Le Dr. Denis Mukwege a formalisé sa candidature à la présidentielle de décembre 2023 en RDC, mardi 3 octobre au Bureau de réception et de traitement des candidatures de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à Kinshasa. En attendant les candidatures annoncées du président en exercice, Félix Tshisekedi, de Marie-Josée Ifoku, ou encore de Delly Sessanga, le gynécologue et président de la Fondation Panzi s’est résolument jeté à l’eau. Surnommé «réparateur des femmes», il compte donc solliciter les sufrages de ses compatriotes aux côtés d’autres impétrants comme Constant Mutamba, Frank Diongo Shamba, Augustin Matata Ponyo, Rex Kazadi, Adolphe Muzito, Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Mudekereza, Ngalasi etc.
Lundi 2 octobre 2023 à Kinshasa, Denis Mukwege avait convoqué médias et sympathisants pour annoncer une décision plutôt attendue. Dans un discours de 12 pages, le président de la Fondation Panzi a justifié sa plongée dans l’arène politique en égratignant Félix Tshisekedi, le favori des sondages pour l’élection prévue le 20 décembre prochain. «En dépit des torrents de promesses qui lui sont faites par des gouvernants inconséquents, irresponsables et incompétents, l’insécurité, la faim, la maladie, le chômage, l’humiliation sont le lot quotidien de notre peuple», a vociféré Denis Mukwege, en prélude à une avalanche d’attaques politiciennes.
Reste que si le médecin spécialiste des fistules abîmées du fait des conflits armés qui endeuillent la RDC depuis près de 30 ans semble bénéficier du soutien de quelques «maîtres autoproclamés du monde», il devra, pour arriver à ses fins, convaincre préalablement ses concitoyens qu’il ne représente pas les seuls intérêts étrangers, notoirement responsables de la plupart des maux qu’il a aidé à combattre dans les corps des victimes des agressions armées contre la RDC. Une tâche plus laborieuse qu’il n’y paraît à première vue, particulièrement dans sa région natale plutôt fournie en leaders politiques et d’opinion.
Baptême de feu
Dès l’annonce, sans surprise, de sa candidature à la magistrature suprême en RDC, le médecin de Panzi s’est retrouvé dans le collimateur de détracteurs qui ne se sont pas fait prier pour le dépeindre sous un jour peu avenant, à tort ou à raison. Un vieil article de l’hebdomadaire franco-africain Jeune Afrique faisant état des chaleureuses félicitations adressées au Nobel rd congolais de la paix 2018 par les représentants de l’Ordre des Francs-Maçons a ainsi été exhumé, suggérant que le nouveau candidat au top job était membre de cette loge mystique souvent décriée dans l’opinion.
Sur les réseaux sociaux dont raffolent ses compatriotes, les internautes n’ont eu de cesse depuis lors de rivaliser d’ardeur pour dénoncer le parti-lié supposé entre Denis Mukwege et des valeurs occidentales aussi contestées dans son pays que l’homosexualité. «Dans son programme de gouvernance (…), Denis Mukwege prône le mariage pour tous. Pour lui, chaque citoyen devrait être libre de se marier à la personne du sexe de son choix», écrit notamment Mega Lumbala sur son compte X (ex-Twitter), mardi 3 octobre.
Force est de constater que les occidentaux n’ont rien fait pour ne pas donner l’impression d’influencer la perception peu amène d’un certain nombre de Congolais sur le célèbre «réparateur des femmes» de Panzi, bardé de distinctions honorifiques emblématiques euroaméricaines. Avant l’apothéose que fut l’attribution du Prix Nobel de la paix 2018, Mukwege s’était en effet vu attribuer le prix Sakharov décerné par le parlement européen en 2014, cinq ans après avoir été décoré de la Légion d’honneur de la France (2009) et sept ans après le prix des Droits de l’homme décerné par le même pays (2007). Denis Mukwege a également reçu en 2008 le prix Olof Palme et celui des droits de l’homme des Nations-Unies avant d’étrener la médaille Van Goedart des Pays-Bas (2010), Le Clinton Global Citizen Award de la Fondation Clinton (2011), sans oublier un doctorat honoris causa de plusieurs universités européennes et nord-américaines.
