Alors que le Franc congolais continue de se déprécier face au dollar américain, la BCC (Banque Centrale du Congo) appelle, cependant, les rd congolais à garder espoir et à faire confiance à la monnaie nationale. Le Franc congolais finira par recouvrer sa santé d’antan, rassure-t-on à la Banque centrale, sans beaucoup convaincre. D’ici à début juillet, 1 dollar vaudra 1600 FC, craint-on.
Le taux du dollar a, en effet, l’effet d’une grenade dégoupillée sur le front social. D’ailleurs le DG chargé des opérations à la BCC, Jean-Louis Kayembe, y va sans langue de bois : «Face aux causes qui sont à l’origine de cette dépréciation, il faudrait un ajustement budgétaire en interne, une discipline budgétaire, et travailler sur base des ressources qui sont mobilisées… », soutient-il, avant de poursuivre qu’ «Il faut que nous puissions à court et à moyen termes chercher d’autres sources pour le trésor, d’autres sources d’appui budgétaire et d’appui à la balance de paiement, parce que face à une pénurie des devises, la solution se trouve au niveau de l’offre, réduire les importations ou bien augmenter l’offre de devises sur le marché».
Et pourtant la planche à billet a tourné ces dernières semaines à la Banque centrale, rapportent des sources bien renseignées. L’afflux de masses de nouveaux billets de 500 et 1.000 FC, a notamment permis d’assurer la récente paie dans l’administration et les entreprises publiques. Mais à quel taux?
Indexation salariale
La question de l’indexation des salaires et émoluments au taux de change moyen entre le Franc congolais et le dollar américain (1400 FC /$), a fait des vagues à l’Assemblée nationale, lors de la présentation de la loi de finances 2017 qui comprend le budget de l’Etat, par le Premier ministre, Bruno Aubert Tshibala. Pour l’Honorable Baudouin Mayo (UNC, opposition), le Premier ministre doit remonter à janvier 2017 pour réparer les dommages subis par les agents et travailleurs de l’Etat parce que la loi des finances couvre toute l’année. Le 2 juin, lors de ses réponses aux préoccupations exprimées 24 heures plutôt par les députés, le Premier ministre a tenu à lever toute équivoque. «La prudence managériale, a-t-il dit, m’interdit de faire des promesses démagogiques et populistes que le Gouvernement ne saurait pas réaliser ». Avant d’ajouter que « La question technique et financière qui se pose est de savoir si, avec un taux de croissance très largement inférieur au taux de change et d’inflation, le gouvernement peut se permettre de prendre le risque d’envisager de distribuer une richesse qui n’existe pas et faire sombrer le pays dans une spirale inflationniste des prix et des salaires. Les augmentations prévues dans le projet du budget 2017 sont en fait des projections et non des richesses déjà réalisées que le Gouvernement peut commencer à distribuer à travers des rémunérations. II faut donc traiter avec prudence cette question de l’enveloppe salariale que nous devons encadrer dans les limites de ce que la trésorerie publique nous offre chaque mois».
Le Premier ministre honoraire Samy Badibanga et certains de ses ministres comptent parmi les premiers servis avec de billets pimpant neufs, rapportent nos sources. Ils ont touché leurs indemnités de sortie. Même si nos contacts se sont plutôt montrés évasifs sur la question de savoir à quel taux du dollar le team Badidanga a été désintéressé, entre fin mai et début juin 2017. Par contre, l’on sait que les travailleurs de l’OCC, Office congolais de contrôle, ont touché du coup trois mois de salaires sur le chapelet d’arriérés qu‘ils traînent au taux de 1400FC le dollar. «C’était la condition sine qua none pour reprendre le travail, la nouvelle direction générale ne pouvait que s’y plier…», a déclaré un leader syndical à la presse. L’Etat-employeur, a-t-il renchéri, s’est inscrit « dans l’illogique des privés, des patrons libanais, chinois, indiens et autres pakistanais qui appliquent leurs propres taux lors de la paie».
A chaque entreprise son taux de change
A la Marsavco, à Congo Futur, a-t-on appris, la paie s’effectuerait au taux de 590 FC le dollar. Chez les magasiniers de l’avenue du Commerce, l’on serait en dessous de 500 FC le dollar. «C’est à prendre ou à laisser…Tu ne t’en prendras qu’à toi-même, ceux qui ont osé contester le taux au rabais ont été licenciés sans ménagement. Leurs plaintes à l’inspection générale du Travail ont fini par se voir poussées de la barbe blanche sans qu’une lueur de solution ne pointe à l’horizon», confie ce vendeur d’appareils électroménagers auprès d’un commerçant libanais.
