Arrivé à Kinshasa mardi 7 juin en mi-journée, le roi Philippe de Belgique et son épouse, la reine Mathilde, poursuivent leur séjour congolais à Lubumbashi ce vendredi 10 juin. Dans la 2ème ville congolaise, le monarque belge prononcera un discours, cette fois devant les étudiants. Le couple royal se rendra ensuite à Bukavu, dans l’Est tourmenté de la RDC où il visitera l’hôpital de Panzi que dirige le Nobel congolais de la paix Denis Mukwege.
Kinshasa-Lubumbashi-Bukavu, un itinéraire tout en symbole pour le 1er voyage du 7ème roi des Belges dans l’ancienne colonie. Né en 1960, quelques jours avant l’indépendance de la RDC, Philippe a voulu prendre tout son temps pour découvrir les réalités de l’ancienne possession de son aïeul Léopold II et amorcer une nouvelle ère dans les relations en dents de scie entre la Belgique et la RDC.
Le voyage maintes fois reporté du souverain belge, quoiqu’entouré d’appréhensions de toutes sortes, semble répondre à la plupart de ses promesses. A la grande satisfaction du gouvernement congolais. Mercredi 8 juin, le roi Philippe a décoré de la médaille de l’ordre royal un monument vivant de la IIème Guerre mondiale, le caporal Congolais Albert Kunyuku, 100 ans révolus, enrôlé en 1940 aux côtés des forces belges et affecté au contingent d’appui médical expédié en Birmanie en 1945. Le même jour, il s’est rendu au tout nouveau Musée national, boulevard Triomphal, pour restituer symboliquement un masque congolais parmi les nombreux objets d’arts pillés par la Belgique pendant la colonisation. Avant de prononcer un discours très attendu devant les deux chambres parlementaires et un public clairsemé sur l’esplanade du Palais du Peuple.
Mi-figue, mi-raisin
En RDC, le discours royal était très attendu. D’autant plus qu’il y a 2 ans, à l’occasion du 60ème anniversaire de l’indépendance congolaise, Philippe avait créé la sensation en reconnaissant pour la toute première fois des violences et des exactions inacceptables qui ont caractérisé la vie des Congolais sous les administrations léopoldienne et belge et structurent encore certaines discriminations raciales en Belgique en exprimant solennellement ses regrets. Au Palais du Peuple de Kinshasa, le roi Philippe a expressément évoqué ces «actes de violence et de cruauté» survenus naguère au Congo sous ses prédéces seurs . Le Congolais lambda attendait manifestement plus en termes d’excuses et d’engagement formel de réparation. Ce ne fut pas le cas car le monarque s’est contenté de répéter ses sincères regrets au sujet de ces blessures du passé. Sans plus. «A l’occasion de mon premier voyage au Congo, ici même, face au peuple congolais et à ceux qui aujourd’hui encore en souffrent, je désire réaffirmer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé. Sincères regrets que j’avais exprimés dans la lettre que je vous ai adressée, Monsieur le président, il y a deux ans maintenant, pour le 60ème anniversaire de l’indépendance», a-t-il déclaré mercredi 8 juin. Avant d’exhorter ses interlocuteurs à tourner plutôt le regard vers l’avenir. «Aujourd’hui, vous souhaitez écrire un nouveau chapitre dans nos relations et regarder vers l’avenir, encouragés par la formidable jeunesse du peuple congolais qui ne demande qu’à valoriser ses talents. Ecrivons ce nouveau chapitre ensemble», a-t-il dit.
Engagement à minima
L’engagement du monarque belge aux côtés de la RDC dans les multiples agressions qu’elle subit depuis près de trois décennies aujourd’hui était également très attendu. Sur le sujet, Philippe, sans tenir compte du sacro-saint principe de la continuité de l’Etat, s’est limité à rappeler à son hôte Félix Tshisekedi que «vous et moi sommes trop jeunes pour avoir vécu le Congo d’avant son indépendance. Mais pour vous, comme pour moi, la présence belge au Congo, avant 1960, laisse aussi un héritage qui a ancré le pays dans ses frontières actuelles. La préservation de l’intégrité territoriale du Congo est une préoccupation majeure que nous partageons».
Rappelant que Patrice Lumumba, le père de l’indépendance congolaise prônait déjà le maintien de l’unité de la nation, le roi Philippe a ajouté que l’instabilité dans l’Est du pays «marquée par une violence inhumaine et impunie ne peut plus durer. Vous pouvez compter sur le soutien de la Belgique, au sein des instances internationales, à toute initiative visant la stabilité et le développement harmonieux de l’Afrique des Grands Lacs. La reprise progressive de notre coopération militaire s’inscrit dans la même logique».
