La sagesse des anciens nous apprend qu’il est des «victoires» qui ne valent pas la peine d’être remportées dès lors que celui qui passe pour le vainqueur y perd beaucoup plus que son adversaire. C’est ce qui arrive à l’homme fort de la principauté militaire de Kigali.
Après avoir fièrement roulé les mécaniques et refusé à deux reprises de répondre à l’invitation du président angolais Joao Lourenço dans l’espoir d’imposer par la seule force des armes leur volonté sur la République Démocratique du Congo, le président Paul Kagame et ses phalanges se sont résolus à aller à la table des négociations à Doha (Qatar). Après une rencontre préliminaire, une seconde, destinée à aborder le fond du problème, est annoncée le 9 avril courant bien que sur le terrain, les troupes gouvernementales congolaises (FARDC) et les patriotes-résistants (Wazalendo) croisent le fer avec le corps expéditionnaire des Rwanda Defense Forces et leurs supplétifs du M23/AFC-RDF au Nord et au Sud Kivu. Les agresseurs rwandais ne cachent pas leurs intentions de prendre Kisangani, la troisième ville de la RDC, et de poursuivre leur offensive vers l’ex-province du Katanga. Mais tout indique que l’élongation des lignes de ravitaillement sur l’immense territoire congolais constitue un piège que les stratèges de Kigali ont mal évalué ainsi que l’illustre les incessants harcèlements des lignes arrières des forces d’occupation par la résistance congolaise.
Certes, à la mi-mars 2025, la situation sur le terrain des affrontements au Nord et au Sud Kivu était fort peu reluisante pour Kinshasa. Avec la chute de Walikale aux mains des troupes rwandaises, ce sont , en plus de Goma, la capitale provinciale deux mois plus tôt, quatre chefs-lieux de territoires ruraux du Nord-Kivu qui étaient tombés : Walikale-Centre, Masisi-Centre, Kibumba (Nyiragongo) et Rutshuru.

En plus de ces villes et agglomérations, l’occupation rwandaise s’étendait également sur d’importantes zones minières, notamment Rubaya, la désormais célèbre mine de coltan de Masisi ainsi que la zone aurifère de Mugisha dans la région de Bunyatengo à proximité de Lubero.
Au Sud-Kivu voisin, l’offensive rwandaise lancée le 18 janvier 2025 a culminé avec la chute de Bukavu, le chef-lieu de la province, le 15 février dernier. Kamanyola et quelques autres agglomérations de la région sont également passés entre les mains des envahisseurs, étendant le terrain des affrontements à la plaine de la Ruzizi, voire, vers Uvira, importante ville frontalière du Burundi à 75 km de Kamanyola.
Progression ralentie
Depuis quelques semaines cependant, il semble que l’armée rwandaise et les renégats congolais ralentissent leurs progressions, contraints par la résistance et les attaques de la coalition des patriotes-résistants Wazalendo qui avec le soutien des FARDC ont sévèrement perturbé l’avancée des troupes RDF sur plusieurs fronts, dont celui de la plaine de la Ruzizi où les assaillants peinent nettement à progresser vers Uvira, à seulement 75 km de Kamanyola déjà occupé.
Plutôt qu’une occupation en forme d’un couteau pénétrant sur du beurre qu’il escomptait, Paul Kagame se trouve confronté à une situation de plus en plus inextricable un peu partout dans cette partie du pays où tout se passe comme si en s’éloignant de leurs bases rwandaises, les forces d’invasion éprouvaient de plus en plus de difficultés à vaincre leurs adversaires.
Dans une déclaration adressée «aux autorités du FCC/M23» largement diffusée sur les réseaux sociaux, le 29 mars dernier, la Société civile de Bukavu toutes tendances confondues a demandé aux supplétifs du Rwanda qui contrôlent la capitale du Sud-Kivu de «quitter la ville sans combats, comme nous l’avions demandé en son temps aux autorités provinciales, car vous êtes en ce moment dans la même situation». Les signataires de la déclaration, membres du Bureau de coordination de la société civile, Forces vives, de la Nouvelle Dynamique de la société civile, de la Nouvelle société civile et de la Société civile environnementale ainsi que des Mouvements citoyens du Sud-Kivu, notent que l’AFC-M23 et l’armée rwandaise ont visiblement perdu Walungu et Kaziba et se révèlent incapables de percer plus loin vers la plaine de la Ruzizi. «Humblement, comme nous avons demandé aux FARDC, nous vous le demandons à vous aussi aujourd’hui, s’il vous plaît, épargnez la ville de Bukavu et allez prendre position plus loin et profitez de la main tendue des structures internationales qui enjoignent de dialoguer», insistent-ils.
Conquêtes fragiles
Au Sud-Kivu, trois jours après l’entrée des RDF à Bukavu, la situation se révélait plutôt peu rassurante pour les agresseurs, l’axe Bukavu-Nyangezi s’étant mué en un front où les Wazalendo multipliaient attaques et guet-apens. Sur la route n° 5 Nyantende et Toyota, les affrontements avaient contraint la coalition rwandaise à se renforcer en effectifs pour ne pas perdre le contrôle de la situation. Alors que Bukavu devenait invivable pour les populations aussi bien que pour les occupants en raison de l’aggravation de l’insécurité.

