Par Lambert Mende Omalanga*
Tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se briser. Mercredi 30 novembre 2022, le président rwandais Paul Kagame a trahi le désarroi dans lequel il se trouve depuis qu’il a lancé sa énième aventure prédatrice sur le territoire de la République Démocratique du Congo. Devant la presse locale à Kigali, Paul Kagame s’est fendu d’une longue diatribe ponctuée d’invectives méprisantes contre les Congolais et leur président, Félix-Antoine Tshisekedi, dont il s’est moqué des prétentions à envisager une option militaire face à ses agressions récurrentes. «Je connais la guerre. Celui qui veut savoir ce que c’est peut venir m’interroger», avait-il déclaré en bombant le torse. Avant de railler l’élection « irrégulière » qui aurait porté le cinquième chef d’État congolais au pouvoir et de l’accuser carrément de chercher à prendre prétexte de la situation sécuritaire dans son pays pour reporter les prochains scrutins.
Cette saillie médiatique inhabituelle de Kagame en a surpris plus d’un. Ce n’est pas tous les jours que l’homme fort de Kigali dont le flegme est légendaire rue dans les brancards et sort de ses gongs avec des imprécations dénuées de tout fondement comme un collégien pris en flagrant délit d’école buissonnière.
En se livrant ainsi à une grossière tentative d’intoxication de l’opinion publique de la RDC dans l’intention manifeste de la diviser et d’affaiblir l’extraordinaire ferveur nationale provoquée par sa nouvelle agression contre ce pays voisin qui ne demande qu’à vivre en bon voisinage avec le sien, le président rwandais aura bien imprudemment mis les pieds dans le combat de trop : celui de l’escalade verbale.
Le combat de trop
A l’évidence, si Kagame qui a capturé par la force le pouvoir à Kigali depuis le tristement génocide rwandais de 1994, est dans son élément en matière militaire et de commerce du sang humain, fort d’une expérience acquise depuis les maquis ougandais de la New Resistance Army de Yoweri Museveni au début de la décennie ’90, il a encore beaucoup à apprendre dans le domaine de la parole libre et libérée. Ainsi en est-il de sa très questionnable facétie contre l’élection en décembre 2019 de Félix Antoine Tshisekedi à la tête de la République Démocratique du Congo qui se retourne totalement contre lui-même qui, avec ses propres élections et réélections aux scores ‘’staliniens’’ (plus de 95 % des voix à chaque fois), couvre l’Afrique et les africains de honte. «Ce n’est pas de Kigali que les Congolais prendront des leçons de démocratie, de toutes façons », ont à cet égard réagi quasiment en chœur nombre d’observateurs ci et là.
La boutade maladroite de Paul Kagame qui s’est révélée comme un immense coup d’épée dans l’eau a provoqué une réaction plutôt musclée de son homologue rd congolais, dont l’art de mobiliser les populations contre les dictatures est quasiment inné. Au cours d’une rencontre, samedi 3 décembre 2022, avec des représentants provinciaux de la jeunesse de son pays, Félix Tshisekedi a en effet dit tout haut ce qu’une grande majorité de Congolais et de Rwandais pensent de ce chef d’une principauté militaire brutale dont la trajectoire est jalonnée de torrents du sang de ses propres compatriotes et de Congolais sacrifiés sans états d’âme sur l’autel de sa boulimie du pouvoir depuis 28 ans. «Il faut débarrasser l’Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades qui nous ramènent dans les années ’60-70’ alors qu’en Afrique on avait décidé de mettre fin aux bruits des armes. Il fallait taire les armes en Afrique pour que l’Afrique passe à autre chose ; comprenne qu’elle est la dernière de la classe dans le monde justement à cause des guerres. Et c’est à cause des dirigeants comme Paul Kagame », a bûcheronné Félix Tshisekedi au cours de cette séance dont la vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux depuis le week-end.
