Sept ans après la démission de Moïse Katumbi de l’alors parti présidentiel PPRD et du gouvernorat du Katanga (septembre 2015), les observateurs peuvent appréhender avec plus de clarté l’idéologie qui guide les ambitions de cet homme venu à la politique par la fenêtre de juteuses affaires liées à l’exploitation minière de la province dont il avait la charge. En réalité, la tâche fut plus laborieuse qu’il n’y paraît à première vue, parce qu’avant d’aboutir à la création, le 18 décembre 2019 du parti Ensemble pour la République, le chairman de Mazembe a dû transiter par une plateforme politique: Ensemble pour le changement, porté sur les fonts baptismaux en 2018, un fourre-tout regroupant tout ce que la RDC, un pays de plus de 400 partis et regroupements politiques, comptait de laissés pour compte du régime de Joseph Kabila. D’autant plus qu’il s’agissait avant tout, pour ces néo-opposants, de soutenir la candidature de leur mentor à la présidentielle de fin 2018. Dans un bureau politique compose d’une soixantaine de personnalités, où se côtoyaient allègrement aussi bien des rescapés du mobutisme comme Gabriel Kyungu, José Endundo Bononge, Pierre Pay Pay, Konde Vila Ki Kanda que d’anciens rebelles comme Delly Sessanga, Olivier Kamitatu, Antipas Mbusa ou encore les anciens tshisekedistes-kabilistes comme Pierre Lumbi Okongo et Jean-Bertrand Ewanga Is’Ewanga, rechercher un trait idéologique commun relevait de la gageure.
Ensemble derrière Katumbi
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors, et le paysage politique s’est reconfiguré à la faveur des législatives et de la présidentielle 2018 qui ont porté Félix Tshisekedi au top job tant convoité, contraignant Katumbi à faire contre mauvaise fortune bon cœur en s’alliant à la nouvelle majorité au pouvoir. C’était la condition pour ne pas laisser se désagréger totalement l’attelage politique échafaudé dans l’objectif d’obtenir le «changement», mais pas seulement à la tête du pays. La charte d’adhésion à Ensemble pour le changement, géniteur direct d’Ensemble pour la République, engageait «tous les partis politiques, mouvements et associations qui adhèrent à la plateforme (à) mettre en commun leurs efforts pour présenter des candidats à tous les niveaux et gagner les prochaines élections». Un objectif atteint pour nombre de ces partis et regroupements politiques auxquels Katumbi ne pouvait sans conséquence imposer la lutte pour une nouvelle conquête du pouvoir dans les rangs d’une nouvelle opposition.
L’ancien gouverneur du Katanga n’en a pas moins gardé intactes ses ambitions à la présidentielle, c’est un secret de polichinelle, et s’y prépare activement en accélérant l’implantation de Ensemble pour la République à travers le territoire national et en multipliant des gestes de charme à l’endroit des populations. Ce qui indique, déjà, que l’homme de Kashobwe avait tout faux lorsqu’il prétendait combattre Joseph Kabila pour «non-respect de la constitution», la raison officielle de son départ du PPRD en 2015. Autant qu’il a tout faux aujourd’hui lorsqu’il prête anticipativement des intentions de fraude électorale à Félix Tshisekedi, relèvent certains observateurs. L’homme veut être président de la RDC. Ce qui n’a rien d’illogique dès lors qu’il est à la tête d’une formation politique.
L’internationale libérale
L’idéologie katumbiste, si c’en est une, apparaît un peu mieux depuis que Moïse Katumbi a été élu vice-président de l’Internationale au cours du 63ème Congrès de la Fédération mondiale des partis politiques libéraux organisé du 30 juin au 3 juillet 2022 à Sofia (Bulgarie). Par la même occasion, Ensemble pour la République a intégré l’Internationale libérale, une organisation fondée depuis 1947 pour œuvrer au renforcement du libéralisme à travers le monde et à la construction d’un ordre libéral mondial. Selon la constitution internationale libérale, l’idéologie libérale concourt à la création d’une société libre fondée sur la liberté personnelle, la responsabilité personnelle et la justice sociale, et fournir les moyens de coopération et d’échange d’informations entre les organisations membres et entre les hommes et les femmes de tous les pays qui acceptent ces principes.