Exhibitionnisme néocolonial
A seulement une année de la présidentielle rd congolaise, tout le gotha politique conservateur des anciennes puissances parties prenantes à la conférence de Berlin de 1885 qui avaient décidé de faire du Congo une colonie internationale régentée par le roi des Belges Léopold II a défilé chez Denis Mukwege à Panzi dès la fin du dernier trimestre 2022. A commencer par le roi Philippe, arrière-arrière petit fils de Léopold II qui s’y était rendu peu avant la restitution à la RDC des reliques du leader indépendantiste Patrice-Emery Lumumba en juin 2022. Le 22 septembre 2022, c’était autour de François Hollande, l’ex-président français, de faire le voyage de Panzi, peu après la Comtesse de Wessez, Sophie Rhys-Jones, membre de la famille royale britannique, flanquée du ministre d’Etat en charge des Affaires étrangères et représentant de l’alors 1ère ministre Liz Truss. Alors qu’y étaient attendus, les anciens premiers ministres britanniques Gordon Brown et Tony Blair. Ce dernier, particulièrement, étant connu comme un très influent conseiller du président rwandais Paul Kagame dont on peut tout dire sauf qu’il ait bonne presse au Congo de Lumumba.
Panzi, centre hospitalier situé dans la banlieue de Bukavu dans lequel opère le Dr. Mukwege est ainsi devenu un véritable lieu de pèlerinage politique pour suprématistes occidentaux.
Cerise sur le gâteau du point de vue des compatriotes du candidat plus adoubé par l’étranger que sur ses terres natales, invité en janvier 2023 par la chaîne publique parisienne France24 pour une lecture scientifique des événements dramatiques qui secouent l’Afrique centrale, le géo politologue Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et conseiller en stratégies de plusieurs gouvernements de l’Hexagone, déclara péremptoirement qu’il n’y aurait pas de paix durable en RDC tant que Denis Mukwege ne sera pas président. Ainsi étaient édictées les conditions de retour à la paix par les pyromanes de l’Est du Congo.
Ancien parlementaire socialiste, par ailleurs conseiller de deux principaux ministres de François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement (Armées) et Pierre Joxe (Intérieur), Pascal Boniface a de la sorte sans ambages mis le doigt dans l’équation sécuritaire embrouillée à laquelle se trouve confrontée la sous-région africaine des Grands Lacs qui se résumerait selon lui au simple fait que le gynécologue de Panzi prenne en mains les rênes de la RDC. C’est tout dire.
Faiblesse dans la cuirasse
Ci-git la faiblesse dans la cuirasse du spécialiste des fistules abîmées par les viols récurrents commis paradoxalement par des phalanges d’agresseurs soutenus par les occidentaux.
Pas étonnant dès lors que Denis Mukwege soit perçu par d’aucuns comme un produit de la communauté internationale ‘‘occidentale’’ auteure intellectuelle de la prédation des ressources naturelles congolaises et des violences qui l’accompagnent.
Derrière le prix Nobel de la paix (la seule distinction du comité Nobel qui ne relève pas d’un comité scientifique) «pour les efforts visant à mettre fin à l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre», se cachent des motivations manifestement politiciennes destinées à couvrir d’un voile pudique les véritables responsables de la guerre qui, aujourd’hui encore, déstabilise la partie orientale de la RDC.
Nombreux sont ceux qui pensent au Congo que le Dr. Mukwege doit d’avoir été nobélisé à l’accent mis outre-Atlantique sur un épiphénomène, les viols, plutôt que sur les causes profondes de la déstabilisation systémique de la RDC.
Certes, les violences sexuelles sous les tropiques rd congolaises sont indéniables et humainement inacceptables. Mais ce fléau et d’autres seraient plus efficacement combattus si le mal était éradiqué à la racine, à savoir «ces guerres par procuration qui abîment plus que les sexes de nos mères et de nos sœurs», selon ce professeur de droit international de l’Université de Kinshasa s’exprimant sous le sceau de l’anonymat.
De fait, il n’aurait pas existé de «médecin réparateur de femmes», selon le titre évocateur d’un film dédié à Denis Mukwege au Sud-Kivu par le cinéaste belge Thierry Michel, ni de fistules méchamment saccagées à réparer, s’il n’y avait eu à partir de 1994 la cohorte de fléaux répandus dans la région sous le couvert des conséquences collatérales du génocide rwandais de cette année-là.
Nobel controversé
Encore que la distinction décernée au chirurgien de Panzi n’a jamais été du goût de tout le monde dans son propre pays, où plusieurs spécialistes en contestent la validité, sous cape.
