Les forces vives de la société civile de la province du Sud-Kivu, à l’Est de la RDC s’en prennent de plus en plus au Rwanda voisin, accusé de se servir du M23 pour agresser leur pays.
Des manifestations se multiplient un peu partout à ce sujet. La dernière en date a eu lieu à Bukavu. Partie de la Place Munzihirwa jusqu’au siège du gouvernement provincial (Ibanda), cette marche a dévoilé le voeu d’une population qui n’a que trop souffert le martyre de voir… Vladimir Poutine venir au secours des Congolais.
Des écriteaux similaires à la gloire du président russe Poutine avaient été vus auparavant dans les rues de Kinshasa, lorsque des motards saluaient la bravoure du n° 1 russe qui a osé défier l’occident en lançant son opération militaire contre l’Ukraine et l’OTAN avec ses sommes astronomiques d’aide en armement de ce pays de 43 millions d’habitants atteignant les 40 milliards USD rien que pour les USA, en trois mois seulement. Un chiffre qui laisse un goût amer aux 100 millions des Congolais qui, malgré un partenariat privilégié, vieux de plusieurs décennies avec l’occident, ont perdu plus de 10 millions de leurs proches dans des guerres hybrides et par procuration sans que l’occident ne se distingue par un élan significatif de solidarité.
On se perd en conjectures sur le martyre que subit le peuple congolais à l’Est sans que l’occident ne se mobilise outre mesure ne serait ce que pour équiper les forces loyalistes de la RDC face aux groupes interlopes qui déciment impunément hommes, femmes et enfants.
Cette situation risque de métastaser le culte que certains jeunes ici commencent à vouer à un personnage comme Vladimir Poutine à l’instar de leurs collègues de quelques autres pays africains (Mali, Guinée, République centrafricaine et Burkina Faso) en passe de tronquer leurs relations privillégiées avec la France pour embrasser la Russie.
De plus en plus de voix critiques s’élèvent ces derniers temps à Kinshasa et à l’intérieur pour dire qu’aucun pays n’a été développé avec l’aide du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque mondiale et que la colonisation de l’Afrique ne s’est en fait jamais arrêtée mais a pris d’autres formes. Un postulat qui n’est pas une simple vue de l’esprit.
Vue de l’Afrique et de la RDC, l’aide au développement en provenance du Nord patine.
Le SOS lancé par les jeunes manifestants de Bukavu à l’endroit du président russe révèle tout simplement que l’occident est en train de perdre sa «chance historique» dans cette ‘‘gâchette du revolver Afrique’’ de Frantz Fanon.
L’influence et le pouvoir des occidentaux ici comportaient en effet un élément magique, à savoir la conviction des pays vaincus et sous leur joug selon laquelle ils étaient invincibles.
L’opération spéciale lancée en février dernier par la Russie en Ukraine ainsi que la gestion de la pandémie de COVID-19 en disent long sur l’effondrement d’un système auquel beaucoup ici croyaient fermement. Au point qu’on peut dire que Francis Fukuyama avait eu tort dans son euphorie de la chute du mur de Berlin en 1989 d’annoncer triomphalement «la fin de l’histoire».
Tout ceci rappelle la nécessité du changement de paradigme pour la RDC dans sa politique étrangère au moment où la géopolitique mondiale donne l’impression de faire bouger le curseur de la prédominance aussi bien militaire qu’économique avec l’entrée en scène fulgurante de nouvelles puissances comme la Chine de Xi Jinping et la Russie de Poutine ainsi que la ‘‘neutralité’’ d’une puissance démographique comme l’Inde de Narendra Modī. Les indicateurs, dans divers domaines signalent de plus en plus clairement un possible effondrement de l’hyper puissance militaire et économique américano-européenne.
Après la première guerre du Golfe et l’effondrement de l’URSS, les États- Unis, aveuglés par leur succès, semblent avoir perdu tout sens des réalités comme si les dieux leur avaient accordé une force et une supériorité ad vitam aeternam quoi qu’il arrive.
Un quart de siècle plus tard, la vanité d’une telle prétention apparaît avec de possibles ruptures technologiques qu’un rapprochement des 3 puissances émergentes susmentionnées pourrait provoquer.
Lentement mais sûrement, l’innovation et l’excellence technologique changent de camp. L’enlisement des puissances de l’OTAN en Ukraine face à la Russie en est une première illustration.
Le redéploiement très agressif de la Russie en Afrique noire, ce réservoir des matières premières stratégiques en est une autre.
Gouvernants, opposants, militants panafricanistes s’accordent aujourd’hui pour confirmer cette tendance. «Poutine a le droit de s’installer en Afrique et même en RDC car, il n’a pas le sang de nos ancêtres victimes de l’esclavage et de la colonisation sur les mains. Je le préfère, même si ce n’est pas mon messie, à tous les présidents occidentaux et aux maudits dirigeants africains, soumis à l’oligarchie de l’Occident», tempêtait la semaine dernière, un activiste de la société civile de Bukavu.
Julius Malema, leader charismatique de la gauche radicale sud-africaine ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que «nous devons dire à l’OTAN et aux Américains que nous ne sommes pas avec eux. Nous sommes avec la Russie et aujourd’hui nous voulons remercier la Russie. Donnez-leur une leçon, nous avons besoin d’un nouvel ordre mondial et nous sommes fatigués de recevoir des ordres des Américains».
Ce genre de discours fait florès aux quatre coins du continent noir et crée un fossé entre l’Occident et les peuples d’Afrique dont les gouvernements sont jugés trop timides dans leurs dénonciations du néo-colonialisme.
La présence très remarquée de la Russie à Bamako, Bangui, Ouagadougou et peut-être bientôt N’Djamena où les manifestations hostiles à la France et à l’occident se multiplient fait déjà tâche d’huile. Au Cameroun, une chaîne de télévision panafricaine Afrique Média diffuse régulièrement des opinions pro-Kremlin dans le conflit avec l’Ukraine.
Il est difficile à l’heure actuelle d’évaluer l’ampleur de la bienveillance de certains gouvernements africains à l’égard de tendance. Mais force est de constater que le monde redevient multipolaire. De nombreux observateurs alertent déjà sur la nécessité de renforcer les liens de l’Afrique avec la Russie et la Chine sans pour autant s’écarter totalement de l’occident même si celui-ci n’a souvent créé que des frustrations dans la plupart des pays du continent dont la RDC.
Quoiqu’on en dise, le bilan de plus de 60 ans de partenariat entre le Congo et l’occident s’avère décevant. Pour plus d’un à Kinshasa comme ailleurs, l’empire occidental est en train de scier lui-même la branche de l’arbre sur laquelle il se niche.
Un ‘‘empire’’ sans empathie pour ses ‘‘vassaux’’ n’a aucune chance de subsister dans la durée .
C’est le moment pour la RDC d’évaluer sérieusement les dividendes de sa relation stratégique privillégiée avec l’occident. Le développement, l’émergence et les «droits de l’homme» dont les Congolais ont besoin ne se résument guère en «changement de régime, guerre pour les matières premières», ou «développement durable pour l’humanité» même au prix de l’étranglement de tout un peuple qui constitue les seules priorités des partenaires traditionnels occidentaux.
A.M