Huit jours après le meurtre du député national et ancien ministre des Transports pour le compte d’Ensemble pour la République (ER), Chérubin Okende Senga, l’émotion et la réprobation sont toujours vives dans l’opinion en RDC. A l’occasion de la messe des suffrages pour le repos de l’âme du disparu, célébrée mercredi 19 juillet 2023 en la cathédrale Notre Dame du Congo par le Cardinal Fridolin Ambongo, a dénoncé en des termes crus le peu de respect dû à la vie humaine qui s’observe au pays de Lumumba. Bien que pour une fois, le prélat se soit abstenu d’attaquer ouvertement le pouvoir tshisekediste en place en RDC, dans l’assistance majoritairement composée de membres de l’opposition au régime en place, les esprits sont demeurés fixés sur l’adversaire politique et les superstructures étatiques qu’il dirige.
Avec le recul par rapport au drame survenu le 13 juillet 2023, apparaissent de plus en plus nettement la volonté et les manœuvres au service de cette volonté de crucifier la cour constitutionnelle, la plus haute instance judiciaire du pays, chargée notamment de la proclamation des résultats de la présidentielle.
C’est bien avant l’assassinat de Chérubin Okende que l’opposition politique soutenue par l’une ou l’autre organisation se revendiquant de la société civile ont dénoncé la responsabilité de la cour constitutionnelle, ou de certains de ses membres.
Tirs groupés
La salve des tirs groupés contre la plus haute instance judiciaire rd congolaise semble être partie d’ER, le parti politique de Moïse Katumbi, qui a tôt fait de porter à la connaissance de l’opinion à grand renfort de publicité que Chérubin Okende avait fait l’objet d’une invitation, fac-similé du courrier y afférant à l’appui, signé par le juge Sylvain Lumu Mbaya. «La cour constitutionnelle veut en savoir plus sur la déclaration écrite du patrimoine de Chérubin Okende après son départ du gouvernement. Invité pour une séance de travail ce jeudi 13 juillet, l’ancien ministre des Transports et actuel porte-parole du parti de Ensemble pour la République a sollicité que celle-ci soit organisée le vendredi 14. Mais ce mercredi dans la soirée, ses proches disent être sans nouvelle de lui depuis la journée», annonçait le confrère Stanislas Bujakera Tshiamala sur son compte tweeter. Après d’autres confrères qui s’avérèrent beaucoup plus accusateurs, suivant en cela un tweet d’ER signé par Dieudonné Bolengetenge, son secrétaire général communiquant l’heure et le lieu de ce qui fut présenté comme un kidnapping : «vers 15 heures à partir du parking de la cour constitutionnelle».
La suite coulait comme de source. Dans un communiqué signé dès le 13 juillet 2023 par son président, Mgr Marcel Utembi Tapa, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) publiait rien moins qu’une véritable topographie du crime qui selon elle, «rappelle les circonstances de celui de l’activiste des Droits de l’homme Floribert Chebeya, intervient à la suite des arrestations des membres de son regroupement politique et d’une série de violences verbales et physiques des fanatiques de certains partis politiques qui menacent la cohésion nationale et ne sont malheureusement pas interpellées par leurs leaders moins encore par la justice ».
Allusions catholiques
Quoiqu’indirecte, l’allusion à la cour constitutionnelle n’en était pas moins claire : Floribert Chebeya avait été retrouvé mort dans sa voiture après qu’il eût été convoqué dans les bureaux de l’Inspection générale de la police à Kinshasa. Le communiqué des prélats semblait, de surcroît, sorti tout droit du desk communication du parti de Moïse Katumbi, tant il se présentait comme un copier-coller. Dans la foulée de la dénonciation, qui s’est par la suite avérée prématurée et précipitée, de l’enlèvement de l’ancien ministre des Transports, ER avait donné le ton le même jour en déclarant que «depuis fin mai, nous constatons un harcèlement qui ne vise que Moïse Katumbi et son entourage. Mike Mukebayi, député proche de Katumbi, arrêté et détenu à Makala. Daniel Safu, député proche de Katumbi, sanctionné au niveau de l’assemblée nationale et toujours sous menace judiciaire. Salomon Idi Kalonda, bras droit de Katumbi arrêté et détenu à la prison militaire de Ndolo. Frank Diongo, proche de Katumbi arrêté et détenu à la prison militaire de Ndolo. Chérubin Okende, porte-parole du parti de Katumbi, a été assassiné».
