Alors que les jours de la mission onusienne déployée en RDC étaient comptés depuis que Félix Tshisekedi et son gouvernement avaient demandé une réévaluation d’un plan de retrait initialement convenu fixant le départ des casques bleus à fin 2024, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, semble avoir assené le coup de grâce à l’une des plus importantes missions onusiennes à travers le monde. Au cours d’une interview accordée à RFI et France24, dimanche 18 septembre 2022, le diplomate portugais a littéralement étalé à la fois l’impuissance des troupes des Nations-Unies à pacifier l’Est martyrisé de la RDC et la passivité complice de la communauté des Nations dans l’OPA que Kigali et Kampala tentent d’imposer sur cette partie du territoire congolais, au prix de tragédies humaines indicibles depuis plus de trois décennies. «Le fait est que les Nations-Unies ne sont pas capables de battre le M23. La vérité, c’est que le M23 aujourd’hui est une armée moderne, avec des équipements lourds qui sont plus perfectionnés que les équipements de la Monusco », a soutenu crânement un Antonio Guterres bizarrement bien taiseux sur l’épisode glorieux de la défaite infligée par la même Monusco à travers sa brigade internationale en 2013, à la même rébellion du M23 soutenue par la même armée rwandaise.
Avant le secrétaire général des Nations-Unies, un porte-parole onusien en RDC s’était déjà illustré dans ces propos défaitistes abhorrés par l’opinion congolaise en général. Intervenant sur les antennes de la radio onusienne Okapi, une des plus suivies sur l’ensemble du territoire de la RDC, Mathias Gilman avait en effet, lui aussi, déclaré tout haut l’incapacité des troupes onusiennes à maintenir la pression sur les ADF et d’autres groupes armés qui écument le Nord-Kivu et l’Ituri alors que la mission onusienne concentrait ses efforts et une partie de ses moyens pour repousser les attaques du M23. Des propos qui furent interprétés dans l’opinion comme irresponsables et de nature à démoraliser les FARDC et qui suscitèrent des réactions aussi bien populaires qu’officielles qui culminèrent avec l’expulsion du territoire congolais de Gilman.
Apologie de l’impuissance
Sur les antennes de RFI et France 24, Antonio Guterres a assorti sa déclaration d’impuissance d’une voie de sortie, tout aussi peu appréciée en RDC. Reconnaissant que le M23 était à la base des dernières manifestations contre l’incapacité de la Monusco à vaincre le mouvement qualifié de terroriste par Kinshasa, le secrétaire général des Nations-Unies a néanmoins reconnu que les équipements militaires tant vantés «viennent de quelque part (…), il faut une tripartite entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, afin d’avoir une perspective conjointe pour éviter cette permanente situation qui nous fait toujours reculer». Une lourde langue de bois destinée, on ne sait trop pourquoi à promouvoir des négociations entre un pays agressé, la RDC et son agresseur, le Rwanda avec la bénédiction du responsable administratif au plus haut niveau de l’ordre public international
On se perd en conjectures sur ce qui peut bien pousser Antonio Guterres à s’abstenir d’assumer le rapport des experts commis par les Nations-Unies qu’il coordonne selon lequel le Rwanda, pays membre de cette organisation internationale a agressé de manière flagrante et injustifiée la RDC, un autre pays membre de l’organisation. Un addendum du rapport du groupe d’experts onusiens sur la RDC adressé au Conseil de sécurité des Nations-Unies fait état en effet de «preuves solides» de la présence militaire rwandaise sur le territoire congolais et contre les intérêts sécuritaires de la RDC mais le secrétaire général des Nations-Unies a préféré faire l’impasse sur ce rapport.
Dans l’opinion en RDC, les déclarations du secrétaire général de l’ONU ont été reçues comme une véritable douche froide sans vraiment surprendre car elles confirment ce qui se constatait sur le terrain de la protection des civils depuis des décennies: que la mission onusienne déployée à grand renfort de moyens logistiques et militaires ne servait pas à grand-chose.
Si les casques bleus sont incapables d’assurer la mission leur confiée, leur présence pose de plus en plus problème. Antonio Guterres entrera dans l’histoire que ce patron des Nations-Unies qui aura sacrifié l’une des plus grandes missions de maintien de la paix sur l’autel des intérêts d’une trivialité peu avouable en ce 21ème siècle. Les jours à venir seront certainement difficiles à vivre pour les casques bleus onusiens déployés dans les régions martyrisées de l’Est de la RDC, les Kivu et l’Ituri particulièrement. Des organisations de la société civile s’affairent déjà pour, le cas échéant, faire le ménage à la place des autorités jugées trop lentes à la détente en relançant les hostilités contre les troupes onusiennes dont elles exigent le départ immédiat.
Avis des Congolais
On apprend ainsi du Nord-Kivu que la société civile forces vives a décrété deux journées ville morte, lundi 26 et mardi 27 septembre pour, notamment, «exiger le départ de la mission des Nations-Unies pour la stabilisation de la RD Congo». Plusieurs manifestations, notamment des sit-in dont on sait qu’ils peuvent dégénérer à tout moment, sont prévues rapportent des sources locales.
