Le phénomène est en passe de devenir rituel. Sur la RD Congo, plus particulièrement sur ses responsables étatiques à divers niveaux, les sanctions des pays occidentaux pleuvent avec une régularité déconcertante depuis quelques années. Sans que nul dans les nombreuses organisations internationales dont ce pays du centre de l’Afrique fait partie ne lève le petit doigt interrogateur ou contestataire. Comme s’il était dans l’ordre des choses que des Etats indépendants membres de la communauté des Nations subissent régulièrement brimades, réprimandes, admonestations et sanctions de la part d’autres entités ayant le statut d’Etats membres au même titre qu’eux-mêmes.
La dernière fournée des sanctions dites « ciblées » contre des dirigeants rd congolais tourne autour de l’organisation des élections, de la présidentielle, particulièrement. C’est de la vieille Europe, continent colonisateur qui tient toujours l’Afrique pour son pré carré d’exploitation que le signal est parti. En 2016, quelques années avant l’organisation des élections qui ont porté le leader de l’opposition radicale Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo au pouvoir, l’Union Européenne adoptait une série de sanctions contre un groupe d’autorités de la RD Congo comprenant des responsables politiques, sécuritaires et militaires. Pour « entrave au processus électoral et violation des droits de l’homme », en principe.
Au nom de la démocratie
Dans la pratique, le contenu des valeurs pour lesquelles les Européens se sont permis des sanctions contre des acteurs politiques et des responsables étatiques d’un pays situé à des milliers de kilomètres du vieux continent se révèle un véritable fourre-tout aussi opportuniste que malicieux. Tant les notions d’élection et de droits de l’homme répondent de conditionnalités extrêmement subjectives, intéressées, et de variables totalement arbitraires.
En effet, le 10 décembre 2018, à vingt jours seulement de la tenue confirmée des scrutins combinés présidentielle, législatives nationales et provinciales en RD Congo, l’Union européenne n’en a pas moins prolongé les sanctions prises en décembre 2016 et en mai 2017, promettant « un réexamen après les scrutins ». A la manière du maître d’école qui attend de s’assurer que l’élève a bien assimilé la leçon. Comme si les élections en RDC, pays africain, étaient, on ne sait par quelle alchimie, devenues une affaire européenne…
Près d’un trimestre après la victoire à la présidentielle de l’opposant Félix Tshisekedi Tshilombo, les européens ne donnent pas l’impression d’avoir amorcé le moindre début de réexamen de cette bizarrerie à laquelle ils s’étaient pourtant engagés. Même si, dans l’entretemps, ils ont obtenu du nouveau président rd congolais la réouverture de la Maison Schengen, une structure consulaire sui generis chargée de délivrer les visas d’accès à l’espace de l’union à Kinshasa, fermée en représailles contre ces sanctions jugées illégitimes par les autorités du gouvernement sortant de la RD Congo et que la classe politique réunie au centre interdiocésain de Kinshasa s’était résolue à solliciter la levée dans le cadre des mesures de décrispation incluses dans l’accord de la Saint Sylvestre.
Notions élastiques
Impossible, pourtant, de ne pas se rendre compte de l’extraordinaire élasticité des notions de démocratie et de droits humains prétendument défendues. Il suffit de jeter un coup d’œil chez les voisins de la RD Congo pour confirmer que ce qui est exigé du pays de Patrice Lumumba et de Mzee Laurent-Désiré Kabila, est bien plus une sorte de droit de regard et de cogestion politique et économique par les Européens qu’un geste de solidarité avec un peuple en lutte pour ses droits démocratiques.
Les observateurs, même les moins désintéressés, notent que dans l’ex colonie française Brazza-congolaise, le président Denis Sassou-Ngouesso, 72 ans, avait été réélu le 23 mars 2016 suite à une modification cavalière de la constitution qui avait fait voler en éclat la limitation des mandats présidentiels dans son pays, votée en mai 2015. Au pouvoir depuis 1979, le chef de l’Etat du Congo-B s’octroyait ainsi un troisième mandat présidentiel sans que ni l’Union européenne ni les Etats-Unis ne s’en émeuvent outre mesure.