Un peu plus de 45 jours après la prise de Bukavu, la situation demeure donc confuse sur plusieurs lignes de front. Le 1er avril 2025, de violents affrontements opposant les FARDC soutenus par les Wazalendo au centre commercial de Munya en groupement de Karhongo (Nyangenzi) ont été rapportés. Selon certaines sources, la bourgade serait passée entre les mains des résistants Wazalendo. A Toyota, à 15 km de Bukavu, une colonne de véhicules transportant des renforts pour les RDF est tombée dans une embuscade tendue par les Wazalendo, occasionnant une vingtaine de morts parmi les agresseurs, selon des sources locales. A Katana, en territoire de Kabare, résistants Wazalendo et FARDC ont mis en déroute les assaillants à la suite de violents combats, le 25 mars 2025 alors qu’à Kavumu, au Nord de Bukavu, des combats opposant FARDC et Wazalendo aux forces rwandaises faisaient rage. Dans la foulée, plusieurs villages sont passées sous le contrôle des forces loyalistes, selon des sources dans la région : Katana, Kabamba, Lwiro, Cegera, Kabushwa, Matu, Cirehe, Ciranga, Kayanja, Nyakadakamyanzi…
Victoires instables
Situation confuse dans les Hauts Plateaux de Fizi également où les rebelles Twirwaneho et Red Tabara alliés aux envahisseurs rwandais affrontent les FARDC soutenus par les Wazalendo. A Lusuku, un village de la région, les forces loyalistes ont réussi à stopper une incursion rebelle, le 1er avril 2025. 24 heures après, des informations faisant étant de l’entrée du M23 à Minembwe ont circulé avant d’être démenties par des sources indépendantes.
Au Nord-Kivu voisin, le 2 avril 2025, des informations de sources humanitaires faisaient état de la récupération de Walikale-Centre par les FARDC soutenus par les Wazalendo. Le chef-lieu du territoire minier de Walikale, tombé aux mains des rebelles des RDF le 19 mars dernier, s’était vidé de ses assaillants. «Les rebelles du M23 ont quitté la cité la nuit, nous nous sommes réveillés ce mercredi matin, nous n’avons rencontré personne ici. Quand l’information a circulé, les Wazalendo sont arrivés, il y a eu plusieurs crépitements de balles et malheureusement, des maisons commerciales et des habitations ont été visitées par des inconnus», rapporte une autorité coutumière locale. Des combats autour de la cité étaient rapportés depuis plusieurs jours. Le 30 mars, des affrontements opposants FARDC et Wazalendo aux éléments RDF étaient signalés du côté du mont Mika, concomitamment avec un redéploiement massif des FARDC dans tout Kaziba, notamment sur les collines stratégiques de Katope, à Kalemba, Kanege, Karhambi et sur le Mont N’nangando, précédemment sous occupation des seuls résistants Wazalendo.
Situations confuses
Dimanche 30 mars, les Wazalendo avaient lancé avec succès une attaque contre une position rebelle sur la colline abritant les bureaux administratifs du territoire de Walikale. Dans la foulée, les résistants avaient poussé leur avancée jusqu’au camp militaire de Nyalusukula, non loin de l’Hôpital général de référence du lieu, avant de s’en retirer, selon des sources locales. Pendant ce temps, sur l’axe Sud, des éléments RDF-AFC/M23 se sont affrontés aux Wazalendo soutenus par les FARDC à Kampala, à 6 km de Walikale-Centre.
La récupération de Walikale-Centre par les forces loyalistes, mercredi 2 avril 2025, fait suite à une offensive lancée par un groupe de Wazalendo emmené par un certain Kalumende contre une position des occupants sur l’axe dit Cité Belge. Des sources citées par des confrères en ligne indiquent que ces patriotes résistants provenaient de Kampala, à 6 km de Walikale-Centre.
Dans le territoire de Masisi, sous occupation rebelle depuis début janvier dernier, des combats ont également été rapportés entre les rebelles de la coalition RDF-AFC/M23 et les Wazalendo de l’APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain) en provenance de l’axe Nyabiondo-Bukombo.
A la différence des précédentes occupations de villes agglomérations de l’Est de la RDC par les rébellions de création rwandaise, les conquêtes militaires de l’armée rwandaise avec la complicité de renégats congolais sont loin d’être de tout repos. Outre le fait qu’elles se limitent souvent à des agglomérations urbaines et minières, laissant des pans entiers d’espaces périphériques et des localités sans aucun contrôle, elles semblent désormais soumises à rude épreuve par une résistance aussi bien civile qu’armée. Sur de nombreuses lignes de front, les avancées de la coalition rwandaise s’avèrent des véritables victoires à la Pyrrhus qui ont tendance à se transformer en enfer pour les ‘’vainqueurs’’.
J.N.