En RDC, il s’en est fallu de peu pour que l’audit externe du fichier électoral prévu dans le programme d’actions de la CENI n’ait pas lieu en temps voulu, c’est-à-dire, du 15 au 20 mai 2023, selon le calendrier très serré de la centrale électorale qui prévoit la tenue des élections générales en décembre prochain.
Sollicitée pour assurer comme par le passé ce travail technique destiné à conforter la confiance des parties prenantes au processus dans le fichier électoral, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), mise sous forte pression de l’opinion publique congolaise du fait des accointances de sa cheffe avec le régime rwandais agresseur de la RDC, s’est débinée en dernière minute (le 3 mai 2023) en invoquant des délais trop courts impartis pour faire le job. L’organisation dirigée sans partage par la Rwandaise Louise Mushikiwabo, très peu en odeur de sainteté en RDC n’améliorait pas sa cote de popularité dans le plus grand pays francophone de la planète en exposant ainsi sa commission électorale à une violation des délais constitutionnels.
Dans les milieux du pouvoir à Kinshasa pendant ce temps, priorité était accordée à la nécessaire légitimation des institutions publiques par l’organisation à bonne date d’élections plurielles et multipartites depuis 2006. Mais certains au sein de la classe politique congolaise peinent encore à résister à la tentation des raccourcis d’accession au pouvoir sans élections et multiplient astuces et stratégies à cette fin. Un dépassement des délais constitutionnels d’organisation des élections, principalement de la présidentielle, aurait sérieusement affaibli le pouvoir du chef de l’Etat élu en décembre 2018, au point de le contraindre à un partage avec une opposition de plus en plus revêche en attendant la régularisation de la situation pour tout le monde.
Refus très médiatisé de l’OIF
Alors que quelques ténors estimaient mezzo voce que l’organisation n’a pas totalement failli à sa mission en médiatisant une sorte de discrédit sur le fichier électoral et l’ensemble d’un processus mené tambours battant hors de tout contrôle indépendant, plusieurs voix s’étaient élevées dans le pays de Lumumba pour s’opposer véhémentement à l’audit du fichier électoral rd congolais par une OIF «contrôlée par un pays agresseur de la RDC».
Le 5 mai 2023, la CENI se rattrapait promptement en annonçant un appel à candidatures pour la composition d’une équipe mixte d’experts (internationaux et nationaux) chargée d’auditer le fichier électoral. «Aucune organisation internationale ou nationale ne détient le monopole en matière d’audit du fichier électoral car toutes, sans exception, recourent aux services d’experts indépendants», expliquait le communiqué publié à cet effet.
Le 8 mai 2023, cette solution médiane a été rendue publique et les résultats n’ont pas tardé. Puisque les 5 experts internationaux et nationaux chargés de l’audit du fichier électoral de la RDC sont connus depuis le 15 mai 2023, date du début de l’audit. Il s’agit de : Mme Jaynet Love (Afrique du Sud) ; M. Muhabi Lulu Chisi (Malawi) ; M. Joseph Topango (RDC) ; M. Kabata Kabata Kabambo (RDC) ; et M. Vianney Nzanzu Tawite (RDC).
Un communiqué de la centrale électorale du 16 mai rapporte que les membres de l’assemblée plénière de la CENI ont eu une séance de travail avec l’équipe mixte d’experts dans la salle de presse du siège de l’administration électorale à Kinshasa. Signe qu’ici, on est décidé à ne pas faire traîner les choses.
Diabolisation du fichier
Même si une partie de l’opposition politique, essentiellement composée du cartel des candidats à la présidentielle, constituée dernièrement à Lubumbashi, joue des pieds et des mains pour faire obstruction au processus électoral. En vouant aux gémonies le fichier électoral, comme le fut la machine à voter en 2018, et auparavant le serveur central de la CEI en 2006, dans le but manifeste de préparer les esprits à la contestation des résultats. «L’objectif visé reste le même : instaurer un système de participation au pouvoir sans recourir au vote populaire», selon ce professeur de sciences politiques de l’UNIKIN.
Le 15 mai 2023, le cartel dit de Lubumbashi animé par Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Delly Sessanga et Augustin Matata a publié un communiqué dénonçant ce qu’il a présenté comme «un déni de transparence commis par la CENI pour préparer une fraude massive en faveur de M. Tshisekedi». Les auteurs de cette déclaration qui se présentent déjà comme «vainqueurs potentiels de la présidentielle», sans que l’on sache s’il s’agit de tous ou de chacun, avancent deux arguments principaux pour jeter le discrédit sur le travail de la CENI. «Le processus électoral appartient au peuple congolais et concerne toutes les parties prenantes aux élections. Il est inacceptable que la CENI s’en attribue le monopole», assurent-ils avant d’ajouter que «le fichier électoral étant un élément essentiel du processus électoral, il doit être le plus fiable possible. La garantie de sa fiabilité exige sa vérification, son contrôle et son audit par une organisation dont l’expertise en la matière et l’indépendance sont avérées afin de rassurer le peuple et toutes les parties prenantes».
Faire les choses autrement, c’est «imposer aux Congolais un fichier électoral corrompu», selon l’entendement de cette frange de l’opposition au pouvoir en place.
