Vendredi 18 avril 2025, le président de la République honoraire, Joseph Kabila Kabange, a regagné le pays par la ville de Goma sous occupation rwandaise, après une escale à Kigali. Une transgression irréversible, délibérée et hasardeuse qui laisse sans voix plus d’un observateur. Accusé récemment par son successeur à la tête de l’État d’être « le véritable patron du mouvement rebelle AFC », il a ainsi conforté les spéculations de ceux qui le soupçonnent de complicité dans les incessantes agressions rwandaises du pays de Lumumba.
Plusieurs fois annoncé à Goma, Joseph Kabila a finalement rallié le chef-lieu de la province martyre du Nord-Kivu, dans l’après-midi du vendredi 18 avril 2025, selon plusieurs sources crédibles. Auparavant, il avait été aperçu à Kigali au Rwanda, d’où il a annoncé à des sources locales son intention de s’adresser aux Congolais, sans toutefois préciser ni la date ni l’heure. Sa présence à Goma a été confirmée par ses proches ainsi que par les renégats pro-rwandais de l’AFC/M23 auxquels le président Paul Kagame a confié la régence de la ville volcanique.
Le lieu de provenance de Joseph Kabila n’a pas été communiqué. Mais l’on sait que l’ancien chef de l’Etat partageait sa vie entre l’Afrique du Sud, où il avait entrepris des recherches doctorales, le Zimbabwe et l’Ouganda où il avait été aperçu à plus d’une reprise ces dernières semaines.
C’est un mois plus tôt, à l’issue d’une entrevue avec l’ancien président sudafricain, Thabo Mbeki que Joseph Kabila avait annoncé son intention de rentrer en RDC. Dans une interview au périodique français Jeune Afrique, il avait confirmé ses intentions, indiquant même qu’il regagnerait la RDC par sa partie orientale. C’est chose faite depuis vendredi dernier.
Titulaire de la dignité de sénateur à vie en sa qualité d’ancien chef d’État, le quatrième chef de l’État congolais avait quitté le pays sur la pointe des pieds il y a à peu près un an. Il y revient trois ans après le déclenchement de la cinquième agression du territoire congolais depuis 1996 par une rébellion un corps expéditionnaire rwandais flanqué de supplétifs congolais du M23/AFC, un mouvement rebelle dont on le soupçonne d’être le vrai parrain.
Nouvelle rébellion, juste avant la présidentielle
Le 15 décembre 2023, Corneille Nangaa, le dernier président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sous Joseph Kabila, lançait, à partir d’un hôtel huppé de Nairobi (Kenya), l’Alliance fleuve Congo (AFC). A ses côtés, se retrouvait Bertrand Bisimwa, le président du mouvement rebelle M23 notoirement soutenu par le régime autocratique rwandais de Paul Kagame, dont les hommes étaient déjà signalés aux côtés des troupes des forces gouvernementales rwandaises qui avaient envahi des pans des territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo dans la province du Nord-Kivu.

Parmi les griefs formulés par l’ancien président de la CENI à l’encontre du nouveau pouvoir en place à Kinshasa figuraient notamment l’asservissement de la nouvelle équipe de la centrale électorale et de la cour constitutionnelle, la plus haute instance judiciaire du pays, chargée de la validation des résultats électoraux et de la proclamation du vainqueur de l’élection présidentielle.
Le président de la nouvelle rébellion, que de nombreux cadres de la famille politique de Joseph Kabila s’empressèrent de rejoindre dans son maquis du Nord-Kivu, décréta ainsi que pour lui, Félix Tshisekedi, candidat à sa propre succession, cessait d’être le président de la République. Six mois auparavant, en juin 2023, Joseph Kabila était sorti d’une longue hibernation pour appeler ses partisans à « résister » aux manœuvres « dictatoriales » de son successeur. Le prédécesseur de Félix Tshisekedi dans la fonction remettait en cause, lui aussi, « la crédibilité de la Commission électorale et de la cour constitutionnelle », chargées, entre autres, de régler les contentieux électoraux.
Drame humanitaire hallucinant
Depuis décembre 2023, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts en RD Congo, mais surtout, des torrents de sang des Congolais durement frappés par la guerre hégémonique et prédatrice imposée par le Rwanda qui s’est étendue du Nord-Kivu à la province voisine du Sud-Kivu. Au moins 4.000 hommes des forces de défense rwandaises (RDF) qu’accompagnent une poignée de rebelles de l’AFC/M23 opèrent en RDC. Ils ont élargi leur occupation de certaines entités des provinces voisines du Rwanda. Fin janvier 2025, la ville de Goma est tombée entre leurs mains, suivie 45 jours plus tard de Bukavu, le chef-lieu du Sud-Kivu, occupé par la coalition le 15 février dernier.
Ces nouvelles invasions militaires de l’armée régulière rwandaise et ses bouche-trous du M23/AFC ont occasionné un insoutenable drame humanitaire. Pour la seule ville de Goma, 8.500 morts ont été enregistrées, selon les chiffres officiels (des sources locales indépendantes avancent des estimations frôlant les 10.000 victimes). Alors que les affrontements ont provoqué le déplacement de quelque 7 millions de civils, selon l’ONU.

