électrique. 10 des 24 communes de la capitale ont été privées d’électricité dès 5 heures, jeudi 4 janvier dernier : Gombe, Makala, Ngiri-Ngiri, Barumbu, Kinshasa, Kasavubu, Kalamu, Limete, Masina, Lingwala.
Sur instruction du Président de la République, le gouvernement a décrété deux journées de deuil national, lundi 8 et mardi 9 janvier 2018. « Les Ministres de la Solidarité Nationale et Actions Humanitaires, des Affaires Sociales, de la Santé, de l’Aménagement du Territoire et Rénovation de la Ville, des Affaires Foncières, de l’Urbanisme et Habitat ainsi que celui des Infrastructures, Travaux Publics et Reconstruction, ont été chargés, chacun en ce qui le concerne, à prendre des dispositions immédiates pour soutenir et accompagner les sinistrés mais aussi pour maitriser et contrôler les inondations ultérieures étant donné qu’une pluviométrie importante sera observée jusque fin mars 2018 », indique le compte-rendu de la réunion extraordinaire du gouvernement convoquée à cet effet.
Deuil national
Samedi 6 janvier à la vice-primature de l’Intérieur et Sécurité à la Gombe, le comité de crise pour l’assistance du gouvernement aux sinistrés de la pluie diluvienne de mercredi dernier a réuni autour d’une table au moins 15 membres du gouvernement sous la direction du vice-premier ministre Ramazani Shadary. Les frais d’inhumation des 44 victimes seront pris en charge par le Chef de l’Etat, a annoncé Félix Kabange Numbi, le porte-parole de la commission.
De son côté, le gouverneur de la ville-province de Kinshasa, André Kimbuta Yango, a annoncé une batterie de mesures au terme du conseil des ministres du gouvernement provincial, vendredi 5 janvier dernier. Notamment, la reprise des démolitions des constructions anarchiques érigées dans la capitale, qui ont aggravé les dégâts enregistrés au cours de la pluie de mercredi et jeudi. Pour « … prévenir d’autres cas d’inondations et de détresse, la commission technique des travaux procédera incessamment à la démolition des constructions anarchiques identifiées avec les concours des gestionnaires de proximité », a décrété l’exécutif provincial. Le gouvernement provincial a également rappelé aux kinois l’interdiction des constructions sur les berges des cours d’eau en deçà d’un minimum de 10 m de leurs lits, sur les pentes collinaires, les ouvrages de drainage et autres collecteurs d’eaux de ruissellements.
Mesures conservatoires
Mais la décision de démolir à Kinshasa n’est pas sans poser problème. Les experts en matière de constructions et d’urbanisme notent que dans la capitale, tout lotissement érigé après 1990 est anarchique parce que non validé par l’autorité urbaine en raison d’une décision d’interdiction qui n’a jamais été levée. Tous les sites lotis après cette date sont donc réputés d’occupation illégale, y compris, à titre d’exemple, le quartier huppé dénommé « Beau Vent », situé entre le Palais du Peuple et l’avenue Kabinda dans la commune de Lingwala. Il a déjà échappe à toutes les opérations de démolition, et on voit mal les pelleteuses de l’Hôtel de Ville s’y aventurer à l’assaut d’immeubles cossus qui y sont érigés.
Ramenée à des proportions plus réalistes, la décision de la mairie devrait donc, au mieux, restructurer chaque site à problème suivant la logique du bassin versant, « pour ne pas laisser la nature se charger de réparer les errements humains », estiment certains experts. « A Kinshasa, tout le monde commence par construire, avant de légaliser le fait accompli », explique cet architecte au Maximum, qui estime que l’anarchique est légalisée par des fonctionnaires véreux. S’il n’y a pas eu lotissement au centre de la capitale, des morcellements s’y sont substitués qui posent parfois de sérieux problèmes. Tandis que des lotissements ont bien été opérés dans la périphérie de la capitale, quoiqu’on en dise. On devrait donc restructurer certains sites et en démolir carrément d’autres, particulièrement dans les emprises des cours d’eau, au-dessus des câbles haute tension, etc.
Mesures discutables
Selon les rapports officiels, le quartier Makelele, du nom de la rivière du même nom qui borde la commune de Bandalungwa, compte parmi les plus affectés par le sinistre survenu jeudi dernier à Kinshasa. Pourtant, ce site est réputé désaffecté sur décision gouvernementale depuis … les années 1990, lorsqu’une pluie causait le même type de dégâts en termes de vies humaines fauchées. Un nouveau site avait été loti et attribué aux sinistrés dits de Makelele au quartier Mpasa à quelques km de l’aéroport international de Ndjili. Mais ce n’était plus qu’un secret de polichinelle : les sinistrés de Makelele avaient, presque tous, revendus les parcelles de terre reçus de l’Etat et regagné Makelele.
Au-delà d’inévitables mesures conservatoires, les experts consultés par nos rédactions conseillent : des enquêtes urbaines en amont de décisions de désaffectation et de destructions visant à identifier les raisons de l’établissement des populations à l’endroit visé plutôt qu’ailleurs (urbanisme participatif) ; préparation d’une trame d’accueil assainie susceptible de recevoir les déplacés en tenant compte de leurs aspirations pour qu’ils ne regagnent pas les sites désaffectés ; mettre en place une police de l’urbanisme pour assurer les contrôles ; engager des urbanistes dans l’administration urbaine en lieu et place des faire-valoir « vendeurs » de documents administratifs ; mise sur pied d’une politique de l’habitat clairement définie ; Réactualiser le plan d’aménagement de la ville de Kinshasa, dont la caducité est tout de même avérée depuis des lustres. Restructurer, démolir, oui, mais dans le respect de ce type de préalables.
J.N.