Réplique musclée et responsable
Face à un Kagame manifestement atteint de schizophrénie, ce trouble psychotique caractérisé par une distorsion de la pensée et de la perception et la perte du contact avec la réalité, le chef de l’État congolais, formé à l’école d’un des plus anciens partis politiques de l’opposition démocratique dans son pays, s’est hissé au-dessus de la mêlée. Il a su garder la mesure en renvoyant sans coup férir la balle d’où elle était venue lorsqu’il a déclaré qu’«il ne sert à rien de regarder le Rwandais comme un ennemi. C’est le régime rwandais avec Paul Kagame à sa tête qui est l’ennemi de la RDC. Les Rwandais et les Rwandaises sont nos frères et nos sœurs. Et d’ailleurs ils ont besoin de notre aide parce qu’ils sont muselés, ils ont besoin de notre aide pour se libérer. Ça n’a rien à voir avec ce que leurs dirigeants sont en train de leur imposer. Donc ne les regardez pas comme des ennemis mais comme des frères qui ont besoin de notre solidarité pour nous débarrasser et débarrasser l’Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades ».
Au-delà de ses propres compatriotes ainsi exhortés à ne pas tomber dans le piège de la haine ethnique viscérale dont Paul Kagame et sa faction fasciste se servent après en avoir fait un fonds de commerce après le génocide de 1994 pour subjuguer l’opinion publique, cette pirouette raffinée de Félix Tshisekedi s’adresse également à la majorité silencieuse qui ploie l’échine et souffre au Rwanda depuis le déferlement des hordes sans foi ni lois qui ont mis ce pays africain sous leurs bottes depuis le milieu de la décennie ’90. Une cible bien choisie pour peu que Kinshasa s’attache à mobiliser, même à distance, les nombreuses victimes de la dictature féroce instaurée au Rwanda et dont les victimes se recrutent aussi bien parmi les hutus comme l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement post-génocide Seth Sendashonga assassiné à Nairobi le 16 mai 1998 et l’opposante Victoire Ingabire Umuhoza emprisonnée à plusieurs reprises, que les tutsis comme le président de l’Assemblée nationale Joseph Kabuye Sebarenzi, membre du FPR puis du Parti Libéral qui dut s’exiler dès 1999 aux Etats-Unis pour échapper aux escadrons de la mort de Kagame, le colonel Patrick Karegeya, assassiné à Johannesburg le 1er janvier 2014 et le jeune chanteur Kizito Mihigo, embastillé puis « suicidé » dans sa cellule en 2020 dans sa cellule le 17 février 2020.
Il appert assez clairement que même s’il essaye de donner le change, Kagame et sa phalange de tueurs ont aussi de multiples comptes à rendre à l’intérieur des frontières du Rwanda.
Mobilisation des masses
Les arguments pour emporter l’adhésion des masses, en RDC comme au Rwanda, n’ont pas fait défaut samedi dernier à la Cité de l’Union africaine du Mont Ngaliema. En quelques minutes, Félix Tshisekedi a su titiller la fibre la plus sensible en qualifiant les pérégrinations assassines de son homologue rwandais de diaboliques. Imparable. « Il s’enorgueillit d’être un faiseur de guerre, un spécialiste de la guerre, il en est fier ! Moi à sa place j’aurais honte d’assumer le fait que de semer ainsi la mort et la désolation. C’est honteux ! Je dirais même, diabolique. Nous n’allons pas manger de ce pain-là ». Dans les oreilles des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui souffrent le martyre depuis près de trois décennies dans la région des grands lacs sans le moindre soutien d’une communauté internationale tétanisée pendant des années par une mauvaise conscience insufflée à doses homéopathiques par Kagame et ses comparses, ce discours n’est pas rien. Contre la guerre imposée à la RDC, Félix Tshisekedi lance une véritable offensive de démocratisation de la vie publique chez son voisin rwandais. Cela peut s’avérer de loin plus efficace que les canons les plus sophistiqués.
*Député national