Le torchon brûle entre la Cour constitutionnelle dirigée depuis juin 2022 par Dieudonné Kamuleta et le Conseil d’Etat, chaperonné par Vundwawe Te Pemako. La première juridiction a déclaré «non-conformes à la constitution» la décision du Conseil d’Etat annulant scandaleusement, le résultat de l’élection du gouverneur de province de la Mongala. C’est par un arrêt prononcé le vendredi 22 juillet 2022 que la Cour constitutionnelle a anéanti les ordonnances du Conseil d’Etat dans la cause concernant le contentieux de cette élection qui, non seulement sanctionnaient un cas réputé de fraude mais, proclammaient élu un candidat n’ayant pas bénéficié de la majorité des voix. De nombreux acteurs politiques, étatiques et juristes en RDC s’étaient offusqués de la propension constante du Conseil d’Etat à s’auto-ériger depuis quelques années en une sorte de CENI suprême, annulant et proclamant à tour de bras des résultats d’élections sous des motifs pour le moins farfelus.
Cette pratique devenue récurrente au niveau de la haute juridiction administrative était décriée sous cape. On hésitait à offenser publiquement le grand professeur Félix Vundwawe, formateur de la plupart des juristes que compte le pays. Néanmoins, on contestait en sourdine la légitimité, la régularité ou plus simplement le bon sens de la chasse gardée que semblait se constituer ainsi l’ancien directeur de cabinet du maréchal Mobutu dès qu’il a été nommé à la tête du conseil d’Etat. Etait ainsi questionné mezzo voce son interventionnisme abusif qui a quasiment vidé de sa substance la notion même du contentieux électoral dont l’objectif est de dégager la tendance générale des urnes, en le transformant en un banal contentieux administratif où les règles procédurales peuvent annihiler la volonté de l’auteur de l’acte attaqué.
La pratique dure en fait depuis 2019. Rares sont les élus à quelque niveau que ce soit en RDC qui n’aient reçu l’aval des juges administratifs. Au point que d’aucuns se demandaient si cela valait encore la peine de s’investir dans une campagne électorale, parce qu’au finish, le résultat dépendait d’un trait de plume du tout puissant Vundwawe Te Pemako, de son directeur de cabinet, Noël Botakile et de leur escouade de juristes aux ordres.
Secret de polichinelle
«Tout le monde sait comment ça se passe chez nous», assure un élu provincial sur le sujet, pour expliquer que le siège a un coût financier chez le vieux prof.
Confronté à ce déni de droit, l’ancien chief justice Benoît Lwamba Bindu, décédé récemment à Bruxelles, s’était prudemment replié derrière des ‘‘avis juridiques’’ de validité discutable pour rappeler à l’ordre l’ombrageux 1er président du Conseil d’Etat. En vain.
Plus conséquent, le tout nouveau président de la Cour constitutionnelle semble, Dieudonné Kamuleta et patron du Conseil supérieur de la magistrature, a décidé de mettre le holà. L’occasion lui en a été fournie par le traitement réservé au Conseil d’Etat qui s’est permis de défénestrer à la faveur d’un pseudo contentieux électoral César Limbaya, le gouverneur proclamé élu par la CENI se fondant sur le nombre des votes exprimés par les électeurs et de nommer à sa place son challenger qui n’avait pas obtenu la majorité requise à cette fin. Le tout sur fond d’une invalidation questionnable de la candidature de Limbaya après la clôture du délai d’examen du contentieux des candidatures et le déroulement sans incidents de l’élection.
Pire, le Conseil d’Etat s’est fendu d’une décision de radiation des listes électorales d’un candidat gouverneur en l’absence du moindre jugement de condamnation pénale pour abus de biens publics ou pour corruption d’électeurs ainsi que le prévoit la loi.
C’est face à cet arbitraire qui portait gravement atteinte aux droits constitutionnels reconnus à tout Congolais que la Cour constitutionnelle a tranché, s’attirant l’ire de Vundwawe qui a brandi une flopée de principes juridistes pour justifier ses dérives. Clamant notamment que toutes les juridictions se valent et aucune ne devraient empiéter sur la chasse gardée de l’autre, le vieil académicien a tenté d’habiller sa forfaiture d’un discours scientifique savant qui n’occulte nullement les griefs reprochés à la plus haute juridiction administrative congolaise.
Contentieux des candidatures et des résultats
La première dérive reprochée au Conseil d’Etat est de ramener un contentieux de candidature au niveau du contentieux des résultats. En effet, la loi électorale et les directives de la CENI ont déjà fixé les conditions d’éligibilité des candidats. De sorte qu’après l’organisation d’une élection, le Conseil d’Etat, qui n’est pas juge de la validité d’une élection provinciale, ne pouvait pas se substituer à la Cour d’appel de Lisala pour déclarer l’inéligibilité du candidat Limbaya.