A Lubumbashi, les cheminots de la SNCC ont perçu, fin mai 2017, 1 mois de salaire sur les 95 mois d’arriérés. Non seulement la direction générale a fait comprendre que la paie portait sur le mois de mars de 2017, mais elle s’est aussi effectuée au taux de 750 FC le dollar. Les travailleurs ont tout naturellement crié au scandale, à la triche ; mais la direction générale de la Société nationale des chemins de fer estime avoir plutôt réalisé une sacrée performance : longtemps, les salaires des cheminots étaient perçus au taux de 440 FC le dollar. Beaucoup parmi eux se sont résolus au troc : une maison de la compagnie contre ses arriérés de salaires. Même si nombre de ces nouveaux acquéreurs de maisons SNCC se retrouvent malheureusement déguerpis après quelques mois seulement de jouissance du titre de propriété au motif que les habitations leur cédées appartiendraient plutôt au domaine privé de l’Etat.
A Mbuji-Mayi, les travailleurs de la Minière de Bakwanga, MIBA, alignent pour les mieux payés 50 mois d’arriérés de salaires. Pourtant, le salaire a été réduit de quart, avec le consentement du bureau syndical dans l’espoir d’une normalisation de la paie. Hélas. Ici, l’on ne parle plus de taux de change, l’on procède à de laborieux arrangements particuliers pour établir qui percevra quoi… bien souvent sous la houlette du Gouv Ngoy Kasanji en personne, rapportent des sources.
A la Société commerciale des transports et des ports, SCTP ex-ONATRA, les arriérés de salaires dépendent d’un site d’exploitation à un autre, selon qu’il est situé plus ou moins loin de Kinshasa. Si à la SCTP/Mbandaka, la dernière paie remonte à des lustres, à Boma, Matadi, l’on est dans la fournée des travailleurs de la capitale, autour de six mois d’arriérés des salaires. En fait, depuis que le nouveau directeur-général, Lewis Banguka, est à son poste. Le 1er juin dernier, ayant appris que leurs collègues de l’OCC ont touché d’un coup 3 mois des salaires, des travailleurs de la Société commerciale des transports et des ports se sont spontanément soulevés, barricadant l’entrée principale de leur bâtiment administratif et scandant la démission de leur directeur général. Lewis Banguka est accusé d’incompétence et de manque de politique managériale pour fiabiliser la situation financière et redresser la société. A fin juin 2017, les agents de la SCTP totalisent en ce qui concerne ceux de Kinshasa, des arriérés des salaires de cinq à sept mois selon les grades et de sept mois pour ceux de Boma et Matadi. Alors que tous les départements pourvoyeurs des recettes de l’entreprise sont opérationnels, notamment les ports maritimes (Matadi et de Boma) dans la province du Kongo central et le chemin de fer Kinshasa-Matadi ainsi que le port fluvial de Kinshasa (beach Ngobila). Ici, selon un délégué syndical, tout, salaire, allocation quelconque, se fait au taux de 970 FC le dollar.
960 FC à la SCTP
«En fait, 1.000 dollars payés en Franc congolais ne valent en réalité que 600 dollars. Et lorsqu’il te faudra acheter du dollar pour payer le loyer ou le minerval des enfants, il ne te reste que de quoi assurer son transport… ». Au dimanche 4 juin 2017, le taux de change indiquait 1.600 FC pour le dollar dans certaines places de la capitale (Limete 7ème Rue Place commerciale, Kintambo-Magasin…). La dépréciation de la monnaie locale face au billet vert avait repris de plus belle depuis fin mai, période qui coïncide avec l’injection sur le marché de billets neufs de 500 et 1.000 FC. Ces billets représentent plus de 35% de la masse monétaire en circulation contre près de 20% pour les billets de 20.000 et 10.000 FC. De quoi tourbillonner davantage la circulation fiduciaire et flamber les prix des biens et services au grand dam des citoyens r-dcongolais. A la BCC, tout semble passer pour le meilleur du monde. Certains députés poussent Tshibala à avoir un droit de regard sur l’institut d’émission… à l’image de Matata Ponyo qui était, dès les premières heures du début de la semaine, au parfum de faits et gestes liés au pognon de Deogracias Mutombo, grâce à la traditionnelle troïka de chaque lundi 6h. Il y va de la sérénité du gouvernement. L’opinion grommelle, le marché flambe du fait du taux du dollar. Et les leaders syndicaux de l’administration publique qui avaient suspendu leur mouvement de grève générale en mars dernier suite aux négociations directes avec la Primature, entendent voir Tshibala, au nom de la continuité de l’Etat, passer à l’acte les engagements de son prédécesseur : hausse de salaire, pouvoir d’achat, maîtrise du taux du dollar…Un débrayage général couve.
ABIJA BENAJA