Dans la même province, des mouvements citoyens associés aux familles des victimes des manifestations anti-monusco de juin dernier avaient commémoré, samedi 17 septembre, le 40ème jour de la mort de ceux qu’ils présentent désormais comme «martyrs de la Monusco à Goma». Il s’agit des morts survenues lors des manifestations populaires lancées à Goma le 16 juillet 2022 et qui se sont répandues par contagion dans plusieurs villes et cités de l’Est de la RDC. Selon les chiffres de la délégation gouvernementale dépêchée sur les lieux des émeutes, au total ce sont 170 blessés qui ont été enregistrés au 31 juillet 2022, en plus des 13 morts de Goma, 9 de Butembo, 4 d’Uvira (Sud Kivu), 3 autres de Kanyabayonga.
Le ressentiment populaire contre une mission onusienne qui donne de plus en plus l’impression de s’accommoder de la cohabitation avec le mal absolu que représentent les terroristes du M23 et les autres forces négatives contre lesquelles elle est censée protéger les populations civiles est allée crescendo depuis les incidents de juillet dernier.
A tel point que même la très réservée (vis-à-vis de la mission onusienne) Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a publié le 27 juillet, un communiqué relatif aux incidents de Goma et de Butembo renvoyant dos à dos le gouvernement et la Monusco : «La CENCO comprend la colère des compatriotes qui participent à ces manifestations. En outre, comme eux, elle estime que le gouvernement de la RDC et la Monusco ont montré leurs limites dans leurs missions de sécuriser les populations civiles exposées aux attaques des groupes armés en RDC. En effet, après plus de deux décennies d’insécurité, les gouvernements qui se sont succédé et les différentes résolutions des Nations Unies n’ont pas réussi à neutraliser les groupes armés nationaux et internationaux. Ces derniers continuent, en toute impunité, à semer la désolation auprès des populations civiles…», pouvait-on lire sur ce communiqué signé de Mgr Marcel Utembi Tapa, n°1 de l’épiscopat.
Négociations impossibles
Dans ces conditions, la solution Antonio Guterres pour ramener la paix en obligeant le Congo-Kinshasa à négocier sa souveraineté sur une partie de son territoire avec Kigali (et dans une moindre mesure Kampala) paraît irréaliste et place le président Félix-Antoine Tshisekedi dans une posture très inconfortable vis-à-vis des populations de l’Est du pays qu’il avait promis de libérer des affres du terrorisme télécommandé par ce pays voisin rwandais notamment. A la suite des incidents de juillet dernier, le chef de l’Etat congolais avait instruit son gouvernement de revoir l’échéancier du départ progressif des troupes onusiennes du pays, préalablement fixé en 2024. La sortie médiatique d’Antonio Guterres et la pression populaire pourraient accélérer un processus qui subordonnait la fin de la mission onusienne en RDC à une multitude de conditionnalités.
Selon la stratégie commune convenue avec le gouvernement Sama Lukonde, «pour que la Monusco puisse effectuer son retrait, il faudra réduire la menace que représentent les groupes armés nationaux et étrangers de sorte qu’elle puisse être gérée par les autorités nationales et lutter contre les causes profondes du conflit».
Guterres comme Hammarskjöld
Les conditionnalités auxquelles s’accrochent ces casques bleus qui ont choisi désormais de banaliser l’agression rwandaise pour amorcer leur retrait ont trait notamment aux conditions minimales suivantes considérées comme devant être remplies pour justifier «un retrait progressif et responsables des troupes onusiennes». Il s’agit notamment de : (i) la tenue d’élections crédibles, transparentes, inclusives et pacifiques en 2023 ; (ii) la pleine mise en œuvre du PDDRCS, (iii) le renforcement de l’Etat de droit par la mise en œuvre de la réforme de la justice, (iv) le fonctionnement coordonné de la police, de la justice et des établissements pénitentiaires dans les provinces de l’Est dans le cadre de la démilitarisation des institutions chargées du maintien de l’ordre public ; (v) la promotion de la participation pleine, égale et significative des femmes aux processus politiques, etc. Des conditionnalités abracadabrantesques qui ferait rire s’il n’y avait tant de souffrances humaines derrière leurs conséquences sur la vie quotidienne des Congolais et qui s’apparentent à une vaste escroquerie politique dont le pays de Lumumba fait les frais une fois de plus de la part de l’ONU après le cauchemar de 1960 lorsque un autre secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, prit prétexte du «mauvais caractère» du premier ministre légitime du Congo pour ordonner à ses casques bleus de laisser faire ses assassins…
En séjour aux Etats-Unis dans le cadre de la 77ème session de l’assemblée générale des Nations Unies depuis le 19 septembre 2022, Félix Tshisekedi a choisi de porter directement à la connaissance du monde les préoccupations de son peuple en appelant à davantage de soutien international face aux terroristes du M23 et à leurs sponsors rwandais.
LE MAXIMUM