Terminée, la tournée du secrétaire d’Etat Américain, Anthony Joe Blinken, en Afrique du Sud, en RDC et au Rwanda. Le chef de la diplomatie de l’administration Biden se sera, comme annoncé par le Département d’Etat en juillet, contenté de proposer une médication yankee aux maux dont souffre l’Afrique. Rien de nouveau sous le soleil. Joe Biden se contente de mettre du baume sur les bavures de ses prédécesseurs dont le dernier, Donald Trump traita le continent noir de «pays de merde», s’aliénant la sympathie, déjà amplement fragilisée, de nombre d’Africains, ainsi qu’on l’a vu lors du vote de la résolution sur la guerre OTAN – Russie en Ukraine, plusieurs Etats s’étant abstenus de s’aligner sur le bloc occidental pour condamner le ‘‘bad boy’’ Vladimir Poutine. Signe alarmant que la première puissance mondiale et ses alliés sont sur la pente glissante face à la montée en puissance des rivaux russes et chinois.
Blinken en Afrique, c’était donc pour donner le change. En persuadant les pays africains, désormais considérés comme des «alliés cruciaux» de leur «rôle géostratégique essentiel sur les questions les plus brûlantes de notre époque, de la promotion d’un système international ouvert et stable à la lutte contre les effets du changement climatique, l’insécurité alimentaire et les pandémies mondiales». Un rôle à jouer aux côtés d’un bloc Occidental emmené par les Etats-Unis.
Une tournée de rapprochement donc, pour le secrétaire d’Etat américain, assortie d’une nouvelle stratégie diplomatique qui culminera, fin décembre, par un sommet USA – Afrique qui se tiendra à Washington DC. Mais un rapprochement timide tout de même, axé essentiellement sur l’accroissement des engagements diplomatiques visant à contrer l’influence de la Chine et de la Russie sur le continent. «Ce que nous recherchons avant tout, c’est un véritable partenariat entre les États-Unis et l’Afrique. Nous ne voulons pas d’une relation déséquilibrée ou transactionnelle», a déclaré Blinken dans un point de presse le 7 août 2022 en Afrique du Sud. Pas de choix à dicter à quiconque, selon le diplomate en chef de Joe Biden, tout miel à l’occasion. «Le droit de faire ces choix appartient aux Africains seuls», a-t-il déclaré dans un discours à l’université de Pretoria.
Démocratie et gouvernance
L’administration Biden entend aussi changer quelque peu son fusil d’épaule, par rapport à Trump notamment, en misant sur le renforcement de la démocratie, de la gouvernance et de la sécurité et en mettant l’accent sur la coopération en matière de lutte contre les pandémies, l’exploitation des opportunités économiques, la crise climatique et la transition écologique.
Lundi 8 août à Pretoria, Anthony Blinken a ainsi annoncé que les Etats-Unis investiront 2 milliards USD sur dix ans pour renforcer la démocratie et la bonne gouvernance en Afrique subsaharienne. Des fonds qui s’inscrivent dans le cadre de la loi sur la fragilité mondiale, pour favoriser la paix, la résilience et l’inclusion dans «les endroits où les conditions sont propices aux conflits». Washington est, en effet, convaincu que «la mauvaise gouvernance, l’exclusion et la corruption inhérentes aux démocraties faibles les rendent plus vulnérables aux mouvements extrémistes, ainsi qu’aux ingérences étrangères», ainsi qu’il l’a soutenu.
Diplomatie antimilitariste
La nouvelle stratégie américaine diffère donc du militarisme des années précédentes. Désormais, les financements seront davantage orientés vers la diplomatie et le développement pour s’éloigner de l’engagement militariste caractéristique du contre-terrorisme.
On rappelle au Département d’Etat qu’auparavant, l’accent mis sur les partenariats militaires avait poussé les Etats-Unis à coopérer avec des régimes fragiles et autocratiques, en se concentrant sur les priorités de la lutte contre le terrorisme et en négligeant les priorités en matière des droits de l’homme et de la gouvernance démocratique.
A la Maison Blanche, un remaniement du personnel ad hoc a été opéré par Joe Biden dans ce sens. Judd Devermont qui a accompagné Blinken dans sa tournée est un ancien de la CIA entré au NSC en qualité de conseiller spécial avant d’être promu directeur pour les affaires africaines. Son prédécesseur à ce poste, Dana Banks, étant désormais chargé de superviser le prochain sommet USA – Afrique au sein du National security council (NSC).
A Johannesburg où il a également participé au dialogue stratégique Etats-Unis-Afrique du Sud, Anthony Blinken a abordé les développements récents de la situation géopolitique mondiale, tenant compte du fait que le pays de Nelson Mandela fait partie des BRICS (avec le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine). Et ne fait pas mystère de ses sympathies pour Moscou dans sa confrontation avec l’Occident.
