Cette saison sèche est riche en transhumance en RDC. Plusieurs personnalités congolaises se défont, bruyamment, de leurs engagements politiques. Mardi 19 juillet, le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU) pour le compte de Ensemble pour la République (EPR) de Moïse Katumbi, Muhindo Nzangi Butondo, a quitté le navire de l’homme d’affaires katangais. L’élu de Goma au Nord-Kivu, et à ce titre grand soutien dans cette région de l’ancien gouverneur du Katanga qui caresse une irrépressible ambition de briguer le top job au Congo, ne s’est pas contenté de plier ses seuls bagages. Son nouveau parti politique, l’Action des volontaires pour la relève patriotique (AVPR), a emporté avec lui 22 élus : un sénateur, 8 députés nationaux et 13 députés provinciaux. Une réelle saignée.
C’est dans la salle polyvalente du Collège Boboto de la Gombe que Muhindo et ses camarades ont annoncé leurs nouvelles couleurs en faisant état d’un divorce «civilisé», un peu à l’image de la «passation civilisée du pouvoir au sommet de l’Etat» de décembre 2018 entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi.
Divorce civilisé
Le départ du ministre Sama de l’ESU du camp Katumbi, comme ceux d’autres partisans de l’EPR qui s’accommodent mal des ambitions croisées de leur ex-mentor avec celles du président de la République Félix Tshisekedi, patron de l’Union sacrée de la Nation, à laquelle tous disent appartenir était attendu de l’opinion depuis belle lurette. Dans le camp Katumbi, aussitôt que fut annoncée la conférence de Muhindo, une note du secrétaire général du parti, Dieudonné Bolengetenge, datée du 14 juillet 2022 signalait que «tout celui qui se considère comme membre de Ensemble pour la République n’est pas concerné par ces assises, sauf dans le cadre d’une éventuelle délégation en cas d’invitation en cas d’invitation à nous adressée comme parti ami». Et pour que nul n’en ignore, Bolengetenge précisait que ces assises «concernent des personnalités et autres acteurs de souche MS et AAD qui ont choisi de ne pas faire partie de Ensemble pour la République en poursuivant une voie indépendante».
Il est clair que pour Muhindo, l’alliance avec Katumbi n’aura pas duré plus qu’un mandat présidentiel. L’élu de Goma place sa démarche dans un ‘‘processus d’émancipation’’. «Nous avons parlé avec Moïse Katumbi pour lui dire que nous avons pris l’option de créer notre propre parti. Ensemble étant un regroupement de partis politiques, nous avons décidé de créer le nôtre pour retrouver une indépendance», assure le ministre de l’ESU. «On s’est donc séparé comme des gens civilisés», a-t-il souligné en expliquant qu’il s’agit de s’émanciper pour se présenter aux élections futures comme «un grand mouvement national». Toute autre chose que le mouvement inverse d’un ’’lumumbiste-tshisekediste’’ autoproclammé qui a effectué une sortie médiatique tonitruante 24 heures plus tard.
A l’emporte-pièce
Mercredi 20 juillet, Frank Diongo, ancien condamné pour séquestration et voies de fait sur des éléments de la garde républicaine (comme plus tard un certain Kabund) et grâcié par le président Tshisekedi a animé un point de presse pour annoncer qu’il rompait avec l’Union sacrée de son libérateur. Connu pour sa fougue dans l’opposition au pouvoir de Joseph Kabila, Diongo n’aura pas attendu, lui non plus, la durée d’un mandat présidentiel pour claquer la porte de la coalition tshisekediste. Au siège de son parti, le MLP, avenue de l’Enseignement à Kasavubu, Diongo s’est révélé tel qu’en lui-même avec des critiques aussi vitriolées contre le régime que celles de son alter ego JM Kabund, bourreau lui aussi d’un élément de la garde présidentielle.
Diongo en appelle à un sursaut patriotique pour sortir la RDC de «l’obscurantisme prémédité», concept au sujet duquel un politologue de l’Université de Kinshasa se tire les cheveux pour comprendre le sens.
«Le peuple clochardisé et humilié, la misère accentuée, l’insécurité généralisée, la menace de la balkanisation persistante et l’agression à répétition de notre pays par le Rwanda et ses complices, suite à la mauvaise gouvernance de l’Etat, amplifient le désastre qui frappe de plein fouet les Congolais. Le Congo devient un univers de théâtre de carnage et de bradage de nos ressources minières à l’Est de notre cher pays», éructe-t-il avant d’en appeler aux martyrs de l’indépendance Patrice Lumumba, Joseph Okito et Maurice Mpolo qu’il considère comme «des symboles et modèles d’engagement pour poursuivre l’idéal de combat relayé par le sphinx, Etienne Tshisekedi, mon maître à penser à qui j’avais promis de son vivant de ne jamais trahir le Congo ou ses idéaux, les principes et vertus du combat nous inculqués». Comprenne qui pourra !
Prose ronronnante
Ces prémisses pour se ménager des sympathies lumumbistes et tshisekedistes posées, Frank Diongo a évoqué «un simulacre de démocratie au lieu de faire vivre la vraie alternance dans le pays ; à tel point que d’aucuns se demandent si on est en train de vivre le déluge prédit par le président Mobutu, surtout que le tribalisme, le népotisme le clientélisme, la corruption et la jouissance sont érigés en système de gestion». En des termes quasiment similaires à ceux de Kabund, Diongo dénonce «les antivaleurs autrefois décriées qui refont cyniquement (sic!) surface», et récite une litanie de fléaux, les mêmes que ceux qu’il reprochait naguère à Joseph Kabila. «L’application de la politique de la gratuité de l’éducation a produit des effets pervers à ceux escomptés par la population congolaise, conséquence de la mauvaise planification du projet et du manque d’encadrement», estime-t-il.
La proximité entre ce hâbleur qui se proclamme «Héros vivant» (re sic !) et Moïse Katumbi amène certains observateurs à établir un parallèle entre sa défection tapageuse et celle plus policée du ministre Muhindo Nzangi. «C’est manifestement une guerre de tranchée entre
l’Union sacrée de la Nation de Tshisekedi et Ensemble pour la République de Katumbi qui s’amorce en perspectives des échéances électorales de 2023. C’est à première vue un match nul, chaque camp perdant et gagnant un élément», estime le politologue André Kamuanya Lukusa pour qui «ce n’est qu’une apparence car la perte de Muhindo Nzangi, un poids lourd élu de Goma par le parti katumbiste est de toute évidence plus dommageable que celle d’un Frank Diongo, un has been
qui essaie maladroitement de justifier la non représentativité de sa formation politique ‘‘lumumbiste – tshisekediste’’ dans les institutions électives par une décision qu’il aurait prise lui-même. Ce monsieur ne représente en fait que lui-même. Il doit son élection en 2011 à une proximité brandie à tout bout de champ avec l’UDPS des Tshisekedi dont il vient de se séparer pour rejoindre Katumbi», analyse notre source.
Jeancy Kipoke, chercheur en sciences politiques à Lubumbashi signale «le caractère ’’contre nature’’ du mariage de ce ’’lumumbiste’’ avec Katumbi qui n’a jamais fait mystère de ses symphaties pour Moïse Tshombe, le leader sécessionniste katangais cité dans toutes les chroniques comme un des responsables de l’assassinat du père de l’indépendance congolaise.
Ses critiques envers l’agresseur rwandais ne collent pas non plus avec le mutisme et la réserve observés par son nouveau mentor à ce sujet. Logiquement, tout oppose les deux hommes», selon cet analyste.
J.N.