Arrivé mercredi 22 juin 2022 à Onalowa, village qui le vit naître un certain 2 juillet 1925, de Bruxelles via Kinshasa et Tshumbe dans le Sankuru, le cercueil contenant la relique de Patrice Emery Lumumba a reçu, toute la journée de jeudi 23 juin les hommages coutumiers circonstanciels aux obsèques. Aux sons de tams-tams et instruments musicaux de toutes sortes, les délégations des dignitaires et la population locale ont solennellement déposé des gerbes de fleurs devant le cercueil de l’illustre disparu avant de clôturer la journée par une célébration eucharistique à l’église méthodiste des lieux. Le tout dans une atmosphère émouvante aux allures festives dans cette région où des années durant après la disparition du héros national et fils du terroir les mythes racontant son retour miraculeux eurent la peau dure, le deuil pouvait enfin être levé.
Kisangani, à l’Esplanade de la poste
Ce vendredi 24 juin, le cercueil de Lumumba sera acheminé à Kisangani son fief électoral via l’aérodrome de Tshumbe. Au chef-lieu de la province de la Tshopo, il recevra les hommages à l’esplanade de la Poste, lieu de son premier emploi dans la ville, et des témoignages sur sa vie ponctueront les séances d’animation coutumières, culturelles et religieuses au cours d’une veillée qui devra durer toute la nuit. Comme à Onalowa, Kisangani aura droit, toute la journée de samedi 25 juin aux hommages, dépôt de fleurs et manifestations de défoulement organisées en période d’obsèques.
Le 26 juin, le cercueil de ce qui est resté du corps du premier 1er chef du gouvernement congolais assassiné le 17 janvier 1961 dans un village situé à 50 km de Lubumbashi (Katanga) retournera à son lieu de supplice. Le gouvernement, représenté par le 1er ministre Sama Lukonde, des ministres et des chefs coutumiers des contrées dont le héros national défunt et ses compagnons d’infortune, Mpolo et Okito accueilleront le cercueil à l’aéroport international de Luano avant de le conduire à Shilatembo, village où ils furent assassinés par une escouade de policiers belges, avant d’être enterrés puis déterrés pour être dissous dans l’acide. Ici aussi, oraisons funèbres, hommages populaires, musique et folklore traditionnel et offices religieux sont prévus.
Lundi 27 juin, premier des trois jours de deuil national décrété par le gouvernement, le cercueil de Patrice Lumumba retournera à Kinshasa via l’aéroport international de Ndjili. Il y sera accueilli par le président de la République, Félix Tshisekedi entouré de tous les chefs coutumiers du pays présents dans la capitale.
Décorations posthumes
Au Palais du Peuple où l’attendront tous les députés et sénateurs présents à Kinshasa, Patrice Lumumba recevra les honneurs militaires de circonstance avant l’exposition du cercueil à l’esplanade de l’édifice chinois pour les hommages populaires et la veillée mortuaire.
Le programme des obsèques officielles du héros national congolais prévoit l’arrivée d’un certain nombre de chefs d’Etat africains, mardi 28 juin, qui lui rendront eux aussi leurs hommages.
Le 29 juin se tiendront les cérémonies de décoration posthume de Lumumba, Mpolo et Okito au Palais de la Nation en présence des membres de leurs familles respectives. Le cercueil du héros national défunt passera préalablement par sa résidence sur le boulevard du 30 juin dans la commune de la Gombe, avant d’être conduite à l’Hôtel du gouvernement où le 1er ministre Jean-Michel Sama Lukonde prononcera un discours en son honneur.
Le 30 juin 2022, date anniversaire de l’indépendance arrachée de haute lutte par Patrice Lumumba et un certain nombre de leaders politiques congolais en 1960 se clôtureront les obsèques du héros national. De l’Hôtel du gouvernement, le cercueil de Lumumba sera conduit au Mémorial Patrice Emery Lumumba, Place de l’Echangeur à Kinshasa/Limete, où il sera inhumé avec les honneurs dûs à son rang.