Intégrité territoriale de la RDC
Anthony Blinken était accompagné également par le sous-secrétaire d’Etat chargé de la croissance économique, énergie et développement, José Fernandez, la secrétaire d’Etat adjointe chargée des Affaires africaines, Molly Phee, le directeur principal du Conseil National de Sécurité, Judd Devermont. Accueillie le 9 août 2022 à l’aeroport international de Ndjili par le vice-premier ministre, ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, et la chargée d’affaires de l’ambassade des États-Unis en RDC, Marion Ekpuk, la délégation a été conduite directement à la Cité de l’Union africaine où le secrétaire d’Etat américain s’est entretenu en tête-à-tête
pendant 30 minutes avec le président Félix Tshisekedi, avant la rencontre bilatérale des délégations des deux pays. Au menu: les questions relatives à la défense et à la sécurité, notamment la situation à l’Est du territoire de la RDC et la coopération militaire ; à la croissance économique, axées sur des réformes profondes et rapides ; ainsi qu’à l’environnement et à la protection de la biodiversité, selon un communiqué de la présidence de la République.
Au cours d’un point de presse animé conjointement avec son homologue de la RDC, Christophe Lutundula, Anthony Blinken a déclaré que les Etats-Unis tenaient à la préservation de l’intégrité territoriale de la RDC et soutenaient les initiatives régionales, de Nairobi et de Luanda, en vue de mettre définitivement un terme à la violence et de permettre le retour d’une paix définitive dans cette partie du continent.
Le patron de la diplomatie américaine a également assuré qu’il abordera la question de la déstabilisation de la RDC par le Rwanda avec le président Paul Kagame au cours de sa visite à Kigali. «Nous sommes préoccupés par le dernier rapport de l’ONU, et nous allons nous impliquer pour le retour de la paix en RDC, afin d’éviter tout enlisement dans la région», a déclaré en substance Blinken en réponse à la question d’un journaliste américain. «Chaque pays doit respecter les frontières de ses voisins», a-t-il encore expliqué, en rappelant le plaidoyer de son pays en faveur de l’Ukraine agressée par la Russie.
Les deux ministres des Affaires étrangères ont, par ailleurs, indiqué que les entretiens bilatéraux entre leurs délégations ont porté sur la défense et la sécurité, avec en filigrane la situation sécuritaire à l’Est de la RDC et la coopération militaire entre Kinshasa et Washington ; l’économie et les finances ; l’exploitation des ressources naturelles, notamment l’industrie extractive ; l’environnement ; les mines ; et la démocratie.
Un groupe de travail sur les ressources naturelles
Le vice-premier ministre et ministre congolais des Affaires étrangères de la RDC, a révélé aux médias que la RDC et les Etats-Unis ont convenu de la mise en place d’un groupe de travail afin d’étudier les conditions de l’exploitation des ressources naturelles de manière à répondre aux besoins des populations congolaises sans détruire l’environnement. Christophe Lutundula répondait à une question relative aux préoccupations de certaines Ongs autour de la mise en vente de blocs pétroliers de la RDC. Il a indiqué que la RDC ne vendait nullement ses blocs pétroliers et qu’elle respecterait les engagements pris dans le cadre de la protection des écosystèmes.
Sur la question de l’exploitation minière, Blinken a réitéré la position de son pays relative à la révision des contrats miniers, particulièrement certains d’entre- eux conclus avec la Chine.
Son séjour en RDC s’est clôturé mercredi 10 août 2022 par des séances de travail avec le 1er ministre Jean-Michel Sama Lukonde, des représentants de la société civile et des partis politiques. Les entretiens avec le chef du gouvernement de la RDC ont tourné autour de l’importance qu’il y a à «tenir des élections libres et équitables comme prévu en 2023», selon un compte-rendu du Département d’Etat. Ce fut l’occasion pour le patron de la diplomatie américaine d’annoncer que l’USAID «mobilisera 10 millions USD supplémentaires pour promouvoir la participation politique pacifique et la transparence lors des élections», portant ainsi le soutien total des Etats-Unis au processus en cours en RDC à 23,75 millions USD. Les deux personnalités ont également discuté «de la promotion du respect des droits humains, de l’amélioration du climat des investissements, de la protection de l’environnement, de la lutte contre la corruption et de la sécurisation des chaînes d’approvisionnement en minéraux essentiels à la transition mondiale vers des formes d’énergie plus propres», rapporte-t-on.