Moïse Katumbi et Ensemble pour la République s’estampillent donc libéraux, à la différence de la plupart des partis politiques de son obédience qui se réclament plus ou moins de la social-démocratie. Même si on doit à la vérité de reconnaître que le nouveau parti politique n’est pas le premier à se ranger sous la bannière libérale, parce qu’avant lui, l’Alliance pour le Renouveau du Congo (ARC) avait déjà été reconnu en cette qualité. Mais l’ARC, c’était déjà Olivier Kamitatu Etsu, fils du leader indépendantiste Cléophas Kamitatu, devenu directeur de cabinet de Katumbi. Dans une interview à la Libre Afrique, le 5 juillet 2022, Kamitatu confirme le fait et s’en auto-congratule. «Dans notre pays, il existe plus de 700 partis politiques (…) on leur reproche de n’avoir aucune base idéologique, aucun programme, aucun discours, aucun projet pour le pays. Il faudrait être bien mal inspiré pour faire ce procès à Moïse Katumbi et à son parti. Nous cultivons un idéal et une vision. Nos convictions sont portées dans un socle de valeurs qui reposent sur la Liberté et la Démocratie. Ce sont les valeurs de notre engagement politique», explique-t-il.
Valeurs libérales inadaptées
Mais le libéralisme, comme chacun le sait aujourd’hui, charrie des hauts et des bas, des succès et des échecs, des conquêtes et des déconvenues à l’échelle mondiale. Né entre le 17ème et le 18ème siècles sous l’impulsion des philosophies des Lumières et en opposition à l’absolutisme politique des conceptions religieuses de l’époque, le libéralisme prône fondamentalement la défense des droits individuels (liberté, sécurité, propriété) au nom d’une vision fondée sur l’individu et la coopération volontaire entre les humains. Pour les libéraux, chaque être humain possède des droits fondamentaux qu’aucun pouvoir n’a le droit de violer. En conséquence, les libéraux prônent la limitation des obligations sociales imposées par le pouvoir et plus généralement le système social au profit du libre choix de chaque individu. La vie sociale doit donc permettre à chaque individu de jouir d’un maximum de liberté, notamment en matière économique où l’initiative privée, la libre concurrence et l’économie de marché sont les maîtres mots chez tous les libéraux de la planète.
Et le rôle de l’Etat de droit consiste en la protection des minorités, particulièrement, de la plus petite d’entre elles, l’individu.
Individu contre société
En Afrique en général et en RDC en particulier, l’atomisme charrié par le libéralisme paraît en porte-à-faux avec une organisation sociétale où les valeurs de vie communautaire sont prioritaires. De même que cette exacerbation de l’individu au détriment du plus grand nombre paraît de nature à désagréger le sacro-saint principe démocratique de la suprématie de la majorité sur la minorité. En effet, dans son acception classique «le libéralisme ne reconnaît pas de droits particuliers aux majorités, même démocratiquement élues». Ce en quoi Moïse Katumbi et les siens ont, encore une fois, tout faux. Tant il demeure laborieux de déceler un possible ancrage libéral dans les us et coutumes de la société congolaise dont ils convoitent les suffrages. Et que convaincre des populations plongées depuis des siècles sous le joug de la domination par des minorités au pouvoir que la majorité est un vain mot. Même la dénomination du parti Ensemble pour la République paraît antinomique à l’idéologie libérale individualiste, s’il faut entendre par un regroupement, même politique, une communauté de personnes poursuivant un but commun.
Libre entreprise, libre concurrence, propriété privée
Du point de vue économique également, les valeurs libérales telles que la liberté d’entreprise, la libre concurrence et la protection de la propriété privée, que Katumbi et Ensemble pour la République prétendent mettre en œuvre semblent problématiques dans un pays où la grande majorité de la population croupit sous le seuil de la pauvreté. L’Etat de droit libéral katumbiste ne sera, à cet égard, qu’un état protecteur d’une bourgeoisie égocentrique et barbare. Interrogé à ce sujet, Olivier Kamitatu s’en défend sans convaincre. «Les Congolais ont besoin d’un Etat juste, un Etat responsable, un Etat exemplaire qui protège, encadre, stimule le secteur privé. Nous devons doter le pays en infrastructures, assainir le climat des investissements et des affaires et créer des millions d’emplois décents pour la jeunesse. Nous en sommes capables», soutient-il, égrenant ainsi un chapelet de bonnes intentions qui ne parvient pas à occulter la part belle faite aux mieux lotis là où il est question d’équilibrer la balance avec les plus faibles, qui sont légion.
