Un périple de 16 jours dans les territoires martyrisés de l’Est de la RDC, pour y proposer une solution susceptible de rétablir la paix après trois décennies d’atrocités dans la région. C’est la mission que s’est assignée Vital Kamerhe, un des grands leaders politiques des Kivu allié au président Félix Tshisekedi dans le cadre de la coalition CACH (Cap pour le changement) mise sur pied peu avant la présidentielle remportée en 2018. Nommé directeur de cabinet du chef de l’Etat après la victoire de ce dernier, il s’était trouvé par la suite empêtré dans une sordide affaire de détournement de fonds destinés au programme des 100 premiers jours du président Tshisekedi à la suite de laquelle la justice l’a embastillé avant de l’acquitter au terme de mémorables rebondissements juridico-politiques.
Un peu plus de deux ans après son incarcération à Makala le 12 avril 2020, le président de l’Union pour la Nation (UNC) a mis fin à son éclipse politique forcée. Lundi 22 août 2022, en sa résidence de la Gombe, Vital Kamerhe présidait une réunion du bureau politique de son parti élargie à tout ce que l’UNC compte de personnalités.
Évoquant ses déboires, l’ancien dircab de Fatshi y a exhorté au pardon et à la réconciliation entre tous les fils du Congo avant d’annoncer son périple à l’Est du pays destiné à rechercher les voies et moyens d’en finir avec les violences dans lesquelles ploient ses concitoyens des provinces kivutiennes. Énumérant les énormes potentialités dont dispose la RDC, Kamerhe a assuré que le développement du pays «dépend des Congolais, bien plus, d’un leadership visionnaire, rassembleur, éclairé et qui met tous les Congolais au travail, tel que prôné par le chef de l’Etat. Le Congo a la vocation d’être la locomotive de l’Afrique et non pas la queue parmi les pays les plus pauvres de l’humanité».
D’accord avec les ambassadeurs
Vital Kamerhe assure avoir discuté de son plan de pacification avec le président de la République, «plusieurs ambassadeurs» accrédités en RDC, autant qu’avec des leaders politiques et de la société civile. Aux uns et aux autres il dit avoir proposé «une union sacrée des intelligences congolaises» afin de faire face aux problèmes qui assaillent le pays. De fait, sur les réseaux sociaux, les rencontres du président de l’UNC avec des délégations des communautés kivutiennes, dont les Tutsi, sont amplement relayées. Sans plus.
Le 12 septembre 2022, il s’est effectivement rendu à l’Est de la RDC en commençant par Goma, chef-lieu du Nord-Kivu où il a tenu un meeting au stade Afya après un accueil des plus chaleureux. La manifestation publique avait pourtant failli être annulée, le maire militaire de la ville volcanique ayant fait valoir auparavant par un communiqué officiel que l’État de siège en vigueur dans la province ne s’y prêtait pas. «La situation a été harmonisée avec les autorités», annoncera avec un soulagement manifeste un proche du leader de l’UNC. Sans autre forme de précision sur la nature, le contenu et l’origine des arrangements trouvés.
Le message de Kamerhe aux gomatraciens le 12 septembre ne brille pas par sa clarté, tout au moins au regard de la solution annoncée aux supplices imposées par les incursions armées du Rwanda aux populations civiles de la région. Kamerhe a surfé plutôt sur le ressentiment général contre la communauté internationale représentée par la Monusco et ses casques bleus, définitivement honnis ici en raison de leur incapacité à neutraliser le groupe armé pro-rwandais M23 qui occupe jusqu’à ce jour la bourgade de Bunagana à la frontière. «Ce mois-ci il y aura Conseil de sécurité. Nous allons demander aux Nations-Unies combien de temps il leur reste pour retirer leurs troupes définitivement», avait-il lancé à l’intention d’une foule chauffée à blanc qui n’attendait que ça. «Ma visite s’inscrit dans un thème bien précis : Amani (la paix). C’est ici que je vais dévoiler la contribution pour la pacification de cette partie de notre pays qui a trop souffert», a-t-il enchaîné, expliquant que «nous avons parcouru 900 mètres (vers la paix, ndlr). Il reste 10 mètres. Et comme vous le savez, quand on fait la course, ce sont les 100 dernières qui sont les plus difficiles. Je vous exhorte à ne pas nous décourager. Tenons-nous la main dans la main pour franchir le dernier obstacle». Dans la foulée, le «pacificateur», ainsi que le surnomment ses partisans, a évoqué l’occupation de Bunagana en territoire de Rutshuru par «un groupe terroriste soutenu par une armée régulière en présence des forces de la mission onusienne». Et exhorté la population du Nord-Kivu à soutenir les FARDC dans la défense de l’intégrité du territoire national.