Face à l’indifférence manifeste de la communauté internationale vis-à-vis des atrocités perpétrées à l’Est de la RDC par des forces appuyées par le Rwanda, une autre ancienne colonie belge, on attendait un peu plus de la part du souverain qui s’est limité à féliciter son homologue congolais pour le succès de sa diplomatie.
A cet égard, quoiqu’en disent certains dans l’opposition, le pays de Lumumba semble avoir gagné un allié de poids à sa cause. Félix Tshisekedi ne s’en est pas caché. «Pour la RDC, la porte d’entrée en Europe diplomatique, politique, l’Europe des affaires, c’est la Belgique. Si la Belgique est fiévreuse par rapport à la RDC, toute l’Europe la suivra», a-t-il souligné.
Réactions mitigées
Les réactions au discours du roi des Belges sont partagées. Le juriste Charles Kabuya note, non sans amertume, que «62 ans après, le roi Philippe de Belgique vient de prononcer les mêmes mots pour lesquels le sort de Lumumba fut scellé après son discours du jour de l’indépendance, devant le roi des Belges. Quelle cruelle ironie du sort !». Le gouverneur en congé de la province du Nord-Kivu, Carly Nzanzu Kasivita, assure quant à lui retenir deux grandes idées dans ce discours : «l’impératif de défendre nos frontières et le maintien du dialogue avec les pays voisins». «Soutien total au président Félix car étant sur la bonne voie. Investir dans l’armée est une garantie».

Député national et membre de la commission défense et sécurité de l’Assemblée national, Juvénal Munubo apprécie le discours de Philippe. «Nombreux attendaient du roi les excuses. Je pense qu’il faut tourner le regard vers l’avenir en refusant toute forme de colonisation et en nous engageant dans l’édification d’un Etat fort. Il ne faut pas demeurer dans une posture victimaire», écrit-il dans un tweet. C’est à peu près le sens de la réaction de son collègue Bertin Mubonzi pour qui, «c’est une avancée significative. Il y a eu un grand effort du président de la République pour que nous puissions assister à cette évolution positive pour le pays. Il s’agit de savoir comment orienter les choses pour trouver des solutions surtout sur le plan sécuritaire à l’Est de la République». Geneviève Inagosi, députée de l’opposition déplore quant à elle l’absence de dispositions pratiques de réparation du mal causé aux Congolais par la colonisation. «C’est l’argent du Congo qui a construit la Belgique, logiquement nous attendions qu’elle annonce une contribution concrète pour reconstruire la RDC. Il ne suffit pas de s’arrêter aux regrets et dire on tourne la page», déclare-t-elle.
Mémorandums d’entente
A défaut d’avoir annoncé des réparations pour la RDC, qui ne sont pas exclues puisque les conclusions des études sur les conséquences du passé colonial belge sont attendues dans les prochains mois, le roi et sa suite qui comprend également le 1er ministre Alexander De Croo et une délégation d’hommes d’affaires de son pays ont conclu au moins trois mémorandums d’entente dont le président Tshisekedi s’est félicité mercredi à Kinshasa : dans les domaines de la coopération au développement, des finances et des affaires étrangères, auxquels il faut ajouter deux autres dans le secteur diamantaire et portuaire.
Mardi 7 juin à Kinshasa, le chef de la diplomatie congolaise Christophe Lutundula avait annoncé un appui important de la Belgique à la RDC, chiffré à 250 millions d’Euros, disponible dès 2023. Il est destiné aux secteurs de la santé, de l’agriculture, du développement rural, de l’appui aux institutions, des infrastructures, de la production de l’énergie et de l’appui à la décentralisation, avait-il détaillé.
On s’achemine visiblement vers des relations «adultes», selon Kalvin Soiresse, député de la communauté française de Belgique. «Il faut qu’on arrive à une relation adulte entre les deux pays. Comme le 1er ministre Lumumba le disait, deux pays, d’égal à égal, qui assument l’histoire commune qu’ils ont mais qui se dégagent de tous les méfaits qui ont été commis, à travers ce travail de mémoire qui est fondamental aussi bien pour le Congo que pour la Belgique», a-t-il précisé.
Pour le 1er ministre belge Alexander de Croo, «l’essentiel c’est le futur mais pour construire un bon futur, il faut affronter le passé». C’est ce que le roi Philippe est venu faire et dire à Kinshasa, «des mots parfois un peu difficiles».
Reste que la Belgique a à répondre du passé colonial fondé sur l’exploitation des hommes et l’appropriation des ressources du Congo qui semblent encore avoir de beaux jours devant elles, sauf si on y met un terme comme le demandent deux chroniqueurs belges Pierre Englebert et Lisa Jené, auteurs d’une tribune sur la question.
J.N.