Deux membres du Conseil d’administration et de la Coordination du Fonds spécial de réparation et d’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC (FRIVAO), dont un prêtre catholique, ont été déférés devant le parquet pour raisons d’enquête sur décision du ministre de la Justice et Garde des sceaux, Constant Mutamba. Ces interpellations font suite une fois de plus à un audit de l’Inspection générale des Finances (IGF) mettant à nu des détournements et dilapidations présumés d’une partie de l’avance payée par Kampala après une condamnation par la Justice internationale, soit 160 millions USD sur les 325 millions attendus.
Le ministre de la Justice avait procédé d’abord par la confrontation à Kinshasa des suspects au rapport de l’IGF avant de déceler des contradictions entre eux et des écarts importants des sommes justifiées. Constant Mutamba avait alors organisé une deuxième confrontation à Kisangani entre les gestionnaires mis en cause et les victimes, avant de prononcer la mesure de suspension à leur mise à la disposition du parquet. On rappelle qu’en 2000, la ville de Kisangani était le théâtre d’affrontements meurtriers entre Rwandais et Ougandais, deux armées qui avaient occupé et envahi l’Est du pays à la faveur de la deuxième guerre dite du Congo (1998 et 2003) et s’étaient violemment battues pour le contrôle de Kisangani et ses ressources naturelles. Ces combats intenses ont fait plus de 1.000 victimes civiles, plusieurs centaines de blessées et de nombreux dégâts dans la ville. Alors que l’indemnisation de ces victimes a commencé en juin dernier, certaines d’entre elles ont entrepris de contester le processus lancé sous la conduite de l’ancienne ministre d’État Rose Mutombo, dénonçant les mauvaises pratiques dont se seraient rendus coupables les gestionnaires de ce Fonds, dépêchés par le gouvernement central. Des sources ont annoncé mardi que des ex-collaborateurs de l’ancienne Garde des Sceaux seraient également dans les viseurs pour leur implication dans ces présumées dilapidations.
Lancé le 8 juin, ce processus de réparation des victimes n’était pas apprécié de tous: la lenteur de traitement des dossiers a été et continue à être décriée. «Les victimes ont désapprouvé les effectifs dévoilés et la qualité des personnes reprises sur les listes transmises aux banques. Depuis qu’on attendait cet argent, on a sorti une seule liste, et c’était le 10 juin qu’on a vu cette liste de 139 personnes qui devaient être payées. Mais, à la date du 2 juillet, à la banque, seulement 139 personnes étaient en attente. Et les victimes deviennent impatientes».
Au-delà du processus, les montants même des indemnisations sont souvent jugés trop faibles. Réparties en trois catégories, les sommes forfaitaires varient de 280 à 1.040 USD. Elles ne constituent que la première tranche avant que toutes les victimes soient identifiées dans d’autres provinces.
Démasqués grâce à l’IGF
Devant Constant Mutamba, qui a pu confronter les gestionnaires du FRIVAO aux conclusions de l’audit de l’IGF, en présence de certains députés nationaux, une dame a raconté le calvaire des victimes. «Nous étions 85 personnes à avoir fait le déplacement de Kinshasa en décembre 2023 pour réclamer le paiement. Un membre de la délégation a péri sur place à cause de mauvaises conditions d’hébergement et sanitaires. La ministre Rose Mutombo a refusé de nous reconnaître. Nous avons passé des moments durs avant de rentrer à Kisangani, où je suis personnellement revenue avec des douleurs à la jambe», a-t-elle dénoncé. Pour les victimes associées à la visite de Mutamba, c’est grâce à l’IGF et avec l’arrivée du nouveau ministre d’Etat en charge de la Justice qu’elles ont commencé à voir clair sur les effectifs. «Les mandataires placés à la tête de Frivao ont inscrit sur les listes les noms de leurs proches et de certaines personnes recommandées par leurs mentors depuis Kinshasa au détriment de vraies victimes», a rapporté une autre dame à Mutamba qui a exprimé son admiration du travail abattu par les équipes de l’inspecteur général Jules Alingete.
Seulement 100 personnes
Plusieurs organisations de la société civile jugent que la démarche de FRIVAO se fait au mépris de l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, qui avait condamné l’Ouganda en 2022. «L’arrêt de la CIJ concerne l’espace grand oriental: les provinces de l’Ituri, du Bas-Uélé, du Haut-Uélé sont concernées. Frivao devrait répertorier les victimes partout là-bas. Mais, malheureusement, Frivao a fait un vice de procédure au lieu de continuer d’abord à enregistrer les victimes. FRIVAO a procédé à la remise des montants aux victimes seulement de Kisangani», avait déploré la Lucha en juin dernier.
La société civile, citée par l’ACP, indique que 3.163 victimes sur 14.000 identifiées à Kisangani ont été déclarées éligibles à l’indemnisation par FRIVAO et que c’est seulement plus ou moins une centaine de personnes qui ont déjà touché leur indemnisation. FRIVAO avait été créé en avril 2023 par le président de la République pour indemniser les victimes de guerre de six jours survenue en 2000 dans ce qu’on appelait jusqu’en 2015 la Province-prientale et qui correspond désormais aux provinces du Bas-Uélé, du Haut-Uélé, de l’Ituri et de la Tshopo.
Du 5 au 10 juin 2000, les armées rwandaise et ougandaise s’étaient affrontées à Kisangani, agglomération de près d’1,5 million d’habitants. Selon un rapport de l’ONU, plus de 700 personnes, des civils, y avaient été tuées durant ces six jours. Et plus de 400 habitations ont été détruites lors des affrontements.
Le Maximum