Si, ainsi que d’aucuns le pensent, est libéral celui qui selon les cas exige de l’Etat qu’il brise un traditionalisme religieux ou social oppresseur, celui qui exige que l’Etat intervienne pour redonner une véritable capacité d’action économique (bridée par un monopole, la pauvreté, le manque d’éducation, de crédit ou autre), force est de constater que Katumbi incarne le contraire, car il est plutôt un conservateur. Ses prises de position sur la question de la révision de la loi minière taillée pour favoriser le pillage des ressources naturelles nationales sont une preuve du libéralisme économique de l’ancien gouverneur du Katanga.
Opportunisme libertaire
Alors qu’il présidait encore aux destinées de la province cuprifère congolaise, Katumbi s’opposa au projet gouvernemental de révision de la loi minière en soutenant dans un entretien à l’Afp que «ce n’est pas le meilleur moment pour changer les règles du jeu. Les investisseurs ont fait confiance au Code minier promulgué en 2002 et on s’est mis d’accord avec eux. Il faut le respect de la parole donnée». Réinterrogé sur le sujet trois ans plus tard, après la promulgation d’un nouveau code minier révisé malgré les protestations de miniers soucieux de la préservation d’avantages que leur assurait l’ancien code, l’homme d’affaires qui avait entretemps annoncé ses ambitions présidentielles changea du tout au tout. «Le Code minier doit être adapté aux besoins de financement du pays pour permettre son développement» expliqua-t-il aux médias en juin 2018, après que le gouvernement eut promulgué le nouveau code minier qui augmentait le pourcentage des redevances minières plafonnées jusque-là à 2,5 %.
Enfin, force est de constater que le libéralisme katumbiste n’est pas né en opposition à quelque absolutisme que ce soit, comme au 18ème siècle en Europe. En RDC, le libéralisme selon Katumbi voit le jour dans un contexte de conquête de pouvoir par rapport à d’autres acteurs politiques, également libres de nourrir les mêmes ambitions. C’est un libéralisme dirigé vers la conquête du pouvoir et non pas vers la mise en œuvre de valeurs intrinsèquement libérales comme telles.
Soutien des libéraux, comme en Côte d’Ivoire
Moïse Katumbi et Ensemble pour la République voient dans cette doctrine politico-économique un moyen de parvenir à leurs fins, ainsi que le laisse percevoir les propos de Olivier Kamitatu. «A travers le monde, les libéraux apportent leur soutien à tous ceux qui briguent le pouvoir pour transformer le monde par la force des valeurs libérales. Ils l’ont fait hier en Côte d’Ivoire lors des élections opposant l’ancien président Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara, ils continueront à le faire en Guinée pour le chef de file de l’Opposition, le président Cellou Dalein Diallo et pour Sydia Touré, ainsi que pour Raila Odinga au Kenya. Bien entendu, ils feront aussi entendre leur voix quand ce sera le tour de Moïse Katumbi en RDCongo. Tous sont les candidats naturels de la famille libérale mondiale», déclare-t-il sans sourciller à la Libre Afrique.
Le directeur de cabinet de l’ancien gouverneur du Katanga s’étant auparavant vanté de ce que ce mentor est aujourd’hui «reconnu parmi les tout grands leaders politiques (comme) les Présidents Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire et Macky Sall du Sénégal, eux aussi Vice-Présidents de l’Internationale Libérale, tout comme le Premier ministre canadien Justin Trudeau ou le Président du Conseil de l’Europe Charles Michel. Les Présidents Haikinde Hachilema de Zambie, Wavel Ramkalawan des Seychelles et Sissoko Oumaro de Guinée Bissau ainsi que les dirigeants des partis libéraux marocains sont eux aussi de très grands noms de la famille libérale. Au sein des coalitions gouvernementales belge, néerlandaise et allemande, les libéraux sont aux commandes avec les Premiers ministres Alexander De Croo à Bruxelles et Mark Rutte à La Haye.
En Allemagne Christian Lindner occupe les fonctions de ministre des Finances. A travers tous les Continents du monde, l’International Liberal est représentée. A titre de rappel, plus de 170 députés sur les 705 qui composent le parlement européens font partie du PPE. Beaucoup d’entre eux sont des libéraux. Ce sont autant de voix qui portent en Europe et dans le monde».
A tout prendre, le libéralisme version Moïse Katumbi est largement opportuniste.
J.N