Le dernier voyage du Héros National
Ainsi s’achèvera le dernier voyage du premier 1er ministre de la RDC, 61 ans après son assassinat en janvier 1961. Il avait commencé lundi 20 juin 2022 à Bruxelles en Belgique avec la restitution à la famille de la dent à valeur de relique détenue par la famille de Gérard Soete, le policier belge chargé de faire disparaître son corps et ceux de ces compagnons d’infortune en 1961, par le procureur fédéral Frédéric Van Leew à la suite d’une plainte pour recel diligentée en 2011 par François Lumumba, l’aîné de ses enfants. La cérémonie a eu lieu en présence des premiers ministres congolais et belge, ce dernier profitant de la circonstance pour renouveler les excuses de la Belgique pour la responsabilité de certains dirigeants et fonctionnaires de l’ex-puissance coloniale dans l’assassinat odieux de janvier 1961. «Cette responsabilité morale du gouvernement belge, nous l’avons reconnue et je la répète à nouveau en ce jour officiel d’adieu de la Belgique à Patrice Emery Lumumba. Je souhaiterais ici, en présence de sa famille, présenter à mon tour les excuses du gouvernement belge pour la manière dont il a pesé sur la décision de mettre fin aux jours du premier ministre du pays», a affirmé De Croo en substance.
C’est mardi 21 juin, après une veillée mortuaire organisée à l’ambassade de la RDC à Bruxelles que le cercueil de Patrice Lumumba a été rapatrié à Kinshasa après un passage au Square Lumumba dans le quartier Matonge de Bruxelles où il a reçu les hommages d’une immense foule de Congolais et de nombreuses personnes d’origine africaine.
La question des réparations
Si la restitution de la dent de Patrice Lumumba à sa famille et son rapatriement en RDC marque un tournant dans les relations en dents de scie entre la Belgique et son ancienne colonie, il n’en reste pas moins qu’elle ne résout pas le problème lié à la responsabilité belge dans la mort du leader indépendantiste congolais.
Interrogé à ce sujet mercredi 22 juin à Tshumbe où il séjourne dans le cadre des funérailles du héros national congolais, le leader lumumbiste et député national Lambert Mende Omalanga a exprimé ce que la classe politique et l’opinion publique de l’ex-colonie pensent. « Le retour de la relique du premier 1er ministre congolais, je le reçois d’abord comme frère sociologique de Patrice Emery Lumumba depuis 61 ans et comme patriote congolais afin que la mémoire de notre 1er ministre qui a été assassiné dans des conditions qui n’ont jamais été élucidées jusqu’à ce jour soit honorée. Il faut lui donner une sépulture, même si tout n’a pas été dit sur les circonstances de son assassinat et les responsabilités sur les réparations qui sont dues à la famille et à l’Etat congolais», a-t-il déclaré. Pour l’ancien porte-parole du gouvernement sous Joseph Kabila et élu de Lodja au Sankuru, «les excuses doivent absolument aller jusqu’à la réparation parce que c’est quand même un dommage incommensurable qui a été causé à cette famille et à la nation congolaise. Il ne suffit pas de dire ‘‘je m’excuse’’ et puis on tourne la page, non. Il y a des réparations, il y a des responsabilités, nous voulons connaître, on ne nous a pas dit comment il a été tué, comme on ne récupère qu’une partie de son corps alors que nous pensions donner une sépulture à l’ensemble de son corps».
Crime de guerre
Le dossier Patrice Lumumba ne fait donc que commencer, de ce point de vue. Evoquant la procédure judiciaire en cours pour «crime de guerre» commis avec l’assassinat et la mutilation des corps du premier 1er ministre congolais et ses deux compagnons enclenchée par la famille pour exiger l’éclaircissement des conditions de survenance du crime de janvier 1961, le procureur fédéral belge, Frédéric Van Leeuw a déclaré qu’il s’engageait avec le juge d’instruction chargé du dossier à essayer d’avancer. Indiquant néanmoins que la procédure reste un combat.
Dans la capitale belge, la question des réparations dues à la RDC a fait l’objet de débats à la chambre du parlement, après que le roi Philippe eût exprimé, le 8 juin 2022 à Kinshasa, «ses plus profonds regrets» pour les blessures du passé colonial. Certains parlementaires plaident assurément en faveur des réparations, mais pas nécessairement financières, là où d’autres estiment qu’on ne peut pas se limiter à ces «profonds regrets». Le CD&V Jan Briers, par exemple, estime que les Congolais apprécient les discours mais attendent aussi des réalisations concrètes.
Le Parti travailliste belge (PTB) se démarque de l’ensemble des partis politiques belges au sujet des réparations dues à la RDC parce qu’il dénonce les grandes entreprises qui ont profité de la colonisation et exhorte le gouvernement à combattre les multinationales qui continuent à exploiter les richesses de la RDC.
Quant au gouvernement belge, il attend «avec impatience» le rapport final de la commission «passé colonial» pour poser «un acte complémentaire à l’acte posé par le Roi», a déclaré le 9 juin à Bruxelles, le vice-premier ministre Georges Gilkinet.
J.N.