D’abord, parce que de médecins réparateurs de fistules de la guerre dans un pays en permanente insécurité entretenue par une multitude de groupes armés de tous acabits depuis les années ’98, il y en a plusieurs en RDC, et particulièrement dans les riches terres de l’Est du pays. Si l’hôpital général de référence de Panzi (Sud-Kivu) avait prétendu en son temps avoir soigné quelque 2.700 femmes violées depuis 2003, c’est près de trois fois plus de femmes, soit 7.000 victimes qui ont eu à bénéficier au cours de la même période de l’accueil et des soins similaires à l’hôpital Heal africa de Lusi à Goma, selon Gabriel Kolongo, un député cité à l’époque des faits par notre confrère Magloire Paluku de radio Kivu One.
Ensuite, en raison du fait que les violences sexuelles ne sont ni la seule, ni la principale cause des fistules abîmées des filles et des femmes congolaises. «Les accouchements précoces dus aux mariages des mineures très fréquents dans un certain nombre de pratiques coutumières congolaises ou encore des accouchements mal effectués par un personnel insuffisamment outillé figurent en première place parmi les causes des dégâts que subissent les organes sexuels féminins dans ce pays», explique à nos rédactions un spécialiste ès gynécologie de l’Université de Lubumbashi. Plusieurs académiciens congolais reprochent vertement à leur collègue Denis Mukwege d’avoir entretenu délibérément l’amalgame sur la question dans un but trivial : attirer l’attention des donateurs occidentaux. Ces dénonciations avaient fait rage, sur les réseaux sociaux particulièrement. Un internaute résidant à Panzi même allant jusqu’à accuser Mukwege d’avoir «grossi volontairement ses statistiques de femmes violées en faisant signer des déclarations de viols à la volée à toutes les patientes qui se rendaient pour des soins à Panzi même pour une vague indigestion», en échange de soins gratuits. Une véritable forfaiture…
Impossible leadership régional
Même ainsi porté à bout de bras par des puissances occidentales qui n’ont jamais dissimulé leur intention de recoloniser son pays, Denis Mukwege aura fort à faire pour se faire accepter d’un nombre significatif d’électeurs congolais.
Politiquement, le médecin de Panzi ne représente pas encore grand-chose aussi bien dans la partie Est du pays dont il est ressortissant, qui compte un bon nombre de leaders politiques d’envergure, qu’ailleurs.
Dans son Sud-Kivu natal, il ne peut pas compter sur des personnalités aussi en vue que l’actuel président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo et son Alliance des forces démocratiques congolaises (AFDC), un regroupement politique figurant parmi ceux qui comptent le plus grand nombre d’élus dans les deux chambres parlementaires. Ou Vital Kamerhe, vice-premier ministre, ministre de l’Economie, meilleur élu du pays aux législatives nationales de décembre 2018 avec 86.832 voix à lui tout seul et son Union pour la nation congolaise (UNC) dont l’implantation s’étend au-delà des limites du Sud-Kivu.
Au Nord-Kivu voisin, le ministre d’Etat, ministre de la Coopération régionale Antipas Mbusa Nyamwisi tient encore solidement ses quartiers dans le Grand Nord Yira (Nande) à côté d’autres jeunes leaders, à l’instar des ministres Julien Paluku Kahongya (Industrie) et Muhindo Nzangi (Enseignement supérieur et universitaire), tous acquis à Félix-Antoine Tshisekedi.
A cette liste non exhaustive des leaders de la partie Est du Congo, s’ajoutent des personnalités comme le vice-premier ministre de la Défense Jean-Pierre Bemba ainsi que son collègue Jean-Pierre Lihau et les ministres Jean-Lucien Bussa (Commerce) et Aimé Molendo Sakombi dans l’ex-Equateur sans oublier des députés nationaux toujours en odeur de sainteté dans leurs bases comme Jonathan Bialosuka du Kwango et de l’hinterland de la capitale et Lambert Mende Omalanga du Sankuru qui tous ne jurent que par la réélection de Félix Tshisekedi qui dispose par ailleurs de la puissante structure de l’UDPS dont il est issu.
Le Nobel de la paix 2018 aura donc fort à faire pour faire face victorieusement à cette redoutable machine.
Les seuls soutiens des occidentaux ne lui suffiront certainement pas pour y parvenir ainsi qu’en témoigne le réveil des peuples anciennement colonisés révélé par les coups d’Etat qui ont dernièrement secoué l’Afrique de l’Ouest.
J.N. AVEC LE MAXIMUM