Au Rwanda, le président Paul Kagame, au pouvoir depuis 1994, a été réélu pour la 3ème fois consécutive le 5 août 2018 avec 98 % des voix. Soit un peu mieux qu’en 2003 et en 2010, lorsqu’il se contentait de 93 % des suffrages exprimés par ses compatriotes. Comme Denis Sassou Ngouesso au Congo-Brazzaville, Paul Kagame avait imposé au forceps le vote d’une modification constitutionnelle qui déverrouillait la limitation des mandats présidentiels en novembre 2015. Sans faire ciller les donneurs de leçons de démocratie aux rd congolais.
Kigali, excellent élève … antidémocratique
En matière de respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, l’homme fort de Kigali, où le pouvoir ne s’encombre pas de ces fioritures, est loin d’être le meilleur élève de la planète. Samedi 9 mars 2019, Anselme Mutuyimana, un proche collaborateur de l’opposante rwandaise Victoire Ingabire, a été retrouvé mort à Kigali. Pas de maladie. Dans ce pays voisin de la RDC, le passage de vie à trépas meuble la vie de tous ceux qui ne pensent pas comme le président de la République et son régime. C’est de notoriété universelle, quasiment.
Six mois avant la présidentielle rwandaise de 2003, l’ancien président de la République (de pacotille, soutiennent certains observateurs), Pasteur Bizimungu est emprisonné pour 15 ans avant d’être gracié trois ans plus tard par le régime.
A l’approche de la présidentielle d’août 2010, plusieurs opposants au régime sont assassinés au Rwanda, notamment Jean-Léonard Rugambage, un journaliste qui enquêtait sur la tentative d’assassinat du général Faustin Kayumba Nyamwasa, un autre opposant. Mais également André Kagwa Rwisereka, un ancien du FPR passé à l’opposition et retrouvé mort décapité à la machette.
En janvier 2014, l’ancien responsable des services de renseignement rwandais entré en dissidence, Patrick Karegeya, est retrouvé mort, étranglé dans une chambre d’hôtel à Johannesburg, vraisemblablement « exécuté » par des tueurs rwandais à la solde de Kigali. La liste de ces atteintes au droit à la vie n’est pas exhaustive. Mais le président Kagame et son régime sont demeurés les chouchous de la communauté internationale. Aucune sanction n’a été même envisagée ni contre ce pays et son chef d’Etat, ni contre les responsables politiques rwandais dont au moins un, Louise Mushikiwabo, s’est, au contraire, récemment vue confier les rênes de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Une véritable prime à la dictature et au déni des droits humains, selon nombre d’observateurs sur le continent.
Sanctions : le modèle yankee
Les Etats-Unis d’Amérique se sont, eux aussi, mis à la mode des sanctions « ciblées » contre les responsables politiques et militaires de la RD Congo depuis quelques années, pour les mêmes motifs que l’Union Européenne, en principe. Dans la pratique, les yankees, ses spécialistes devant l’Eternel des ruées vers toutes nouvelles formes de richesses naturelles font preuve d’originalité et vont un peu plus loin que les occidentaux qu’ils tentent de doubler. En plongeant les mains à la pâte dans la gestion de la politique interne de la RD Congo.
Dans la foulée des sanctions contre les responsables politiques et militaires de la RD Congo, le 21 mars 2019, l’Office américain du contrôle des avoirs étrangers (OFAC, ministère du Trésor) a décidé le gel des avoirs de certains dirigeants de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), une institution d’appui à la démocratie qui émane du parlement, donc du peuple rd congolais qui a délégué ses pouvoirs à ces élus. L’initiative des descendants de Christophe Colomb est d’une rare originalité : « à l’image du shérif du Far West dans un western qui sanctionne une communauté de sauvages indiens sur leurs propres terres », commente au Maximum un universitaire kinois passablement dégoûté.