De son Maniema natal où il s’est calfeutré depuis que la Cour constitutionnelle a relancé les poursuites contre lui pour faits de détournement de deniers publics, l’ancien 1er ministre, Augustin Matata, a aussitôt publié un communique dénonçant «l’assassinat de Chérubin Okende, collaborateur de Moïse Katumbi. Cela est d’autant plus grave qu’il aurait été enlevé dans l’enceinte de la Cour Constitutionnelle. Qui l’aurait cru ! Nous sommes rentrés dans un régime de terreur et de dictature inqualifiables», accusait-il sans ambages.
Dans un communiqué conjoint, le 14 juillet 2023, Delly Sessanga, Augustin Matata et Moïse Katumbi ne se sont pas privés de mettre en exergue la responsabilité de la cour constitutionnelle dans la brutale élimination de l’ancien ministre des Transports : «L’honorable Chérubin Okende a été invité par Monsieur Lumu Mbaya Sylvain, juge à la cour constitutionnelle au motif d’une séance de travail relative à la déclaration de son patrimoine après son départ du gouvernement. Présent devant le bâtiment de la Cour Constitutionnelle, il a été enlevé par des hommes armés et amené dans une destination inconnue jusqu’au moment de sa mort », écrivaient-ils à l’intention de la communauté nationale et internationale.
Des propos confirmés par Francis Kalombo au cours d’une émission sur Top Congo FM qui lui avait donné l’occasion de dénoncer «l’incompétence» du procureur général près la cour de cassation qu’il accusa de tenter de détourner l’attention du lieu de la commission des faits : la haute cour. «Ils veulent étouffer l’affaire en incriminant le garde du corps qui n’a rien fait », concluait, péremptoirement, cet acteur politique qui revendique le statut d’avocat.
Ruées politiciennes
Plus incisif encore, le rapporteur du bureau politique du PPRD de Joseph Kabila, Patrick Nkanga Bekonda, a appelé à des démissions et suspensions à titre conservatoire dans diverses technostructures judiciaires et sécuritaires du pays «afin que la justice mène avec sérénité ses investigations». Selon lui, «si au niveau de la Cour Constitutionnelle il y a un ou deux juges sur qui peseraient des suspicions, ils se devraient également de démissionner».
C’est le même son de cloche qu’a exprimé, le 17 juillet 2023, Laurent Onyemba, avocat de la famille du défunt et membre d’ER dont il est un des porte-paroles, auteur d’une «plainte contre inconnu pour faits d’arrestation arbitraire et assassinat» auprès du tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe. «Il faut absolument que certaines personnes qui ont la mission de protéger les citoyens et leurs biens, que ces gens qui peuvent brouiller les pistes de l’enquête soient déjà mises hors d’état de nuire pour permettre une sérénité. Pour le cas de Chebeya, par exemple, le président Kabila avait mis certaines personnes hors d’état de nuire pour ne pas influencer la procédure d’enquête», avait-il expliqué.
Seulement, au fil des jours et de l’évolution de l’enquête, la thèse de l’enlèvement de Chérubin Okende dans le parking de la cour constitutionnelle vacille sérieusement car rien ne prouve que le défunt y ait mis les pieds.
Révélations
Mercredi 19 juillet 2023, le procureur général près la cour de cassation, Firmin Mvonde, a éclairé l’opinion sur l’évolution des investigations au cours d’un point de presse. En plus du garde du corps du député défunt, premier suspect dans le dossier, et de son chauffeur, d’autres personnes ont été interpellées et mises à la disposition de la justice qui effectue des confrontations. Avec le garde du corps, essentiellement, dont il est prouvé aujourd’hui que non seulement l’arme trouvée à côté du corps inerte de Okende lui appartenait, mais aussi que la balle tirée de l’intérieur de la jeep l’avait été par la même arme selon les résultats de l’expertise balistique.
En attendant l’autopsie du corps qui sera effectuée en compagnie d’experts Belges et Sudafricains pour déterminer avec certitude la cause et les circonstances du décès de Chérubin Okende, le chef du ministère public congolais a laissé entendre qu’un film des événements tels qu’ils se seraient déroulés prend déjà corps à partir des résultats de l’expertise des téléphones du défunt, ceux de son garde du corps et de son chauffeur. Même si la cour attend les résultats des expertises extérieures pour parvenir à une conclusion unique.
Sur la présence ou non de Chérubin Okende à la cour constitutionnelle, rien. On sait seulement qu’au cours d’une précédente communication, il avait été établi que l’infortuné ne s’était jamais présenté en personne à la haute cour, ayant chargé son garde du corps du retrait et du dépôt (selon ce dernier) du courrier relatif à l’invitation. Reste à établir sa présence à bord de sa voiture dans le parking extérieur de la haute cour. Qui paraît peu probable au regard de l’emplacement des lieux habituellement fréquentés par une foule nombreuse à l’heure de sortie des bureaux sans qu’aucun témoignage ne la corrobore.
J.N. AVEC LE MAXIMUM