Ni blâme ni condamnation
Pas de blâme ni de condamnation de Kigali par l’administration Biden, donc. Malgré un addendum au rapport du Groupe d’experts des Nations-Unies sur la RDC qui stigmatise le rôle de l’armée de Paul Kagame dans la nouvelle agression militaire contre laquelle Kinshasa fait face. Les discussions avec Paul Kagame sur cette question ainsi que sur l’enlèvement et la condamnation de Paul Rusesabagina à 20 ans de prison par la justice rwandaise auront rendu la tâche du patron de la diplomatie américaine d’autant plus délicate que la nouvelle politique de l’administration Biden paraît peu favorable au militarisme de la principauté militaire rwandaise qui s’être préparée en conséquence pour faire face à la nouvelle donne américaine.
A Kigali, on n’a pas baissé la garde, même au nom des principes démocratiques et de bonne gouvernance mis en avant par la nouvelle administration américaine. Anthony Blinken et son équipe s’y sont entretenus, comme à Kinshasa, avec des représentants de la société civile et des partis politiques. Mais pas n’importe lesquels. Une sélection faite par le régime avait permis aux seuls représentants de la société civile inféodés au parti au pouvoir de s’entretenir avec les Américains. Il s’agit de l’Association des femmes du FPR, de l’Association des jeunes du FPR (Intore), de la Commission de défense des droits de l’homme proche du parti au pouvoir à Kigali, ainsi que de la RMC (Rwanda Media Commission), un organe de régulation des médias truffé d’agents des services de renseignements et chargé d’espionner les journalistes pour le compte du pouvoir, selon des sources proches de l’opposition. Les représentants des partis politiques reçus par Blinken au pays des milles collines ne payaient pas de mine non plus. Tous étaient satellisés par le FPR dans le cadre d’un «Forum des partis» aux ordres.
Langage de sourds à Kigali
Les services secrets rwandais et le FPR ont tout fait pour accréditer l’idée que le secrétaire d’Etat américain ne devait pas entrer en contact avec des opposants reconnus à l’instar de Mme Victoire Ingabire (Dalfa Umurinzi) ou encore de Me Bernard Ntaganda (PS Imberakuri). Même la presse américaine n’a pas pu approcher ces personnalités honnies par le régime.
Quant aux questions qui fâchent, notamment celles du soutien avéré aux terroristes du M23 qui occupent des localités congolaises et à la condamnation injuste et arbitraire par les Etats-Unis de Paul Rusesabagina, un citoyen belge résidant aux Etats-Unis, la presse rwandaise a abondamment vulgarisé l’argumentaire des extrémistes à Kigali. Mardi 9 août, le News Time de Kigali estimait ainsi «presqu’impossible» la mission d’Anthony Blinken en RDC et au Rwanda.
S’agissant de Rusesabagina, «il avait ouvertement reconnu qu’il dirigeait le groupe d’opposition et rebelle FLN, qui a tué plusieurs innocents dans le Sud du pays. Rusesabagina collaborait également ouvertement avec les FDLF, composés d’extrémistes rwandais qui avaient participé au génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda et qui avaient également tué des milliers de citoyens Congolais innocents», a-t-on pu lire dans ce journal.
Sur le soutien de Kigali au M23, le News Time a écrit que «Blinken devra faire face à deux obstacles infranchissables à Kigali. Il échouera à faire libérer Rusesabagina (…) et quand il abordera l’impasse du M23, il sera sur un terrain glissant : ce n’est pas la première fois que les Américains coupent une grande partie de leur aide au Rwanda et la dernière fois qu’ils l’ont fait, cela s’est avéré défavorable pour eux. Le Rwanda pourrait se rabattre sur des pays plus compréhensifs comme la France, Israël (…) et pourquoi pas la Chine ?».
Le même jour, une lettre ouverte d’«universitaires africains et américains» publiée par News Time appelait à «un partenariat respectueux et égalitaire exempt de positions condescendantes et moralisatrices» et invitaient anticipativement les USA à «adopter une approche holistique considérant les ramifications politiques, économiques et socio-culturelles de la situation congolaise». Sur le cas Rusesabagina, les mêmes universitaires rappelaient à l’homme d’Etat américain que «la vie des citoyens rwandais compte autant que celles citoyens américains».
Mais le décor ainsi planté d’avance par Kigali toujours prompt à moraliser mais hostile à toute moralisation n’a pas empêché Anthony Blinken de déclarer que «les rapports qui indiquent que le Rwanda continue à soutenir les rebelles du M23 et possède ses propres forces en RDC son crédibles, ce qui met en danger les communautés locales et la stabilité dans la région. Chaque pays doit respecter l’intégrité territoriale des autres». Dont acte.
LE MAXIMUM