S’adressant à ces envahisseurs, Vital Kamerhe leur a demandé de libérer l’agglomération frontalière : «Je sais que vous me suivez maintenant. Si vous êtes vraiment des Congolais comme vous le dites souvent, je vous demande de déposer les armes. Je vous demande de libérer Bunagana et de déposer les armes. Il est temps de prôner la paix, après plus d’une décennie de misère», a-t-il déclaré en substance.
Cohabitation pacifique
Reste à décliner la fameuse formule-miracle apportée à ses frères des territoires perturbés de l’Est du pays. Kamerhe y a fait allusion avec beaucoup de circonspection, évoquant «les relations empreintes de tensions entre la RDC et le Rwanda en raison du soutien de Paul Kagame aux terroristes du M23». Avant d’inviter la population congolaise au calme et à la cohabitation pacifique. Déchaînant aussitôt plusieurs réactions désabusées «Ai-je bien entendu ? Kamerhe nous appelle à une cohabitation pacifique avec ceux qui sont en train de permettre à l’agresseur rwandais d’occuper Bunagana à quelques dizaines de km d’ici ?», s’étrangle d’indignation un jeune prêtre catholique de Goma.
C’est de toute évidence une couleuvre. D’autant plus laborieuse à avaler par le Congolais lambda que les nouvelles du front sont loin d’être réconfortantes. En territoire de Rutshuru, où Kamerhe devait se rendre après l’étape de Goma, les combats faisaient encore rage quelques jours plus tôt. Lundi 15 août, la société civile avait fait état de détonations d’armes lourdes dans la zone des affrontements. Information confirmée mardi 16 août par les FARDC qui ont dénoncé l’attaque de 3 de leurs positions à Rwanguba, Rangira et Muhibira par les terroristes du M23 et leurs mentors des Forces de défense du Rwanda (RDF) en violation de la trêve imposée par le sommet des chefs d’Etat de Nairobi.
Après une accalmie de quelques heures, mercredi 24 août, les affrontements ont repris autour du village de Rangira à la suite d’une nouvelle attaque à partir de la colline de Mukarange surplombant la localité.
Alors que les combats décuplaient d’intensité sur les trois positions attaquées en territoire de Rutshuru mardi 16 août, le M23 avait publié un communiqué appelant à l’ouverture de négociations directes avec le gouvernement de la RDC. Plusieurs localités ont été affectées, provoquant un déplacement massif des populations civiles ainsi que des morts et d’importantes pertes matérielles. Notamment, dans la localité de Tenda en groupement Bweza où les collines de Shwema et Muhimbira qui ont fait l’objet d’intenses pilonnages.
A Murengeza, des sources locales avaient fait état de lourdes pertes infligées à la coalition RDF-M23 à la suite d’une embuscade tendue par les FARDC dans la localité. En groupement de Jomba, des combats non loin de Rangira avaient fait des blessés dans la population civile. Selon un bilan provisoire établi par des sources locales, au moins 12 personnes avaient été blessées par des éclats d’obus, dont 3 gravement atteints. Des sources indépendantes ont signalé des morts à la suite de ces affrontements de grande intensité.
Le même mardi 16 août, de tirs d’artilleries du M23 avaient visé et atteint une centrale hydroélectrique à Rwanguba dans le parc des Virunga endommageant les installations résidentielles et des ateliers de construction.
Le 17 août à l’aube, une accalmie était observée sur les trois fronts, les FARDC et les terroristes du M23 campant sur leurs positions de la veille. Samedi 19 août, de nouveaux affrontements ont éclaté à Shwema non loin de Rangira, à quelques 12 km de Rutshuru-Centre et se poursuivent encore.
Dans les localités riveraines de Bunagana sous occupation du M23 et ses alliés RDF, les populations vivent le calvaire, selon plusieurs sources.
Pillages et destructions méchantes
Samedi 20 août, la société civile de Rutshuru a accusé l’armée rwandaise et ses supplétifs de piller systématique des biens de la population. Des portes sont détachées des maisons et des tôles arrachées et emportées par les éléments du M23. De même que des centres de santé et des hôpitaux sont rageusement pillés et les biens emportés au Rwanda et en Ouganda, ont rapporté les animateurs de cette structure au général Constant Ndima, gouverneur militaire du Nord-Kivu en mission d’itinérance à Rutshuru.
A Rutsiro (groupement Bweza), la population a carrément été chassée par les assaillants qui ont par la suite pillé toutes les habitations, emportant volailles, chèvres et tout objet de valeur.
Outre les taxes et impôts imposés aux populations des localités occupées, des sources indépendantes font état de l’exploitation aurifère dans certaines concessions de la contrée de Bunagana. Des rotations de petits avions en provenance du Rwanda, pour transporter des minerais et ravitailler les troupes en armements, sont également signalées.