Corneille Nangaa, Norbert et Marcelin Basengezi, respectivement président, vice-président et conseiller au bureau de la CENI subissent l’ire des redresseurs de torts américains pour avoir « sapé le processus et les institutions démocratiques en RD Congo » et pour « des actes de corruption ». Un peu comme si un chef de la tribu cheyenne s’était rendu coupable de contravention à un code d’exploitation de terres ancestrales occupées par de ‘vertueux cow boys’. « Cette action fait suite à la corruption persistante de hauts responsables au sein de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et de l’ancien gouvernement de Kabila en RDC pour entraver et retarder les préparatifs en vue d’élections crédibles et inclusives. Nous sommes aux côtés du peuple congolais qui s’est rendu aux urnes le 30 décembre, mais nous restons préoccupés par un processus électoral défaillant dans lequel, après l’élection présidentielle, la CENI a continué à entraver le processus démocratique et n’a pas réussi à faire en sorte que le vote reflète la volonté du peuple congolais », a expliqué sans rire Sigal Mandelker, le sous-secrétaire US au Trésor. Qui ne se gène nullement d’ainsi décider en lieu et place du parlement et des cours et tribunaux de la RD Congo qui sont seuls habilités à apprécier et sanctionner les délégués des partis politiques et de la société civile qui dirigent la CENI. « C’est la manifestation d’une réelle invasion de l’administration américaine dans la conduite des affaires publiques d’un pays africain ; une cynique ruée sur la RD Congo et ses richesses naturelles. Rien de plus », estime pour sa part ce diplomate africain en poste à Kinshasa, interrogé par nos rédactions.
Sentences de proconsul
La sentence du secrétaire au Trésor de Donald Trump contre les responsables de la CENI congolaise a en effet tous les accents d’un verdict de proconsul romain se prononçant sur des peuplades « barbares » : « En sa qualité de président de la CENI, Nangaa et d’autres responsables de la CENI ont détourné des fonds opérationnels de la CENI et ont pris des mesures qui ont ralenti l’inscription des électeurs, facilitant ainsi le retard des élections. Nangaa a supervisé les responsables de la CENI en utilisant plusieurs sociétés écrans pour détourner des fonds opérationnels de la CENI à des fins personnelles et politiques. Nangaa et d’autres responsables de la CENI se sont enrichis en achetant et en vendant de l’essence aux dépens de la CENI », lit-on dans le communiqué du Département US du Trésor. Qui ajoute encore que « sous la direction de Nangaa, les responsables de la CENI ont gonflé de 100 millions de dollars les coûts du contrat de la machine à voter électronique dans le but d’utiliser les fonds excédentaires pour l’enrichissement personnel, les pots-de-vin et les coûts de campagne pour financer la campagne électorale du candidat de Kabila. Nangaa, avec d’autres responsables de la CENI, a attribué un contrat lié aux élections et doublé le montant de la subvention, étant entendu que la société gagnante attribuerait les fonds supplémentaires à une société de la RDC contrôlée par la direction de la CENI ». Le communiqué du gouvernement américain condamne et sanctionne sans que les accusés aient été entendus. « Cela ressemble à s’y méprendre aux lynchages décrétés par les conquistadores yankees contre les guerriers peaux rouges ayant osé défendre leurs terres contre une invasion étrangère », commente encore l’interlocuteur du Maximum, qui explique que même aux Etats-Unis, la présomption d’innocence est de rigueur tant que l’accusé n’a pas épuisé ses moyens de défense.
Ce dont ne se défendent nullement les autorités américaines, du reste. Peter Pham, un Envoyé sépcial US dans la Région des Grands Lacs en séjour en RD Congo du 21 au 25 février 2019 avait pris soin de préparer le terrain aux décisions du pays de l’Oncle Sam : « les sanctions visent à lutter contre la corruption telle que prônée par le président de la République, Félix Tshisekedi », a-t-il déclaré à la presse. Traduction : les USA ont décidé de s’arroger le droit de diriger la RD Congo en collaboration avec le nouveau président élu le 30 décembre 2018 par les Congolais. C’est clair. Et inadmissible.
J.N.