Le contentieux soumis au Conseil d’Etat était relatif aux résultats. Celui-ci devait se limiter à examiner la légalité des résultats lui transmis, le mode de calcul et l’exactitude des chiffres et non pas se prononcer sur les candidatures des uns et des autres.
La souveraineté appartient au peuple
L’article 5 de la Constitution dispose que la souveraineté appartient au peuple congolais qui l’exerce directement par voie électorale ou référendaire ou indirectement par ses représentants. D’autre part, la même Constitution dispose (article 150) que le pouvoir judiciaire doit garantir les libertés individuelles et les droits fondamentaux des citoyens et que les juges ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi.
Dès lors que le Conseil d’Etat proclame vainqueur un candidat gouverneur n’ayant obtenu que 6 voix sur 20 au détriment de celui à qui les représentants du souverain primaire ont attribué 13 voix, on se trouve face à une entorse flagrante au principe constitutionnel de la souveraineté du peuple. D’autant plus qu’une disposition de la loi électorale exige que pour être proclamé élu gouverneur, un candidat doit recueillir, non pas la majorité relative, mais la majorité absolue. Or, 6 voix sur 20 votants ne constituent en aucun cas la majorité absolue qui est de 11 voix. Là aussi, c’est une violation de la Constitution (article 150) que le juge constitutionnel se devait impérativement de sanctionner.
Faits ou rumeurs
La troisième dérive du Conseil d’Etat stoppée par la Cour constitutionnelle se situe au niveau de la personne concernée par la décision de la juridiction administrative. Le candidat César Limbaya aurait, selon le Conseil d’Etat, usé d’actes de corruption pour obtenir les 13 voix des députés provinciaux. Mais cette accusation n’a été étayée d’aucune preuve matérielle contenue dans un dossier ou procès-verbal d’aveu de l’incriminé devant le parquet ou la Cour d’appel de Lisala.
Le Conseil d’Etat a, en l’espèce, fait preuve d’un excès de pouvoir que la Cour constitutionnelle ne pouvait cautionner. Car une décision judiciaire qui se fonde sur des intentions ou des rumeurs et non sur des actes et des faits avérés n’est rien moins qu’une violation d’un droit constitutionnel garanti.
Limites à ne pas franchir
A l’évidence, le Conseil d’Etat semble avoir oublié que les juges ne sont pas au-dessus de la loi, encore moins de la Constitution. Les analystes peu avertis qui font croire qu’en anéantissant les arrêts du Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle avait signé un scandale ont donc tort.
Dès lors que la Constitution est malmenée par une autorité, quelle qu’elle soit, la Cour constitutionnelle a le devoir de se lever en dernier rempart du respect de cette loi fondamentale qui garantit la crédibilité et la survie des institutions et donc de la nation.
C’est pour cette raison que, à la différence de leurs homologues du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et de la Haute Cour militaire, qui sont directement nommés par le président de la République et prêtent serment devant lui, les juges constitutionnels sont majoritairement nommés sur proposition des corps constitués de la nation (Parlement, Conseil supérieur de la magistrature) et prêtent serment devant le chef de l’Etat mais en présence de l’Assemblée nationale et du Sénat.
La Cour constitutionnelle a la compétence de remettre en cause les actes du président de la République pourtant élu au suffrage universel direct et des lois votées par la représentation nationale (parlement) pour inconstitutionnalité. On ne voit pas par conséquent ce qui lui interdirait d’en faire autant pour les arrêts rendus par le Conseil d’Etat. En d’autres termes, la prérogative du contrôle de la légalité des actes administratifs qui relève du Conseil d’Etat ne peut s’exercer qu’en conformité avec la loi fondamentale qu’est la Constitution dont la Cour Constitutionnelle est gardienne. Considérer que ce contrôle n’a pas de frontières est une hérésie.
Protéger les forts et les faibles
La justice n’est efficiente et ne protège l’existence d’une nation que quand elle s’applique à tous avec la même rigueur. Aucun Congolais, quels que soient son rang et ses opinions, ne devrait se sentir en insécurité face au juge. C’est pour cette raison que les juges du Conseil d’Etat doivent soumettre les justiciables comparaissant devant leurs juridictions au même traitement en se conformant strictement aux lois et à la première d’entre elles qu’est la Constitution. La disqualification du gouverneur César Limbaya et la proclamation à la tête de la Mongala d’un candidat minoritaire sont à cet égard injustifiables. Il s’est agi d’un déni des droits constitutionnels de Limbaya que la Cour constitutionnelle a eu raison de ne pas cautionner. «Ils auraient à la limite fait preuve d’une intelligence, quoique malicieuse, en recalculant le nombre de voix obtenues pour donner pour attribuer une majorité absolue au candidat qu’ils ont proclamé», estime un constitutionnaliste, ancien étudiant du professeur Vundwawe pour qui l’autonomie des juridictions revendiquée par le Conseil d’Etat a une limite: celle de la loi. Et rappelle l’adage selon lequel «il n’y a pas d’Etat de droit si le pouvoir n’arrête pas le pouvoir».
Jacques ntshula