Les populations de la région, de plus en plus impatientes de voir les FARDC récupérer les localités occupées par les terroristes, ne cachent pas leur agacement devant l’appel à la cohabitation pacifique de Vital Kamerhe qui a coïncidé avec la déclaration du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement congolais Patrick Muyaya du lundi 22 août 2022 selon laquelle l’offensive de l’armée gouvernementale sur Bunagana était suspendue aux mécanismes régionaux qui se mettent en place pour résoudre le problème de l’agression subie par la RDC.
D’autant plus que 4 jours après l’arrivée de Kamerhe dans la région, Emmanuel Ngaruye, un élu de la circonscription de Bunagana, annonçait que la monnaie congolaise (le FC) était interdite de circulation dans l’agglomération occupée par les assaillants, au profit des monnaies rwandaises et ougandaises.
Le 11 septembre, quelques heures avant que la caravane de la paix de Kamerhe n’atterrisse à Goma, la société civile de Rutshuru avait signalé qu’une centaine de réfugiés congolais en Ouganda avait été conduite à Bunagana contre leur gré à bord de deux bus partis du camp Navikale sous escorte UPDF à partir du check point de Kanava alors qu’ils avaient exprimé le désir de rentrer en RDC en empruntant le poste douanier de Kitagoma contrôlé par les autorités gouvernementales congolaises, ce qui soulève de sérieux questionnements sur la fiabilité de l’Ouganda dans ses efforts pour soutenir le rétablissement de la paix dans l’Est de la RDC.
Considérations ponctuelles
La solution-miracle de Kamerhe pour l’Est de la RDC s’est retrouvée ainsi noyée dans des considérations ponctuelles. A Masisi, Lubero, Rutshuru, tout en exprimant sa compassion envers les populations martyrisées par les exactions des groupes armés, il s’est vanté de sa bravoure en se rendant dans ces régions incertaines. «Je suis un combattant de la paix, donc je négocie toujours avec le danger et l’insécurité. Venir aujourd’hui ici, dans cette zone rouge, comme c’est pour rechercher la paix, je n’hésite pas. Vous y vivez donc nous pouvons nous aussi y vivre», s’est-il écrié. A Lubero, fief électoral du secrétaire général de l’UNC, Billy Kambale, VK a inauguré un point d’eau, don de son collaborateur à la population locale destiné à desservir quelques 800 foyers en eau potable. A Kirumba dans le même territoire de Lubero, il a plaidé pour la suppression des taxes illégales et exhorté les populations à soutenir les FARDC avant de se rendre à Rutshuru-centre en passant par Kiwanja sur le chemin du retour.
Depuis jeudi 15 septembre, le président de l’UNC a entamé la seconde partie de son périple à l’Est de la RDC visitant son fief électoral du Sud-Kivu où l’accueil fut délirant. A l’instar de cette démonstration de popularité qui a sanctionné son meeting de la Place de l’Indépendance de Bukavu. A Kabare et à Walungu, à Uvira, à Kalehe puis à Mwenga où il a clôturé la partie sud-kivutienne de son périple, mercredi 21 septembre, Vital Kamerhe a prêché la cohabitation pacifique entre les communautés, sur fond de larmoiements sur le calvaire des populations civiles. «Vital Kamerhe recommande une politique de bon voisinage entre la RDC et ses 9 pays limitrophes», rapporte Me Lwahriba Musima, un internaute connu proche de l’UNC qui justifie cet appel au calme par le fait que «pour résoudre le conflit M23, le secrétaire général de l’ONU a déclaré qu’il faut que le Rwanda, l’Ouganda et la RDC coopèrent pour finir cette guerre. Ce qui rejoint le triangle RDC-Rwanda-Ouganda qu’il (Kamerhe, ndlr) motive partout». Mais le message ne passe nulle part à l’Est où des voix s’élèvent pour dénoncer «une trahison de la cause nationale».
Ce vendredi 23 septembre, le président de l’UNC s’en retourne à Goma où il se reposera jusqu’au samedi 24, date à laquelle il est attendu à Butembo, capitale économique du Grand Nord-Kivu en proie à une insécurité grandissante du fait de la collaboration entre groupes maï-maï et les terroristes ougandais de l’ADF. Lundi 26 septembre, Vital Kamerhe se rendra à Kindu au Maniema, avant de gagner Kisangani dans la Tshopo mardi 27 septembre.
Manifestement, l’exhortation subrepticement glissée ci et là à négocier la tutelle des riches provinces de l’Est de la RDC avec Kigali et Kampala n’a pas été positivement accueillie par les populations des Kivu excédées par le cynisme des agresseurs rwandais et de leurs collabos congolais.
LE MAXIMUM