Dans une tribune publiée dans les colonnes du journal sudafricain Sunday Times, l’ancien président Joseph Kabila s’est prononcée pour la toute première fois sur cette catastrophe qui sévit dans son pays. « Contrairement à ce que les autorités de Kinshasa veulent faire croire, la crise ne se limite pas aux actions incontrôlées du M23 – présenté à tort comme un groupe anarchiste, un proxy d’un Etat étranger sans revendications légitimes – ni à un simple désaccord entre la RDC et le Rwanda », avait-il soutenu, légitimant ainsi de propos délibéré les exactions commises sur ses compatriotes par une armée étrangère et ses supplétifs qu’il disait combattre férocement treize ans plus tôt.
Pompier-pyromane ?
Le 18 mars dernier en Afrique du Sud, le chef de l’Etat honoraire a annoncé son intention de s’impliquer « dans tout ce qui se passe en ce qui concerne la paix (en RDC, ndlr) ». A cette occasion, il a expliqué que son retour sur la scène politique congolaise était motivé par une réunion de sa famille politique qui aurait constaté que « les Congolais ne parlaient pas de la situation de leur pays, qu’il fallait les réunir pour l’analyser ».
Selon lui, la crise actuelle en RDC est similaire à celle de 2002-2003 : il suffit du départ des troupes étrangères du pays pour enclencher une dynamique de retour à la paix. Joseph Kabila estime donc que la solution aux problèmes sécuritaires de la RDC réside dans le retour aux « fondamentaux », c’est-à-dire à l’Accord de Sun City qui « a posé les bases de ce que nous pouvons appeler un processus de construction nationale ».
Vendredi dernier à Goma, quelques sources proches de l’ancien président se sont dépêchées d’indiquer que le but de son séjour dans le chef-lieu du Nord-Kivu occupé par l’armée rwandaise et les renégats congolais était motivé par des « consultations dans une dynamique de paix », Goma constituant la première étape d’une plus large tournée dans plusieurs villes du pays.

Néanmoins, des observateurs s’interrogent sur la légitimité d’une telle initiative, le chef de l’Etat honoraire n’ayant obtenu aucun mandat d’aucune autorité légitime, ni en RDC, ni au sein de la communauté internationale. « On ne se lève pas un matin pour s’improviser médiateur dans un conflit aux ramifications aussi complexes que celui qui oppose le Rwanda à la RDC, à l’insu de cette dernière ou contre son gré », a réagi le politologue kinois Jean-Jacques Kalema à ce sujet.
Initiative de paix illégitime et illégale
De ce point de vue, seule une stratégie politique de pompier-pyromane peut expliquer cette entrée en scène précipitée qui coïncide curieusement avec les sérieux embarras diplomatiques qui se sont enchaînés sur Kigali après ses dernières victoires militaires de plus en plus mises à mal par la vigoureuse résistance patriotique des Wazalendo, ces paysans congolais excédés par trois décennies de massacres, de cruautés et de pillages des forces gouvernementales rwandaises. « L’hypothèse d’une rébellion fomentée pour susciter des négociations, comme à Sun City après la rébellion de 1998, est plus que plausible », explique au Maximum un professeur de l’Université de Kinshasa s’exprimant sous le sceau de l’anonymat. « Joseph Kabila a subtilement joué sur deux registres, interne et externe (agression) en soutenant l’option militaire pour revenir au pouvoir qu’il semble regretter d’avoir perdu fin 2018», selon ce scientifique.
Problème : le retour, dans ces conditions, aux ‘’fondamentaux’’ du fameux accord de Sun City n’est plus du goût de tout le monde. Dans les rangs de la majorité au pouvoir, des voix s’élèvent de plus en plus, qui font valoir que le pacte républicain issu de ces conciliabules entre belligérants fut un vaste leurre : la paix n’a jamais été restaurée, particulièrement dans la partie Est du territoire national, demeurée sous une occupation larvée du Rwanda. « Nous avons été entubés jusqu’à la moëlle », confie désabusé le député national Lambert Mende Omalanga un membre du présidium de l’Union sacrée de la nation qui fut jusqu’en 2018 le sémillant porte-parole de tous les gouvernements sous Joseph Kabila. Se confiant à nos rédactions vendredi après l’annonce de l’arrivée de Joseph Kabila à Goma, ce leader de la Convention des Congolais Unis (lumumbiste) qui a toujours prêché une cohabitation pacifique entre le Félix-Antoine Tshisekedi et son prédécesseur est d’avis qu’«en fin de compte, Sun City fut une vaste escroquerie qui a permis au Rwanda d’infiltrer ses pions au sein de nos institutions durant près de deux décennies ». Un point de vue partagé par Angélique Mubiayi de la Dynamique des femmes patriotes pour qui « le retour du sénateur à vie Joseph Kabila en passant par Kigali et la ville de Goma occupée nous permet de cerner le mystère des guerres récurrentes qui endeuillent l’Est de notre pays ».
Dans l’opinion, nombreux sont les Congolais qui estiment qu’à Goma, Joseph Kabila a purement et simplement rejoint les rangs des supplétifs de l’armée rwandaise, pour en prendre la tête, quoique prétendent ses partisans. Sur les réseaux sociaux, des commentaires vont bon train dans ce sens, certains allant jusqu’à affirmer que sa présence dans les régions sous occupation vise la revitalisation des troupes d’invasion confrontées aux harcèlements des Wazalendo et devrait relancer les hostilités de plus belle.
Alea jacta est !
Jacques Ntshula avec Le Maximum