Arguments fallacieux
A l’examen, les arguments avancés par le quatuor ne tiennent pas la route. Des experts interrogés assurent que le processus électoral appartient effectivement au peuple congolais, «puisque celui-ci s’est massivement enrôlé, malgré les incitations au découragement de certains acteurs politiques en vue de l’opposition : près de 49 millions d’électeurs se sont enrôlés… c’est édifiant. Par ailleurs, c’est la CENI qui est, de par la volonté des représentants légitimes du peuple congolais (Parlement), seule habilitée à conduire en toute indépendance les opérations d’identification, d’enrôlement des électeurs et d’organisation des opérations électorales. Son monopole sur ces opérations est donc parfaitement légal et démocratique».
Reste que le processus électoral concerne effectivement diverses parties prenantes aux élections. Et que donc la centrale électorale est contrainte à faire preuve d’ouverture à l’endroit de ces dernières, quelles que soient leurs tendances ou couleurs politiques. Mais même de ce point de vue, l’argumentaire de Katumbi et affidés pèchent en ce qu’ils ne représentent nullement l’ensemble desdites parties prenantes, loin s’en faut. Ils ne peuvent dès lors pas s’arroger le droit de s’exprimer au nom de tous les Congolais.
Exigences illégales et arbitraires
L’autre argument mis en exergue par le cartel de Lubumbashi accuse plusieurs failles. Que le fichier électoral soit un élément essentiel du processus électoral et qu’il doive être le plus fiable possible, ne peut faire l’objet de contestation.
C’est autour de la garantie de sa fiabilité que le problème se pose, notamment lorsqu’au-delà de son caractère vérifiable sur le terrain des opérations, les quatre membres du cartel de Lubumbashi en exigent le contrôle et l’audit par une organisation dont ils détiendraient seuls le pouvoir d’évaluer l’indépendance. C’est à la fois illégal (aucune loi ne le prévoit) et arbitraire car on ne voit pas au nom de quel principe un quarteron de politiciens s’arrogerait des droits dévolus au peuple congolais dans son ensemble qui exerce sa souveraineté par représentation au sein du parlement.
Cette politisation de l’audit du fichier électoral est en définitive irrationnelle comme toutes les politisations des outils électoraux, même lorsqu’elles ne se présentent pas comme tel. Il s’agit ni plus ni moins d’une tentative de bloquer le processus électoral.
Pour la centrale électorale congolaise, l’audit du fichier est conçu «dans le but d’évaluer le système d’identification et d’enrôlement des électeurs afin d’en identifier les forces et les faiblesses et d’en dégager, éventuellement, des mesures correctives et de formuler, le cas échéant, des recommandations visant à améliorer la qualité et l’intégrité du fichier électoral. Il s’agit d’un outil technique de gestion à l’intention des gestionnaires». Un expert du Conseil permanent de la comptabilité au Congo (CPCC) interrogé par Le Maximum estime que même transposée dans le domaine de la politique, «il est aberrant qu’une organisation externe s’arroge un droit de regard sur un audit ou les résultats de l’audit d’une institution publique».
La CENI précise qu’il s’agit d’une analyse quantitative et qualitative des données du fichier électoral qui n’est qu’«une base de données contenant l’ensemble de listes électorales, des centres et bureaux de vote» (dont on peut vérifier l’existence ou non !).
L’audit, un outilinterne
Le chemin de la politisation de la CENI dans lequel s’engouffrent également les églises catholique et protestante, la première étant particulièrement connue pour son obsession à récupérer le processus électoral à son compte, consiste donc en la propagation de l’idée erronée selon laquelle l’audit serait un outil de vérification du degré de corruption du fichier électoral. «L’étape d’une telle vérification est déjà dépassée, car elle s’effectue de nos jours à l’aide de logiciels informatiques perfectionnés conçus pour dénicher les doublons, les enrôlements multiples, les enrôlés sans empreintes, les enrôlements des mineurs etc.», explique un expert.
Au cours du point d’information animé vendredi 12 mai 2023 à Kinshasa par Patricia Nseya, la rapporteure de la CENI, celle-ci s’est prononcée sans équivoque sur la suite des opérations électorales qui prévoit la publication dès le 21 mai 2023 des statistiques des électeurs par circonscription électorale, prélude à la répartition des sièges et à la convocation de l’électorat fixée au 25 juin 2023. C’est dans moins de deux mois.
Au sujet de l’audit externe du fichier de la CENI, la rapporteure de la centrale électorale a précisé que «cet audit, voulu indépendant par la CENI, n’est nullement une contrainte légale. Elle fait partie des bonnes pratiques auxquelles nous avons résolu de nous soumettre de plein gré. C’est l’expression de la transparence caractérisant la Centrale électorale. Par cet exercice, les parties prenantes et partenaires au processus constatent que la CENI n’a rien à cacher». L’audit n’est donc pas, et ne sera sans doute jamais, un tribunal du fichier électoral. Et ceux qui attendaient le jugement dernier avant les scrutins de décembre doivent déchanter.
J.N. AVEC LE MAXIMUM